Halal : les divagations du Figaro

Perso, je me verrais bien en sacrificateur laïc et républicain allant faire la fête, en fin de journée, avec mes collègues rabbins et imams, les poches pleines. Mais bon, il ne faudrait pas s’arrêter là. Plus on est de fous, plus on rit, et j’espère bien que les bonzes et les popes s’empareront du filon… Pour le reste, histoire de rigoler, j’ai relu l’article du Figaro sur « l’étiquetage halal de Sarkozy, une mission quasi impossible ». La voix de son maître semble aboyer de travers. Que nenni !

En pied de une du Figaro, ce mardi 6 mars, l’ineffable Paul-Henri du Limbert, peut-être trop infatué de sa prose qu’il dédaigne de la faire relire, traite Angela Merkel et David Cameron d’abrutis. Enfin, presque.

Mais comment interpréter cette phrase se rapportant aux dirigeants allemand et britannique : « À quoi bon accueillir François Hollande à Berlin ou à Londres et l’écouter (…) exposer une politique à laquelle ils n’entendent rien ? ».

 

Pourtant, en Allemagne, où la fonction publique est dans la rue et les métallos négocient avec le patronat, à Londres, où la consommation baisse pour le troisième mois (les soldes de printemps ont été avancés), et nombre de critiques sont adressés aux conservateurs, y compris venant de leur propre rang, Merkel et Cameron entendent très bien la politique défendue par François Hollande.

 

C’est même ce que des économistes allemands et britanniques, et mêmes des analystes des agences de notation, reprochent à Merkel et Cameron : entendre, mais faire semblant de ne pas comprendre.

Mais non pas tout à fait n’y rien entendre, comme la plume de l’UMP le consigne dans le bulletin quotidien de la cellule riposte de chez Dassault. Chaque jour, c’est la même antienne, Sarkozy, Sarkozy, que viva Sarkozy!

En pages intérieures, c’est légèrement différent, et l’article de Marine Rabreau sur l’étiquetage halal en apporte la preuve.

Qui tue paye

Fort pertinemment, Marine Rabreau s’étonne de ce que Sarkozy prône ce que Fillon a fait écarter d’un revers de main « il y a seulement une semaine ». Soit du retrait d’une proposition de loi allant « très précisément » dans le sens de l’étiquetage des produits halal et cacher traçables. Tout comme, en 2010, un député UMP s’était vu conseiller de la fermer sur la question.
Mais surtout, la mesure exigerait que l’Union européenne aille dans le sens de Nicolas Sarkozy. Eh bien, voilà un bon prétexte pour aller se faire entendre de David Cameron et d’Angela Merkel, dont il n’a jusqu’à présent rien obtenu si ce n’est des courbettes polies et leur autorisation de parler à tort et à travers, mais pas en leur présence.

Mais, dans sa rubrique « conso », Marine Rabreau semble plus soucieuse du portefeuille du grossiste ou commerçant que des convictions des consommateurs. Pour elle, relayant sans doute l’opinion des professionnels, certains morceaux étant haram ou tref (taref, illicite), dans un même animal (au fait, le sot-l’y-laisse, situé dans le croupion, porte peut-être fort bien son nom), pourraient rester longtemps, du fait de l’étiquetage, sur les rayons.
En clair, les bouchers pourraient risquer d’un, de brader certaines pièces de viande, deux, de répercuter le manque à gagner autant que possible sur d’autres produits, d’autres consommateurs, &c.

Mais bon, sang, Nicolas Sarkozy, c’est quand même plus clair que du jus de boudin : il faut faire appliquer le principe du « qui tue paye » !

C’est simple, moi j’aime bien le top of the milk, le petit bouchon de crème qui se forme dans le col de la bouteille de lait.
Après avoir prononcé ma formule rituelle druidique « yamiammiamlolo, kilebon moloko, yabon latto », je l’ingurgite, le reste étant dévolu aux chats. Mais je paye tout le litre !

