Présidentielle : l’abstention valide la désinformation

La diffusion de fausses nouvelles est aussi instrumentalisée. Soit les médias en font état, et se retrouvent à devoir en amplifier la portée, soit ils sont accusés de se censurer. Cette tendance est dangereuse, et doit être sanctionnée.

Piratage des données d’En Marche, fabrication de faux, diffusion de fausses nouvelles… Faut-il sanctionner ?

Je peux comprendre et admettre que des militants ou sympathisants de France insoumise et d’autres veuillent manifester leur désapprobation du programme d’Emmanuel Macron. Je peux même comprendre qu’animées par de très fortes convictions, des personnes que j’estime puissent voter pour Marine Le Pen. M’abstenir, voter blanc, ou conforter le Front national m’est devenu impossible. Parce que je ne peux ni comprendre, ni admettre qu’on puisse se taire, voire espérer profiter de la diffusion de faux, de la propagation de rumeurs infondées. Nous ne sommes pas en guerre civile, et ces procédés relèvent de la propagande guerrière. J’ai constaté que même après avoir pris connaissance des procédés de fabrication (reconnaissance optique de caractères en employant Adobe Acrobat Pro, montage avec Adobe Illustrator) du faux document tendant à faire croire qu’Emmanuel Macron détenait un compte offshore, diverses personnes ont persisté à faire croire à sa véracité. J’ai constaté que les mêmes et d’autres, même convaincues de l’inanité du fait, ont continué à faire circuler une photo de l’oreille du candidat d’En Marche présumée attester qu’il était muni d’une oreillette lors du débat face à Marine Le Pen. Je passe sur les multiples autres rumeurs, la presse tant décriée en a aussi démontré la fausseté. Puis j’ai lu Nicolas Dupont-Aignan se disant « sali », non par son silence complaisant à l’égard de tels procédés, mais par les critiques lui étant adressées. Je n’ai ni lu, ni entendu que Marine Le Pen les condamnait alors que même Donald Trump avait fini par admettre la nature du faux certificat de naissance de Barack Obama. Je rejoins Dominique Dutilloy qui, en commentaire de l’une de mes contributions sur le même sujet, estime « qu’on se dirige vers des campagnes présidentielles ‘à l’américaine’ où tout est permis« .
Contagion
J’ai exercé, à partir de l’âge de 18 ans, la profession de journaliste (et d’autres professions, tout en étant pigiste). Je suis retraité. Je crains tout simplement que l’image détestable de cette profession, entretenue par des militants de tous bords, finisse progressivement par être justifiée du fait de pratiques similaires. Les futures consœurs, les futurs confrères, risquent d’être exposés à des pressions pour faire du sensationnel et de l’émotionnel. Qu’on ne se méprenne pas : la source des Panama Papers est restée anonyme, les rédactions ont exploité la teneur de documents obtenus à l’insu de leurs auteurs ou destinataires. Mais les rédactions se sont assurées de leur authenticité. Les données piratées provenant de l’équipe de campagne d’En Marche méritent tout autant d’être traitées. Aujourd’hui, la profession se refuse à le faire dans la hâte, en tentant de faire tri. WikiLeaks a considéré que les données étaient authentiques après avoir hésité. « Si un grand nombre de ces documents semblent a priori authentiques, d’autres, que Le Monde a pu consulter, peuvent permettre de douter« , résume la rédaction. Mais demain ?  Qu’en sera-t-il ? Florian Philippot se permet déjà de supputer que des confrères taisent délibérément la teneur présumée compromettante de ces MacronLeaks. « Effrayant ce naufrage démocratique« , conclut-il. Accusation glaciale. Qui incite de fait d’autres à l’amplifier. Je lis déjà : « les médias complices de Macron et de son oreillette » (sur la page du groupe Merci Nicolas Sarkozy). Et à propos des MacronLeaks « grâce à Dieu, la vérité doit éclater avant demain« . La diffusion de ces MacronLeaks provient de Jack Posobiec, un militant « Slavright » (suprématiste caucasien). Le même dénonce les sondages « truqués« , et la censure des médias. Sputnik News relaie des messages tels que « l’État qui enterre le dossier d’Emmanuel Macron à quelques heures du couvre-feu de la campagne. Adieu nos libertés !« . Et un ex-confrère, devenu billetiste, André Bercoff, embraye : « Médias : silence assourdissant sur les dérives du BayrouGate, et les perles des MacroLeaks. Fillon 2017, du coup, c’était Jeanne d’Arc« .
Menaçante manipulation
Je lis déjà « Alerte, Emmanuel Macron, financement de la CIA« . Ou encore que les MacronLeaks proviennent du gouvernement français et serviront à annuler les élections si jamais Marine Le Pen les remportait. Résistance républicaine assure : « c’est énorme… des centaines de courriels compromettants« . Christine Tasin, de Riposte laïque, se refuse à donner les détails des teneurs compromettantes mais incite : « cherche, tu vas trouver, c’est énorme« . Marine Le Pen avait prévenu lors du débat : « J’espère qu’on n’apprendra rien sur vous dans quelques jours, quelques semaines… ». Je me refuse à supputer qu’elle avait été informée à l’avance qu’une campagne concertée, fondée sur l’exploitation de ces MacronLeaks, allait être menée. Pour le moment, du fait de la masse énorme de données, même les sites les plus acharnés à critiquer le candidat d’En Marche peinent à trouver une révélation « énorme ». Mais, c’est sûr, cela ne pourra tarder, et puisqu’ils l’affirment, c’est que c’est vrai. Russia Today relaye un commentaire de WikiLeaks : « les fuites (…) seront vraisemblablement utilisées pour stimuler une hostilité envers la Russie et justifier une hausse des dépenses dans le domaine du renseignement« . C’est « vraisemblable », admettons. Je me refuse bien évidemment à insinuer que WikiLeaks présuppose une manœuvre de l’actuel gouvernement, car rien ne l’établit. Mais qu’en sera-t-il demain ? Les médias seront-ils sommés d’enquêter sur un éventuel coup tordu des SR français ? Et dénoncés s’ils ne le faisaient pas ? Pour moi, c’est clair, ne pas sanctionner cette lourde tendance revient à s’en rendre complice. Je conçois qu’on puisse penser autrement. Je ne peux concevoir de taire mon sentiment : ce qui est aussi en jeu, c’est la manipulation, l’instrumentalisation de la presse. En votant ou vous abstenant ou en déposant un bulletin nul, vous déciderez aussi de la nature de la presse que vous pensez mériter.