Selon le député socialiste du Nord Christian Bataille, la forêt de Compiègne « a été démembrée dans des conditions scandaleuses. Monsieur Woerth va devoir cesser de jouer sa sainte Nitouche ». Cette forte déclaration fait suite à la déposition, par un magistrat rapporteur devant le tribunal administratif de Paris, de conclusions visant à faire annuler la vente de l’hippodrome de Compiègne. Délibéré au 7 juin mais, très généralement, les avis du rapporteur public sont fortement suivies par les juges…
Déjà poursuivi pour le même chef devant la Cour de justice de la République, déjà débouté en février dernier d’un procès intenté au Courrier Picard et au Canard enchaîné, c’est grimaçant qu’Éric Woerth a dû prendre connaissance du rapport du magistrat chargé d’évaluer l’opportunité de casser l’arrêté cédant l’hippodrome de Compiègne à l’issue d’une procédure de gré à gré.
Les débats du tribunal administratif de Paris, suivis par Michel Deléan, pour Mediapart, ce vendredi, portaient sur la plainte introduite par le Snupfen (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel) contre la vente de l’hippodrome de Compiègne pour un prix de 2,5ME (contre, selon l’évaluation haute d’experts soutenue par ses avocats, 13 millions, et au moins 8,3 millions à minima).
« Le détournement de procédure est caractérisé », ont conclu Mes Fréty et Mengès qui ont prié les juges de d’enjoindre à l’État de casser l’arrêté ayant permis d’outrepasser tant diverses réglementations que « le droit de propriété » du Conseil d’agglomération de la région de Compiègne.
La Société des courses locales, présidée par Antoine Gilibert, avait été le bénéficiaire de ce marché non soumis à concurrence qui intéressait des acquéreurs en ayant été écartés dont l’Association sportive Golf de Compiègne ou divers investisseurs.
Le magistrat rapporteur a abondé dans leur sens, soulignant les vices de procédure, la nécessité d’adopter une loi avant d’entamer la procédure de cession. Le représentant du ministère de l’Économie, pourtant destinataire d’une étude juridique commandée par Jérôme Cahuzac à un professeur de droit de ses connaissances, a préféré s’en remettre à la sagesse des magistrats. Ce qui revient à désavouer l’opinion du professeur Terneyre qui estimait que la vente était légale et que rien ne pouvait être reproché au prédécesseur de l’ex-ministre du Budget, son commanditaire. En fait, le représentant de Bercy n’a pas souhaité divulguer à la presse ses observations écrites…
Si le tribunal administratif suit l’avis de son rapporteur le 7 juin, ce qui est généralement d’usage, les juges René Grouman et Roger Le Loire seront sans doute fondés à conclure qu’il y eut de la part d’Éric Woerth abus d’autorité, complicité de prise illégale d’intérêt, trafic d’influence et favoritisme, ainsi que recel. Déjà placé en tant que témoin assisté par la Cour de justice, Éric Woerth pourrait alors se retrouver mis en examen, tout comme Antoine Gilibert et son prédécesseur, Armand de Coulange, bénéficiant pour le moment du statut de témoins assistés.
Le prix de cession « dérisoire » est une chose, les irrégularités en constituent une autre. Les deux étant liées car s’il a été « mis en œuvre une procédure illégale afin d’éviter les contraintes de la classique », ce n’est pas que pour expédier un dossier, renflouer les caisses de l’État au plus vite.
Le rapporteur public a déclaré que « ce bien est tellement exceptionnel que seul le marché aurait pu lui donner sa vraie valeur ». Le Courrier Picard remémore que « le maire de Chantilly a toujours démenti avoir cédé les terrains au tiers de leur prix ». Son défenseur, Me Leborgne faisait valoir que l’estimation de Bercy « entre 2,5 et 2,7 millions d’euros » était sincère et que les discussions en cours n’avaient « rien à voir avec une quelconque faute pénale ».
Jérôme Cahuzac avait toutefois indiqué qu’il se réservait « la possibilité d’intenter une action en nullité, laquelle reste possible au cours des prochaines années ». Son successeur, Bernard Cazeneuve, ne s’était pas non plus empressé de le faire, mais la plainte du syndicat des personnels de l’ONF a été traitée avec une relative diligence.
L’éventuelle décision d’annulation de l’arrêté, si le prix de cession est mis en cause dans les motivations, pourrait avoir des influences sur la suite au pénal. Notamment, l’acquéreur, soit la Société des courses, devra plaider sa bonne foi.
C’est la question que soulève, dans une tribune libre, Corinne Lepage dans l’affaire Lagarde-Tapie : « Bernard Tapie lui-même pourrait-il voir sa responsabilité pénale recherchée comme complice d’un stratagème dont il serait le principal bénéficiaire et l’instigateur ? ». Elle poursuit : « la seconde question est celle du remboursement ».
Dans l’affaire Lagarde-Tapie, elle estime qu’un ministre peut être « comptable de fait ». Dans celle de l’hippodrome, Éric Woerth, s’il en était estimé ainsi, sera-t-il amené à s’opposer à l’acquéreur, se retourner contre lui ?
Elle conclut plus généralement, en évoquant aussi l’affaire des rétrocommissions de ventes d’armements à Taïwan (700 millions d’euros réglés par l’État), « le mépris dans lequel les gouvernements successifs ont tenu les contribuables par un gaspillage éhonté, un refus de rendre des comptes aux citoyens, un dédain pour les reproches de la Cour des comptes, n’est plus acceptable ni accepté ».
Au fait, en cas d’annulation de la vente, Bercy pourrait-il rendre Jérôme Cahuzac redevable du paiement de la consultation du professeur Terneyre, contre lequel il pourrait difficilement se retourner (son conseil n’était pas tenu par une obligation de résultat) ? À moins bien sûr que ce dernier, entendu, suggère que ses conclusions auraient été sollicitées, ce qui le rendait complice.
Tiens, pour voir, un contribuable quelconque pourrait informer le procureur général près la Cour des comptes qui déciderait ou non de saisir le commissaire du gouvernement…