Qui voit Groix, voit sa croix… Qui accorde foi à Tapie s’en trouvera marri… Enfin, cuckold, pardonnez mon anglais. Au quatrième jour de sa garde à vue, Bernard Tapie diffuse les bonnes feuilles de son livre que Plon sort demain. Oui, il rencontrait régulièrement Sarkozy, mais ce dernier n’a pas levé le moindre petit doigt pour lui. Non, Estoup n’était pas en cheville avec lui, contrairement aux « insinuations des sites de désinformation Mediapart et Bakchich ». Et enfin, le pompon : le contribuable doit remercier son Nanard de bienfaiteur.
Il est gonflé, mes les gonades de la lectrice ou du lecteur du « sévèrement burné » risquent un accès d’éléphantiasis. Dans son bouquin que Plon sort demain, Nanard Tapie persiste et signe. Il a été victime du Crédit lyonnais, comme si le contraire n’était nullement envisageable (voir nos précédents articles). ll rencontrait Sarkozy environ « tous les deux mois », quand ce dernier était ministre de l’Économie, de l’Intérieur, ou président de la République, ce qui laisse ouverte la perspective que ce dernier soit poursuivi pour collusion avant d’accéder à l’Élysée, mais ce serait bien à tort.
Sur Estoup, qui apparaît de jour en jour être son obligé (et stipendié), Nanard estime qu’il était particulièrement qualifié pour arbitrer son différend avec l’État. Bref, Tapie se targue de ses propres turpitudes et en rajoute.
En fait, il conviendrait de lui vouer des actions de grâce. Car il n’a perçu réellement qu’une aumône, 92 millions d’euros au total, le reste ayant bénéficié au contribuable. Le même qui, quand le Crédit lyonnais, établissement bancaire nationalisé, a flanché, a contribué lourdement à ce que ces messieurs de la finance se refassent la main avec LCL. Et puis, en obtenant in extrémis un préjudice moral (grâce à une phrase ajoutée en loucedé), les époux Tapie se sont fait adjuger un préjudice moral qui, à l’époque, était exonéré de l’impôt ou de cotisations sociales. Bien joué, Nanard, Bredin, Estoup et consorts !
Répétons-le, sans entrer dans des détails techniques, que le Crédit lyonnais a racheté à Tapie une société en totale déconfiture qui lui appartenait déjà. Le quasi-miracle qu’a réussi le repreneur, Dreyfus, au prix de lourdes pertes d’emplois et des relocalisations en Asie, a permis d’éponger une note que Tapie avait singulièrement alourdie, et même de réaliser des bénéfices, certes substantiels, mais totalement inespérés.
Ce n’est pas que Mediapart ou Bakchich (à présent en .info) qui l’estiment ainsi, mais aussi Slate, d’autres supports, Bayrou, Peyrelevade, de Courson, pour ne mentionner que ceux qui l’ont ouvert à temps. L’ancien président du Lyonnais ne cesse de le répéter, rien de ce qui se produit n’aurait été possible sans l’avis fort circonstancié de la Cour des comptes. « Comment voler un insolvable ? », insiste Jean Peyrelevade. Hors Adidas, pour laquelle il doit 600 millions de francs, Tapie avait accumulé un passif de 1,5 milliard. En face, comme à présent, les biens personnels de Nanard étaient à l’abri, les actifs à réaliser étaient bien insuffisants pour combler le gouffre.
Un gouffre dans lequel des collectivités territoriales ont vu disparaître de copieuses subventions, faut-il le souligner de nouveau ?
D’accord, on peut estimer que Le Monde a violé le secret de l’instruction en divulguant des extraits de l’audition de Christine Lagarde, sauf qu’à présent, sur l’arbitrage, elle se couvre. Son sentiment aurait été « différent » si Untel (qui pourrait être Sarkozy) ou Untelle l’avait éclairé sur les tenants et aboutissants de l’arbitrage. Or, éclairée, elle l’était, notamment par son prédécesseur, Thierry Breton.
« Les médias ne me pardonnent pas d’avoir survécu à leurs attaques », écrit Nanard. Surtout ceux qui le bichonnaient et on assuré son époustouflant succès ? Avec Sarko, Nanard échangeait sur les banlieues, la formation des jeunes. Sur ce dernier point on se souvient du succès de son école de vente, lancée à grands renforts de publicité, d’articles louangeurs, disparue dans le plus grand silence. Pour Nanard, le fait que les rendez-vous aient été consignés dans l’agenda présidentiel témoigne de sa bonne foi. Certes, il faudrait retrouver les registres d’entrée et de sortie de Bercy, de Beauvau (Intérieur), pour se faire une idée plus précise. Sans compter qu’il existe des portes dérobées, et que si Giscard traînait la nuit en « deuche », Sarko pouvait fort bien inviter qui bon lui semblait chez Carla Bruni.
« Non, je n’ai pas échangé mon soutien politique contre une décision juridictionnelle », assure-t-il, main sur le cœur, à la Cahuzac.
Admettons que Mennucci (PS) puisse être traité impunément par Tapie « d’âne bâté » pour avoir trouvé suspect le montage ayant permis le rachat du reliquat français du groupe de presse de Philippe Hersant. Il ne tourne pas sept fois sa langue dans sa bouche, le Tapie qui dresse un parallèle entre Pierre Bérégovoy et lui-même. « Il m’est arrivé de penser au suicide, moi aussi ». Cahuzac devrait y songer pour son prochain livre… Frémissements dans les chaumières.
Il est victime d’un « acharnement ayant pour objectif avoué [mon] élimination ». On ne vole pas un failli insolvable, on ne dépouille pas un redevable qui n’a que la jouissance de ses biens, détenus par des fondations, abritées bien au chaud. De ce fait, le carton rouge ne lui fait ni chaud, ni froid.
