La maladie de Lyme, provoquée notamment par des tiques, peut être quasi-totalement invalidante… Dans l’est de la France en particulier, elle est presque devenue un fléau naturel. Médecin et journaliste, Jean-Yves Nau alerte, dans Slate (.fr) sur la politique de prévention et ce qui ressemble bien à une cécité (volontaire ?) de la part des pouvoirs publics… 

Dans le cadre d’une enquête portant sur les pratiques d’un expert en psychiatrie devant les tribunaux, j’avais été contacté par une jeune femme souffrant – énormément – de la maladie de Lyme.
Mais aussi de l’attitude des corps médical et judiciaire à son détriment.

Les éléments recueillis n’étant pas clairement conclusifs (comment mettre en cause une expertise psychiatrique, même si des contre-expertises concluent à de possibles erreurs ?), nous en étions restés là et elle préférait conserver son anonymat.

Mais les faits sont connus : ingénieure en écologie, elle était amenée à se rendre en forêt en Alsace, et elle n’a pas tardé à relever divers symptômes. C’était à l’époque où l’on ne comptait pas encore jusqu’à 12 000 nouveaux cas annuels en France et près de 50 000 en Europe.
Mal diagnostiquée par deux médecins des hôpitaux de Strasbourg, devenue incapable de travailler si ce n’est à mi ou tiers-temps, elle fut de plus diagnostiquée vaguement hypocondriaque dépressive, et finalement incriminée. Sur le plan judiciaire, elle a tout tenté, ce qui n’est pas facile lorsqu’on se retrouve privée de travail et de ressources dès que la barre de l’appel est franchi (et même parfois bien avant…).

Diagnostic « difficile » ?

Le problème avec cette maladie est qu’après avoir été piqué, ce qui peut se produire lors d’une simple promenade en forêt, même en ne quittant pas les sentiers les plus battus, les symptômes, démangeaisons et fièvre, peuvent être faibles et surtout s’estomper… Mais une évolution chronique n’est pas du tout à exclure.

C’est à présent Marisol Touraine qui hérite de la quasi-inertie de Roselyne Bachelot-Narquin à la tête du ministère de la Santé. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause personnellement l’ancienne ministre et d’autres, car encore une fois (de pire), il est fort possible que des (et non « toutes les ») instances médicales, soit pour se couvrir, soit pour d’autres raisons, aient fortement minoré l’ampleur du problème. Sans parler des enjeux économiques divers.

Lesquels sont de deux sortes : d’une part le manque à gagner touristique, d’autre part le monopole des laboratoires et des professions médicales.

Jean-Yves Nau, dans Slate, évoque une « accusation de l’ensemble du système sanitaire doublée d’un appel à Marisol Touraine, ministre de la Santé sur fond de pathologie infectieuse mal comprise. ».

La seule prévention, selon lui, consiste à se prémunir des morsures et de se faire diagnostiquer au plus tôt si on a été mordu. Les conséquences de cette maladie sont lourdes, outre une fatigue chronique très handicapante, on risque « l’apparition de méningites, de paralysies faciales, de diverses manifestations articulaires, etc. ».

Le dépistage a été d’autant plus rendu difficile que l’information préventive a été vraiment très négligée. De plus, les lanceurs d’alerte ont été véritablement muselés.

J’avais déjà évoqué sur Come4News le cas de Bernard Christophe, de la TPE Nutrival, qui produit une formule pharmaceutique proche de l’herboristerie et des huiles essentielles (à base de sauge, cinéol et camphre notamment), donc fort peu rentable pour les laboratoires. Bernard Christophe est pharmacien, mais tout a été fait par l’Afssaps pour empêcher de valider ses recherches (coûts exorbitants exigés, puis poursuites judiciaires, &c.). Bernard Christophe évoque « des analyses falsifiées et des bases erronées. ».
Le problème, c’est que si des experts internationaux lui donnaient raison, les retombées françaises pourraient gêner plus d’une et d’un. En attendant, Bernard Christophe risque une condamnation devant le TGI strasbourgeois le 18 septembre…

Intimidations

Il comparaîtra avec pour co-prévenue Viviane Schaller. Elle était tout à fait qualifiée pour diriger le laboratoire strasbourgeois d’analyses médicales homonymes, mais son protocole de test de la maladie de Lyme différait de celui préconisé par diverses instances. Résultat : elle décelait beaucoup plus de cas…

Ce n’est plus un secret pour personne : lors de l’épidémie dite de « la vache folle », un test suisse a été préféré par le ministère à un autre, franco-américain. Il fallait sans doute choisir le test le moins fiable pour ne pas affoler les populations, et surtout, sans doute, ne pas déplaire aux syndicats, associations d’éleveurs et organismes agro-alimentaires. Le laboratoire de Viviane Schaller a été fermé début juin dernier après décision administrative et à la suite d’une suspension d’un mois d’activité pour le mois de février.
En cause, des problèmes d’hygiène, un sous-effectif, mais aussi et peut-être surtout le fait que quelques « faux positifs » auraient été détectés et que Viviane Schaller conseillait le Tic-Tox de Nutrival.

