Né en 1967, ce jeune ancien élève de l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm est aujourd'hui un journaliste politique qui compte et c'est tout de même ce qui fait un peu peur tant l'homme brillant est terriblement suffisant, limite méprisant et parfaitement partisan.
Formé au Point puis Europe 1, il rejoint ensuite le service politique de l'Express (en 1996) pour prendre le poste de directeur adjoint de la rédaction (en 2001). Parcours météorique dans les traces de Denis Jeambar, son mentor.
L'apothéose survient en 2006 lorqu'il lui succéde.
La rupture est alors de mise puisque pour s’assurer du renouvellement des équipes et de leur discipline, il demande aux rédacteurs en chef de l'hebdo de… tous démissionner !
Côté ligne éditoriale, le journal trés anti-chiraquien/Villepin finalement ne bouge guère basculant juste peu à peu ouvertement en pro-Sarkozy. Difficile de l'affirmer cependant puisque l'intéressé clame haut et fort que le journalisme doit être engagé mais non partisan. Bon je veux bien même si en lecteur régulier (comme de l'ensemble des hebdos français, d'une partie de la presse quotidienne nationale et la PQR de l'Est) je ne peux que relever qu'un numéro sur deux de l'Express est consacré au nouveau Président, son ex-femme, sa future. S'il avait des animaux de compagnie, nul doute que nous aurions eu droit à une jolie couverture dans les jardins de l'Elysée…
Ces derniers mois outre cette idolâtrie croissante, il s'est distingué en soutenant la réforme des tribunaux d'instance mise en oeuvre par Rachida Dati (tout en éreintant cette dernière sur ses vrai-faux diplômes) selon un motif original : ce sont les tribunaux qui créent la demande judiciaire. Moins il y a de tribunaux, moins les français seront tentés d'engager une procédure. Pour la Patrie des Droits de l'homme que nous fûmes, c'est une nouvelle révolution qui fera bien des émules dans les dictatures du monde entier…
"Mais il faut éviter de tomber dans le travers inverse, c'est-à-dire de surdoter le pays en institutions judiciaires, qui incitent tout un chacun à judiciariser son comportement, à entraîner notre collectivité vers la pratique systématique du conflit judiciaire pour juger tel ou tel différend."
Il faut dire que l'ami Barbier n'a pas une trés haute considération du bas peuple que nous sommes. Ce passionné de théâtre a fondé une troupe, certes, mais uniquement composée de normalien comme lui. On ne va pas se mélanger non plus car le gailllard a une certaine opinion de sa petite personne, il n'hésite d'ailleurs pas quelques comparaisons hardies : "La marque, c’est L’Express. Moi je suis l’ambassadeur de la marque, un peu comme Claudia Schiffer a pu l’être avec Loréal !".
Elitiste, parisien, il ne peut que dresser un portrait particulier et catégorique de notre pays en 2007 : "Enfin les gens ne se réjouissent pas parce que travailler ne plait plus. Pour une part croissante de la population, le travail est un mal nécessaire, et la passion du boulot ne touche plus qu’une minorité. Fierté de l’ouvrier, dévouement du fonctionnaire, zèle de l’artisan : ces vertus sont rares, et l’on adore plutôt, au magasin, à l’échoppe ou au bureau, la déesse des RTT et ses vestales : pause-cigarette, arrêt-maladie, récup, etc.
Les Français ne sont pas aussi contents qu'ils devraient l'être de voir que le chômage baisse parce que les Français n’aiment pas beaucoup travailler. "
La population active française composée de quelques 28 millions de personnes appréciera… avec une productivité par heure travaillée en France parmi les plus élevées au monde.
Peu importe après tout puisqu'il nous éclaire indépendamment, lui et pas les autres : "Le Point est de droite, l’Obs de gauche, c’est leur droit. Nous, nous sommes indépendants. Ni à gauche, ni à droite, on ne roule pour personne."
C'est vrai qu'il multiplia cet automne les accrochages avec Frantz Olivier Giesbert (Le Point) notamment au sujet de Rachida Dati, accusant FOG de se soumettre alors que lui résistait aux pressions.