Vais-je, chez le crémier, découper la croute des fromages et ne faire peser que ce que je consomme ?
Est-ce que, chez le fruitier, je me pointe avec mon couteau économiseur ?

Pour prendre un exemple plus parlant pour Carla Bruni et Nicolas Sarkozy : si j’écrête de ma louche le haut de la soupière de caviar parce que les œufs du dessus ont été légèrement oxydés, vais-je pour autant mégoter sur l’addition au Fouquet’s, au prétexte  que je n’ai pas tout consommé ?

N’ai-je pas droit à l’égalité de traitement ? Quand, moi, je consomme, je règle tout ce que j’ai commandé.  C’est simple, si j’accède au buffet campagnard pas gratuit, même si je ne prends qu’une seule rondelle du milieu du sauciflard, sur le bout d’un croûton de pain, je paye exactement comme si j’avais consommé à volonté. Bon, Nicolas Sarkozy ne paye plus rien depuis longtemps, et sans doute n’y entendrait-il, lui, rien. Mais transmettez donc à Fillon et aux autres, peut-être que, en parlant avec les mains, parviendront-ils à lui exposer le principe.

Emballé, c’est pesé

C’est l’évidence même. Pour mettre tout le monde d’accord et respecter le principe républicain d’égalité, qui commande une bête sacrifiée à sa façon la paye tout entière et l’emporte dans son entièreté. Que font donc les bouchers musulmans ou israélites dans des pays mahométans ou judaïques (enfin, mettons, en Israël) ? On ne leur vend que les morceaux qu’ils vont destiner à la consommation humaine ? Où ils se débrouillent pour nous expédier, sous une forme ou une autre, ce qu’ils ne destinent pas aux zoos ? Juppé devrait poser la question à ses diplomates et revenir nous en causer.

Débat casse-bonbons

Je suis encore l’actualité grecque et libyenne (contrairement à Bernard-Henri Lévy, le nez dans le guidon de la syrienne exclusivement), et j’ai bien d’autres centres d’intérêts que le halal, le kosher, et je ne sais quoi encore. Mais comme Le Figaro m’y oblige, tels tant d’autres, mais souvent en pire – la présente exception confirmant la règle – j’ajoute mon beurre d’Internet sur la tartine (le saindoux, le gras de cochon, ce n’est pas mal non plus, surtout aromatisé au paprika, à la hongroise).

Si Sarkozy, qui nous les casse, les avait pour édicter cette règle d’équité et de bon sens, j’applaudirais. Ah, oui, mais, tout comme Marine Le Pen courtise la droite israélienne, Sarkozy aime se montrer au petit souper du Crif, décorer des membres du Conseil musulman de France, &c. Un jour, il a des mots sympa pour le Dalaï Lama, l’autre, il ne lui envoie plus que Carlita, au gré des ventes espérées de ses copains en Chine.

Au point qu’effectivement, tels des Merkel et des Cameron en présence de François Hollande selon Le Figaro, nous n’y entendons plus rien. Ou plutôt, nous en entendons trop, à devoir nous en boucher les oreilles. On pourrait paraphraser Paul-Henri de Limbert : « en réalité, le candidat de l’UMP est obligé de jouer à l’insoumis. ». Ou plutôt, au trublion. Bref, à rester dans son rôle. L’aile droite de son parti l’y oblige, elle craint la dérouillée du Front national aux législatives.
Ce qui inquiète aussi beaucoup certains de nos voisins européens. « On peut comprendre qu’ils ne se pressent pas pour le recevoir, » comme le conclut Le Figaro à propos de François Hollande, et non de Sarkozy. Encore, que, les Autrichiens, les Hongrois, peut-être…

On pourrait conclure (pour bassement polémiquer) que, pour Le Figaro, Sarkozy n’est qu’un candidat par défaut. Ce qui les intéresse, c’est les pépettes, le flouze, le grisbi. Pour leurs annonceurs et eux-mêmes. Mais il faut enjoliver, faute de mieux, le candidat Sarkozy, sans trop mécontenter les annonceurs. Je sais, c’est abusif, outrancier, précision que je dois à Marine Rabreau (qui n’en pense peut-être pas moins…).

