Pour casser les révolutions, les régimes arabes ont déjà une expérience de renard. Il suffit d’emprisonner les opposants, d’empêcher leurs mères d’en accoucher dès le début, de les accuser de fraude fiscale ou de laïcité anti-musulmane, de les photographier saouls dans les ambassades de l’Occident ou de leur offrir quelques ministères, des lots de terrain. Il suffit aussi d’encourager les dissidences, surveiller les journaux et quelques livres, occuper le peuple avec des dos-d’âne et des chantiers de mosquées ou frapper très fort sur les têtes dans les villages isolés tentés par les jacqueries. Il suffit enfin de bourrer les urnes, frauder outrageusement au-delà du seuil psychologique de la honte, démentir toutes les affirmations des partis adverses, «acheter» des journaux et des journalistes, contrôler les télévisons et mettre en application des lois incroyables empêchant l’éligibilité même pour des feux rouges grillés trente ans avant la consultation électorale.
Tout est bon donc et les régimes arabes ont pu avec ce genre de méthodes rester en vie très longtemps, empêcher les changements, retarder les alternances, contrôler même les toilettes et se présenter comme un mal nécessaire aux yeux de l’Occident et comme une solution sans alternative pour leurs peuples sans leaders, sans idées, sans force et sans possibilité de résister aux coups.
Tout semble avoir été prévu pour stopper les révolutions mais rien apparemment ne semble avoir été trouvé pour stopper les révoltes. Une révolte n’ayant pas de leaders, ni de livres à interdire, ne possédant pas de journal ni de locaux à fermer, ne se réclamant d’aucune idée élaborée à combattre par la propagande ni des dissidents à acheter ou des représentants à écraser, se retrouve donc impossible à faire taire, à prévoir, à récupérer ou à isoler. Les régimes arabes ont longtemps pu mentir à leur peuple de service tant qu’il s’agissait des idées et pas du pain.
Aujourd’hui, ce que n’ont pas pu faire les démocrates en Algérie, Aymane Nour en Egypte ou des opposants brillants et inconnus en Libye et en Tunisie, le «Pain» le fait et avec lui la majorité écrasante de ceux qui veulent le manger en quantité suffisante. Les polices et les armées et les Moukhabarate peuvent contrôler une opposition mais ne peuvent pas remplacer une économie et des boulangeries fermées et ne peuvent pas fabriquer du pain à partir de rien. D’où ce qui se passe un peu partout dans les pays ces temps-ci face à la flambée mondiale des cours des produits de base.
La révolte du pain risquant même de réaliser ce changement que les Américains n’ont pas réussi, ni les islamistes, ni les opposants les plus charismatiques. On peut toujours confondre la démocratie avec l’idée de délinquance dans les régimes arabes, mais la légitimité de la faim a toujours rallié le plus grand nombre avec le seul instinct de la survie et le seul argument de la colère. On est généralement prêt au martyr lorsqu’on vit pour une seule idée ou lorsqu’on a faim trop longtemps pour le supporter face au regard de ses propres enfants, surtout lorsqu’ils ne sont même pas encore nés faute de travail et de foyer pour le géniteur qui ne peut pas se marier. Cela vous fait fabriquer très vite une flamme qui roule. Les peuples arabes ayant été «débilisés» par l’assistanat et les viols, ils peuvent peut-être être réveillés par la misère.
Kamel Daoud – LE MATIN Algérie – le 10 Avril 2008
Pour casser les révolutions, les régimes arabes ont déjà une expérience de renard. Il suffit d’emprisonner les opposants, d’empêcher leurs mères d’en accoucher dès le début, de les accuser de fraude fiscale ou de laïcité anti-musulmane, de les photographier saouls dans les ambassades de l’Occident ou de leur offrir quelques ministères, des lots de terrain. Il suffit aussi d’encourager les dissidences, surveiller les journaux et quelques livres, occuper le peuple avec des dos-d’âne et des chantiers de mosquées ou frapper très fort sur les têtes dans les villages isolés tentés par les jacqueries. Il suffit enfin de bourrer les urnes, frauder outrageusement au-delà du seuil psychologique de la honte, démentir toutes les affirmations des partis adverses, «acheter» des journaux et des journalistes, contrôler les télévisons et mettre en application des lois incroyables empêchant l’éligibilité même pour des feux rouges grillés trente ans avant la consultation électorale.
Tout est bon donc et les régimes arabes ont pu avec ce genre de méthodes rester en vie très longtemps, empêcher les changements, retarder les alternances, contrôler même les toilettes et se présenter comme un mal nécessaire aux yeux de l’Occident et comme une solution sans alternative pour leurs peuples sans leaders, sans idées, sans force et sans possibilité de résister aux coups.
Tout semble avoir été prévu pour stopper les révolutions mais rien apparemment ne semble avoir été trouvé pour stopper les révoltes. Une révolte n’ayant pas de leaders, ni de livres à interdire, ne possédant pas de journal ni de locaux à fermer, ne se réclamant d’aucune idée élaborée à combattre par la propagande ni des dissidents à acheter ou des représentants à écraser, se retrouve donc impossible à faire taire, à prévoir, à récupérer ou à isoler. Les régimes arabes ont longtemps pu mentir à leur peuple de service tant qu’il s’agissait des idées et pas du pain.
Aujourd’hui, ce que n’ont pas pu faire les démocrates en Algérie, Aymane Nour en Egypte ou des opposants brillants et inconnus en Libye et en Tunisie, le «Pain» le fait et avec lui la majorité écrasante de ceux qui veulent le manger en quantité suffisante. Les polices et les armées et les Moukhabarate peuvent contrôler une opposition mais ne peuvent pas remplacer une économie et des boulangeries fermées et ne peuvent pas fabriquer du pain à partir de rien. D’où ce qui se passe un peu partout dans les pays ces temps-ci face à la flambée mondiale des cours des produits de base.
La révolte du pain risquant même de réaliser ce changement que les Américains n’ont pas réussi, ni les islamistes, ni les opposants les plus charismatiques. On peut toujours confondre la démocratie avec l’idée de délinquance dans les régimes arabes, mais la légitimité de la faim a toujours rallié le plus grand nombre avec le seul instinct de la survie et le seul argument de la colère. On est généralement prêt au martyr lorsqu’on vit pour une seule idée ou lorsqu’on a faim trop longtemps pour le supporter face au regard de ses propres enfants, surtout lorsqu’ils ne sont même pas encore nés faute de travail et de foyer pour le géniteur qui ne peut pas se marier. Cela vous fait fabriquer très vite une flamme qui roule. Les peuples arabes ayant été «débilisés» par l’assistanat et les viols, ils peuvent peut-être être réveillés par la misère.
Kamel Daoud – LE MATIN Algérie – le 10 Avril 2008
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