Le même directeur de la rédaction de L’Express déclarait un beau dimanche sur LCI que Carla Bruni, « une amie », lui avait confirmé en personne sa relation avec le président de la République. Drôle de conception de la résistance et bascule du journal "Tous les jours, toute l'info" dans un people digne de Voici, Gala et autres Paris-Match. L'annonce du divorce ? dans l'Express. L'annonce de la nouvelle relation présidentielle ? dans l'Express. Le portrait de la nouvelle favorite ? dans l'Express bien sûr mais pas seulement car Barbier est partout, sur le net (blog Sarkozy an I, ça positionne…) I-télé, LCI…
Mais là honnêtement, trop c'est trop. Le dernier numéro de l'Express est une aberration basée sur une couverture "Carla Bruni – Enquête sur une femme qui dérange" avec en tout petit en haut à droite, un encart de 3cm2 intitulé "Bourse les raisons du Krach". La répartition révèle le choix éditorial, celui d'une peopolisation inventée. Inventée car l'annonce d'une enquête est pour le moins racoleur, et présenter Carla Bruni comme une femme qui dérange reste pour moi un mystère.
Mais que dire du contenu… ça commence comme ça (accrochez-vous parce que ça arrache un peu) : "Telle une étoile dans le microcosme, elle a surgi au cœur de l'actualité un dimanche de décembre. Les Français avaient la tête aux cadeaux et aux festins, mais soudain ils se sont mis à ne plus parler que d'elle, que d'eux: le couple Carla-Nicolas a chassé des commentaires de table, pour la Noël 2007, le sempiternel duo dinde- foie gras. Disneyland, Louxor, Charm-el-Cheikh, Pétra… Le tourisme élyséo-amoureux a focalisé l'attention, comme si Lapin voyeur avait supplanté Bison futé pour les retours de vacances."
Pauvres de nous, nous voilà réduits à ne penser que futilités (car bien sûr dans la société théâtralisée de Monsieur Barbier tous les français ont les moyens de faire des cadeaux et des festins…) et à ne plus parler que d'elle. Curieux je dois faire partie de l'élite barbierriste pour n'avoir pas été frappé par le phénomène ? à être taxé de Lapin Voyeur quand 93% des français estiment que la vie du président est surmédiatisée !
Mais n'est ce pas vous Monsieur Barbier qui vous enfermez dans un épiphénomène qui n'intéresse que vous ? pire ne créez-vous pas vous-même ce phénomène à des fins peu éthiques ? ami de Carla Bruni, vous êtes surtout le rédacteur en chef d'un journal racheté par le groupe belge Roularta, dont l'unique ambition est de … doubler la rentabilité du titre. Alors il faut vendre plutôt que penser, céder au marketing politique. Mais comment une telle conversion est elle possible vous qui en 2006 preniez un recul nécessaire : « Il est un moment où le silence est le seul témoignage possible de la lassitude et du scepticisme. Or, au lendemain de l'affaire Clearstream et en pleine Ségomania, tels sont les deux sentiments qui dominaient mon esprit. Toute explication, brève ou bavarde, m'aurait semblé une caution pour cette phase d'intense marketing politicien. » confessiez-vous alors.
Et aujourd'hui ? comment interpréter une de vos affirmations profondes comme "L'Express se doit d'analyser la «révolution carliste»" ?
Le meilleur de l'idolâtrie Express est pour la fin : "Dans une époque qui craque de mille changements, Carla Bruni est la femme too much qui bouscule la France trop sage, la femme qui dérange parce qu'elle est différente. Ange ou démon, Carla est la nouvelle icône de la modernité."
N'en jetez plus la dérive frise le naufrage !
"Quand on a la chance d’être à la tête d’un grand journal, il faut savoir garder ses nerfs", écrit le chef de la rédaction du Point à celui de L'Express".
Je dirais plutôt que quand on a la chance d'être à la tête d'un grand journal on a le devoir d'assurer un traitement de l'information digne et juste, l'obligation d'oeuvrer à l'expresion des vrais sujets de notre temps, l'interdiction de dilapider plus de 50 ans d'histoire.
Sartre, Camus, Malraux, Mauriac, Aron ont écrit dans le journal de Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber !
Anticolonial, opposé à la torture en Algérie, ce journal fut un témoin des années 60 à il n'y a pas longtemps, tantôt à droite, tantôt à gauche mais toujours avec conviction.
"Carla Bruni – Enquête sur une femme qui dérange", voilà où il en est aujourd'hui…
Un espoir subsiste, le bon sens, le bon sens proverbial qui dit qu'"un barbier rase l'autre"…