Pourtant, les malades sont appuyés par des autorités médicales, comme le Pr Christian Perronne, infectiologue à Garches, ou le Pr Luc Montagnier, qu’on ne présente plus.
Cependant, d’autres experts mettent encore en avant une « composante psychologique » qui expliquerait que des patients débarrassés de la maladie ressentiraient encore des douleurs musculaires et articulaires. En cas de diagnostic trop tardif, cette fameuse composante est bien utile et surtout très difficile à réfuter. Or, les méthodes des laboratoires agréés détectent certes moins, beaucoup moins de « faux positifs », mais aussi nombre de « faux négatifs ».
Selon certaines études, la technique Western Blot (utilisée par le laboratoire Schaller) est fiable à plus de 60 %, la concurrente, l’Elisa serait d’au moins dix pour cent moins efficace (mais elle présente l’avantage d’être moins chère, un peu comme un thermomètre meilleur marché).

« Les premiers tests de laboratoire soient assez souvent négatifs. Certains experts estiment même qu’on ne peut généralement pas éradiquer les spirochètes d’un organisme, mais aider le système immunitaire à les contrôler, » relève Wikipedia.

« On préfère mal soigner tous les symptômes du Lyme avec toutes sortes de médicaments qui coûtent des millions à la Sécu plutôt que de s’attaquer vraiment à la maladie », a déclaré Judith Albertat aux Dernières Nouvelles de Strasbourg. Cette ancienne pilote, devenue naturopathe car ne trouvant pas de traitement convenable pour échapper aux conséquences de la maladie, a fondé une association de patients. Pour le Dr. Pierre Kieffer, du CHU de Mulhouse, « inventeur » de la fameuse composante, tout cela relève du sectarisme et de l’avidité de gourous abusant les patients.

Jean-Yves Nau, qu’on a connu chroniqueur médical au Monde faisant preuve d’une prudence pouvant passer pour cauteleuse (à tort ou à raison, et je ne jetterai pas la première pierre à un confrère ne voulant pas risquer de se mettre à dos les professions médicales, et surtout leurs instances de contrôle ou de régulation), ne tranche pas.

Je crois pouvoir estimer Bernard Christophe sincère et (beaucoup) moins intéressé par les revenus de son produit que par la santé des personnes, mais ce n’est qu’une opinion déontologiquement objective (on tend à l’objectivité… il n’en est pas davantage demandé aux journalistes par leurs propres instances).

Mais subsiste le problème de l’information du public. Certes, les quotidiens régionaux des régions les plus touchées n’ont pas failli à leur devoir d’informer. Mais au-delà ? Et tandis que le ministère subventionnait de pleines pages de publicité pour appuyer diverses causes ou actions de prévention, il n’est guère que la MSA (la mutuelle de santé du monde agricole) a s’être vraiment mobilisée. Et encore, surtout localement (voir le site gare-aux-tiques-msa-alsace.fr). L’INRS qui traite de la santé au travail, relaie cependant l’information, de même que le site du ministère de l’Agriculture. 

Informer très largement

Le traitement antibiotique, si et seulement si administré tôt, serait efficace. Tout autre serait illusoire, soutiennent les instances médicales. La MSA qui relaye le message, a au moins la décence de signaler que les répulsifs ne sont pas la panacée (« aucun produit n’est efficace à 100 % »).

La maladie a durement affecté les personnels de l’Office national des forêts, et en 1996, une étude a porté sur 379 fonctionnaires postés en Alsace. Parmi les répondants, seuls 2,2 % disaient n’avoir jamais été piqués par des tiques. Seuls 9 % ont fait une déclaration pour maladie professionnelle…

Un peu partout dans le monde, la maladie progresse (notamment dans les zones forestières d’Amérique du Nord, depuis 1986, avec une progression de dix fois). Toute l’Europe et l’Asie, jusqu’à la mer de Chine est touchée, Inde, Moyen-Orient, la péninsule indochinoise, mais non la Chine ou Israël, semblant épargnées jusqu’à nouvel ordre.

Pour en savoir davantage, on consultera avec intérêt le site Lymelight (lymelight.blog.lemonde.fr). Tiens, on y parle d’expertise psychiatrique judiciaire. L’auteure vit sa première plainte classée sans suite (et qualifiée de « délinquance astucieuse »), puis est passée en cour d’appel administrative, puis par le Conseil d’État, la Cour européenne des Droits de l’homme… Pour sa constitution de partie civile, elle vient de recevoir, en juin dernier, une ordonnance de refus d’informer. On l’a aussi effacée du serveur Ameli de la Sécurité sociale… Cas voisin, similaire ou identique à celui dont j’ai pu avoir connaissance, directement de l’intéressée ?
Elle avait été diagnostiquée atteinte en 1993. Si Jean-Yves Nau veut revenir sur ce cas, il sait à présent qui contacter… Peut-être des noms lui seront-ils fournis… Mais je ne veux bien sûr pas penser qu’il ne se soit pas livré à une recherche, sur le(s) site(s) du Monde, à propos de la maladie de Lyme… Dont il nous reparlera bientôt, c’est sûr, et de manière plus circonstanciée, sur Slate, tout comme le chroniqueur judiciaire du Figaro tiendra à rendre compte du procès de Strasbourg avec autant de verve que lors du procès Kerviel…