Quand l’autre arbitre, Jean-Denis Bredin, écrivait d’Estoup qu’il n’était animé que d’« une seule préoccupation (…) bien voir, et parler vrai », ça, c’était avant. Après l’arbitrage, J.-D. Bredin ne se souvenait plus du tout avoir été le moins du monde en contact préalable avec Estoup. Lequel, dans un livre préfacé par le précédent, vantait l’arbitrage dont les décisions ne sont connues que « des seules parties intéressées ». Si, comme l’assure Tapie, le contribuable l’était de fait, comme c’est bizarre, c’est seulement à présent qu’il découvre. François Krug, de Rue89, a lu le livre de Bredin et d’Estoup, c’est croquignolet.
Didier Maïsto, de Lyon capitale, a aussi lu L’Express qui consacrait (une fois de plus) sa couverture à Nanard, le 2 juin 1994. Georges Valence écrivait que Nanard offrait « le spectacle de l’argent décomplexé ». Il soulignait déjà « l’accumulation des affaires qui (…) frôlent de plus en plus souvent le fait divers ». L’hebdomadaire listait les dettes de Tapie au Lyonnais, au fisc, aux douanes, ses omissions de déclarations fiscales, &c., ses participations dans La Vie Claire, Testut, Terraillon, Tapie Finance, et ses bien personnels (dont 330 millions de francs d’œuvres d’art ou de meubles de périodes couvrant la période du règne de Louis XV au Directoire). Mais Tapie ne reste pas dans l’actualité que pour l’arbitrage : il doit encore 2,3 millions d’euros au trésor public de Marseille, 3,7 à l’Urssaf des Bouches-du-Rhône (somme qu’il contestera devant un tribunal de commerce). Pour Jean-Michel Verne, les avocats de Tapie sont les « Paganini du Code de commerce ».
Le très libéral L’Opinion, qui a brûlé comme d’autres la politesse à Plon et au Figaro Magazine en publiant de bonnes feuilles présente ainsi le livre de Nanard : « des mensonges par omission, des portraits au vitriol, des règlements de compte tous azimuts, un plaidoyer d’amnésique ». Fermez le ban.
Quant à Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de la ministre des Finances, inculpé à tort selon lui, il souligne pour Les Échos qu’« aucun de ceux qui sortent du bois aujourd’hui et dénoncent cet arbitrage n’ont jamais été voir Christine Lagarde (…) pour s’y opposer ». Cela revient à faire quelque peu machine arrière (il avait mise Lagarde en cause), et oublier que, dès l’arbitrage connu, nombre de personnalités publiques avaient émis des critiques. Quant à Lagarde, avocate d’affaires comme Sarkozy, en faire une faisane de l’année est cocasse.
Selon Le Canard enchaîné, Guéant est prêt à se mettre à table, ne voulant pas être à Sarko ce que Juppé fut à Chirac. Hortefeux, lui, explique que l’arbitrage a permis d’économiser des millions en honoraires d’avocats ; c’est sûr, c’est cela qui pu émouvoir Lagarde ou Sarkozy.
Faisant allusion aux diverses affaires, Alain Duhamel déclare : « je ne suis pas déconstruit, mais je suis touché, et je suis écœuré ».
Pendant ce temps, Bernard Tapie, sur le site de son fils, poursuit le combat pour « aider les fichés, les surendettés et les débancarisés ». Quelle magnifique solidarité ! Il pourrait aussi conseiller de jouer au poker pour se refaire. La presse italienne s’interroge sur son acquisition de Full Tilt Poker et sa main mise sur l’International Stadiums Poker Tour.
Tapie se mêle de ce qui nous regarde, comme l’indique le titre d’un de ses livres chez Plon. Mais il ne faudrait pas trop être regardant sur ce dont et dans quoi Tapie s’emmêle. Au sortir de sa garde à vue, il passera au 20 heures de France 2 vendredi soir, et enchaînera avec Europe nº 1 dimanche midi, indique la maison Plon. Il tentera de nouveau de frapper à l’estomac. De quoi provoquer un haut-le-cœur.
Comme l’écrivait Victor Hugo, « boire perpétuellement son imposture est une nausée. La douceur que la ruse donne à la scélératesse répugne au scélérat, continuellement forcé d’avoir ce mélange dans la bouche, et il y a des instants de haut-le-cœur où l’hypocrite est sur le point de vomir sa pensée. ». Qu’on se rassure, Nanard a la tripe blindée de longue date…
Le Nouvel Observateur, qui met incidemment Jean-François Rocchi, mis en examen avec Estoup et Richard dans l’affaire, pour une histoire d’honoraires au cabinet d’avocats August & Debouzy, revient sur le fond de l’affaire. Adidas, en 1992, voyait son chiffre d’affaires régresser de 18 % grâce aux bons soins de Nanard. On se demande pourquoi le Crédit Lyonnais accepte de dédommager Tapie pour prendre le contrôle d’une boîte en déconfiture, et lui octroie une plus-value de 230,8 millions d’euros « sans avoir mis un centime dans l’affaire puisque tout l’argent lui a été prêté. ». Ce alors que Tapie doit encore 240 millions d’euros au Lyonnais. Sur un point technique, Tapie s’estime lésé, et le plus gros, c’est que son argumentation sera considérée recevable. Par la suite, le Lyonnais verra sa situation épongée par le contribuable. Qui va remettre au pot avec cet arbitrage. « Une incroyable arnaque », titre l’Obs’. Mais vraie. Du grand Pierre Bellemare… au diablotin qui a pu si longtemps surnager en coulant tout autour de lui.