Tel l’arracheur de poils…
de cheval

Dans un premier temps, Sarkozy va à Rungis nous clamer qu’il y a très peu de viande halal abattue en région parisienne, tellement peu que c’en est dérisoire.
Regardez la photo de Lionel Bonaventure pour l’AFP, prise à Rungis : « ici, viande halal », lit-on sur un panonceau de CRG (un courtier ?). La viande halal vient peut-être à Rungis, comme l’autre, soit souvent la même, de toute la France (et sans doute évidemment aussi de l’étranger).
Pour Sarkozy, la polémique était alors inutile. Du coup, un peu partout en France, hormis dans le Nord ou un importateur de viande halal démissionnait du FN, tout le monde minimisait.
Non, on en fait, du halal, mais pas beaucoup, pratiquement rien.

À nous faire croire que les agneaux et les moutons sont toujours égorgés dans des baignoires.

En réalité, dès 2004, on pouvait lire qu’à Rungis, Claude Thieblemont, d’Ovimpex, qui opère à ce marché, estimait que seul le marché de la viande halal progressait avec déjà « 20 % des tonnages » transitant par ce marché, soit 20 000 tonnes par an.
C’était dans Le Parisien du 2 novembre… de voici huit ans.
Évidemment, quand Sarkozy a pu affirmer le contraire, on n’a pas retrouvé trace de cet article dans les archives au Figaro. Ni aucun exemplaire de la Documentation française (éditeur officiel, autant que les Journaux officiels).
Parce que, lorsque que Sarkozy dit qu’une chose est négligeable, elle l’est, point. Qu’il y ait eu des rapports du ministère de l’Agriculture prouvant le contraire dès septembre 2005 importe peu. Tentez de trouver des ovins non-halal, vous vous lèverez de très bonne heure…

Et puis, tout à coup, Sarkozy se ravise. Et prend les moutons qu’il nous veut être pour des linottes, à défaut de pouvoir nous traiter encore en canards sauvages, ou, quand cela l’arrange, en enfants de bondieuseries diverses.

Et pour qui « on » nous prend ? Il est possible de contraindre tout automobiliste d’acquérir un éthylotest mais non pas un boucher d’étiqueter sa viande, ah bon ? On peut poser des radars partout et ne plus avoir un seul fonctionnaire pour surveiller les abattoirs ? Ils votent comment, les bouchers, en gros ?

 

Tout cela frise le ridicule et l’on verra sans doute bientôt Marine Le Pen dans une boucherie chevaline, n’est-il point ? Ah non, cela risquerait de hérisser le poil de mômans qui font tourner leurs petits sur des poneys. Fillon, si prompt à dénoncer des rites obsolètes, n’a pas un mot pour la filière chevaline, pourtant une bonne vieille tradition française, qui ne pose plus de problème d’hygiène, que l’on sache. C’est très méprisant pour les amateurs de steaks de poulain.
Comme le dit justement Salima Saa : « ce genre de provocation doit s’arrêter, il faut mettre fin aux discours de préjugés et de stigmatisation. ». Vive le saucisson d’âne ! Vive la noix de poulain ! Vive aussi l’étourdissement de l’escargot et du homard ! L’électrocution de l’ortolan ! L’endormissement des œufs à l’éther ! La piqure létale pour les grenouilles !

On ne crève pas de faim qu’en Grèce, où un chômeur de 52 ans, ayant pété un plomb, a récemment tiré sur son patron, mais on finira par s’intéresser à la nature halal ou cacher des balles en France. Pour le moment, seules des baffes se perdent. Il y en a auxquels on en collerait bien cinq d’une main cacher et d’une autre halal. Mais quelques coups de pied aux fesses laïcs et républicains me semblent plus appropriés. Car tout cela reste, crois-je pouvoir résumer et conclure, des débats de gavés…

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !