« Nous nous proposons d’?uvrer à développer davantage le système des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans notre pays afin de conforter nos choix nationaux en la matière », a déclaré le chef de l’Etat tunisien Zine El Abidine Ben Ali jeudi dernier, alors qu’il recevait les v?ux du corps diplomatique. Est-ce le début d’une ère nouvelle dans le pays maghrébin, régulièrement épinglé pour non respect des droits humains ? Souhayr Belhassen le voudrait bien, mais elle en doute. La présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), interviewée lundi, explique à Afrik pourquoi. La vice-présidente de la Ligue tunisienne des droits de l’homme revient également sur deux de ses priorités de sa mandature : l’égalité des sexes et la protection du droit des migrants.
Interview de Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme :

Afrik.com : Que pensez-vous de l’annonce du président tunisien de prendre des mesures institutionnelles en faveur de la promotion de droits de l’homme ?

Souhayr Belhassen : Je voudrais dire que c’est un signe positif, mais je crains fort que ce ne soit qu’un effet d’annonce car de telles annonces ont déjà été faites à plusieurs reprises. Cette fois, ce qui est nouveau, c’est qu’il parle de donner plus d’autonomie et de pouvoir au Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui, on le sait, est le genre d’institutions nationales qui sont là pour soigner l’image extérieure d’un pays. Il serait question que le Comité puisse désormais visiter les prisons, recueillir les plaintes… une tâche que remplissait la société civile à travers la Ligue tunisienne des droits de l’homme – empêchée de travailler depuis deux puisqu’elle ne peut tenir son congrès. Je crains que la mesure du président ne serve qu’à retirer de façon formelle le rôle joué par la Ligue tunisienne. Je crains par ailleurs que l’annonce du président ne soit une façon pour lui de préparer le passage devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en avril et la prochaine visite du président français Nicolas Sarkozy.

Où en sont les droits de l’homme en Tunisie ?

Nous sommes le 28 janvier. Le procès dit de Soliman passe demain en appel. En première instance, deux islamo-terroristes qui avaient monté le coup d’Etat de janvier dernier ont été condamnés à la peine de mort. C’est une première et nous craignons que cette peine ne soit appliquée. Nous avons envoyé un avocat-observateur au nom de la FIDH et du barreau de Paris pour assister au procès en appel, qui a été mis en place avec une rapidité incroyable : dix jours après la condamnation. Par ailleurs, des étudiants (syndicalistes, ndlr) ont été arrêtés il y a une dizaine de jours à Tunis mais aussi à Sousse, une ville côtière. Des cas de torture sont aussi rapportés.

La création du premier syndicat des journalistes tunisiens est-elle une bonne nouvelle pour la liberté de la presse ?

Nous l’avons encouragé car il est indépendant. Mais vu l’environnement répressif et fermé, il lui sera difficile d’agir. Il faut vraiment être solide pour lutter contre la censure. Les journalistes qui ont formé ce syndicat sont jeunes… Mais j’attends de voir ce qu’il en est pour juger sur pièce.

Que prône la FIDH pour faire respecter les droits de l’homme en Tunisie ?

Qu’on libère les activités de la Ligue tunisienne des droits de l’homme – qui fait l’objet de 33 procès – qu’elle puisse tenir son congrès, qu’elle puisse fonctionner normalement. Nous demandons la reconnaissance et la liberté d’exercer du Conseil national des libertés de Tunisie, qui fait un travail extraordinaire depuis dix ans, de l’Association contre la torture, de l’Association des prisoniers politiques et de toutes les autres associations de terrain indépendantes. Nous demandons également que les partis reconnus puissent siéger au parlement.

L’un de vos principaux combats est l’égalité des sexes…

Nous sommes à la veille d’une réunion importante au niveau international. La question de la femme est prioritaire et je souhaite porter cette revendication issue de nos organisations membres. Il faut qu’on puisse au niveau africain et arabe qu’on puisse poser la question de la femme sans la pollution qui l’entoure, notamment au niveau culturel. Les droits de la femme sont universels et doivent être respectés. Il s’agit du droit pour le droit. Nous menons dans le monde une grande campagne pour obtenir l’application de la Convention des Nations unies sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (Cedaw). Les régimes arabes qui l’ont ratifiée l’ont pratiquement vidée de son sens. Nous encourageons les associations de femmes à approcher les gouvernements et les parlementaires afin de faire respecter la Cedaw.

Une autre de vos priorités est la protection des droits des migrants…

Avec nos 155 ligues dans une centaine de pays, nous avons des partenariats Nord-Sud, Sud-Nord, Sud-Sud. Entre le Sud du Sahara et la Libye, nous voyons comment réguler les flux migratoires. Nous réfléchissons, nous enquêtons, nous dénonçons, élaborons des plaidoyers. Lors d’un séminaire à Doha (Qatar, ndlr) sur l’Asie et les pays du Golfe, nous avons analysé et élaboré des recommandations pour que les pays émetteurs et récepteurs de migrants s’organisent au nouveau social et économique, entre autres pour empêcher l’esclavage moderne.

En parlant de migrants, la Libye a récemment annoncé qu’elle allait expulser tous les clandestins de son territoire. Quelle est votre position ?

Nous avons dénoncé très sérieusement tout ça. Régulièrement, la Libye fait ce genre d’annonce et généralement elle renvoie les Subsahariens, les Maghrébins et les Moyen-Orientaux par vagues entières. Les pays de main-d’?uvre dont les ressortissants sont en Libye protestent mollement ou craignent de protester parce que Tripoli exerce un chantage : elle fait pression sur les pays voisins en les menaçant de renvoyer leurs ressortissants s’ils n’agissent pas comme cela lui convient.

La mondialisation est aussi l’une de vos préoccupations. Que pensez-vous des Accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) que certains chefs d’Etats et artistes dénoncent ?

Il était dans l’intérêt de l’Europe et des pays ACP de passer ces accords. Il est vrai qu’ils fragilisent les économies, qui ne sont pas assez solides pour affronter les produits européens. Mais il y a un bémol : beaucoup de pays africains n’ont pas installé la bonne gouvernance, n’ont pas lutté contre la corruption, n’ont pas fait d’efforts et ont profité de l’aide internationale pour installer un régime corrompu. C’est aussi une constatation qu’il faut faire. Il n’est donc pas si évident que les APE soient condamnables à 100% : il y a des efforts à faire des deux côtés.

Afrik – mardi 29 janvier 2008, par Awa Traoré

Lire aussi : Souhayr Belhassen, première présidente de la FIDH

 

« Nous nous proposons d’?uvrer à développer davantage le système des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans notre pays afin de conforter nos choix nationaux en la matière », a déclaré le chef de l’Etat tunisien Zine El Abidine Ben Ali jeudi dernier, alors qu’il recevait les v?ux du corps diplomatique. Est-ce le début d’une ère nouvelle dans le pays maghrébin, régulièrement épinglé pour non respect des droits humains ? Souhayr Belhassen le voudrait bien, mais elle en doute. La présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), interviewée lundi, explique à Afrik pourquoi. La vice-présidente de la Ligue tunisienne des droits de l’homme revient également sur deux de ses priorités de sa mandature : l’égalité des sexes et la protection du droit des migrants.
Interview de Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme :

Afrik.com : Que pensez-vous de l’annonce du président tunisien de prendre des mesures institutionnelles en faveur de la promotion de droits de l’homme ?

Souhayr Belhassen : Je voudrais dire que c’est un signe positif, mais je crains fort que ce ne soit qu’un effet d’annonce car de telles annonces ont déjà été faites à plusieurs reprises. Cette fois, ce qui est nouveau, c’est qu’il parle de donner plus d’autonomie et de pouvoir au Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui, on le sait, est le genre d’institutions nationales qui sont là pour soigner l’image extérieure d’un pays. Il serait question que le Comité puisse désormais visiter les prisons, recueillir les plaintes… une tâche que remplissait la société civile à travers la Ligue tunisienne des droits de l’homme – empêchée de travailler depuis deux puisqu’elle ne peut tenir son congrès. Je crains que la mesure du président ne serve qu’à retirer de façon formelle le rôle joué par la Ligue tunisienne. Je crains par ailleurs que l’annonce du président ne soit une façon pour lui de préparer le passage devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en avril et la prochaine visite du président français Nicolas Sarkozy.

Où en sont les droits de l’homme en Tunisie ?

Nous sommes le 28 janvier. Le procès dit de Soliman passe demain en appel. En première instance, deux islamo-terroristes qui avaient monté le coup d’Etat de janvier dernier ont été condamnés à la peine de mort. C’est une première et nous craignons que cette peine ne soit appliquée. Nous avons envoyé un avocat-observateur au nom de la FIDH et du barreau de Paris pour assister au procès en appel, qui a été mis en place avec une rapidité incroyable : dix jours après la condamnation. Par ailleurs, des étudiants (syndicalistes, ndlr) ont été arrêtés il y a une dizaine de jours à Tunis mais aussi à Sousse, une ville côtière. Des cas de torture sont aussi rapportés.

La création du premier syndicat des journalistes tunisiens est-elle une bonne nouvelle pour la liberté de la presse ?

Nous l’avons encouragé car il est indépendant. Mais vu l’environnement répressif et fermé, il lui sera difficile d’agir. Il faut vraiment être solide pour lutter contre la censure. Les journalistes qui ont formé ce syndicat sont jeunes… Mais j’attends de voir ce qu’il en est pour juger sur pièce.

Que prône la FIDH pour faire respecter les droits de l’homme en Tunisie ?

Qu’on libère les activités de la Ligue tunisienne des droits de l’homme – qui fait l’objet de 33 procès – qu’elle puisse tenir son congrès, qu’elle puisse fonctionner normalement. Nous demandons la reconnaissance et la liberté d’exercer du Conseil national des libertés de Tunisie, qui fait un travail extraordinaire depuis dix ans, de l’Association contre la torture, de l’Association des prisoniers politiques et de toutes les autres associations de terrain indépendantes. Nous demandons également que les partis reconnus puissent siéger au parlement.

L’un de vos principaux combats est l’égalité des sexes…

Nous sommes à la veille d’une réunion importante au niveau international. La question de la femme est prioritaire et je souhaite porter cette revendication issue de nos organisations membres. Il faut qu’on puisse au niveau africain et arabe qu’on puisse poser la question de la femme sans la pollution qui l’entoure, notamment au niveau culturel. Les droits de la femme sont universels et doivent être respectés. Il s’agit du droit pour le droit. Nous menons dans le monde une grande campagne pour obtenir l’application de la Convention des Nations unies sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (Cedaw). Les régimes arabes qui l’ont ratifiée l’ont pratiquement vidée de son sens. Nous encourageons les associations de femmes à approcher les gouvernements et les parlementaires afin de faire respecter la Cedaw.

Une autre de vos priorités est la protection des droits des migrants…

Avec nos 155 ligues dans une centaine de pays, nous avons des partenariats Nord-Sud, Sud-Nord, Sud-Sud. Entre le Sud du Sahara et la Libye, nous voyons comment réguler les flux migratoires. Nous réfléchissons, nous enquêtons, nous dénonçons, élaborons des plaidoyers. Lors d’un séminaire à Doha (Qatar, ndlr) sur l’Asie et les pays du Golfe, nous avons analysé et élaboré des recommandations pour que les pays émetteurs et récepteurs de migrants s’organisent au nouveau social et économique, entre autres pour empêcher l’esclavage moderne.

En parlant de migrants, la Libye a récemment annoncé qu’elle allait expulser tous les clandestins de son territoire. Quelle est votre position ?

Nous avons dénoncé très sérieusement tout ça. Régulièrement, la Libye fait ce genre d’annonce et généralement elle renvoie les Subsahariens, les Maghrébins et les Moyen-Orientaux par vagues entières. Les pays de main-d’?uvre dont les ressortissants sont en Libye protestent mollement ou craignent de protester parce que Tripoli exerce un chantage : elle fait pression sur les pays voisins en les menaçant de renvoyer leurs ressortissants s’ils n’agissent pas comme cela lui convient.

La mondialisation est aussi l’une de vos préoccupations. Que pensez-vous des Accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) que certains chefs d’Etats et artistes dénoncent ?

Il était dans l’intérêt de l’Europe et des pays ACP de passer ces accords. Il est vrai qu’ils fragilisent les économies, qui ne sont pas assez solides pour affronter les produits européens. Mais il y a un bémol : beaucoup de pays africains n’ont pas installé la bonne gouvernance, n’ont pas lutté contre la corruption, n’ont pas fait d’efforts et ont profité de l’aide internationale pour installer un régime corrompu. C’est aussi une constatation qu’il faut faire. Il n’est donc pas si évident que les APE soient condamnables à 100% : il y a des efforts à faire des deux côtés.

Afrik – mardi 29 janvier 2008, par Awa Traoré

Lire aussi : Souhayr Belhassen, première présidente de la FIDH

 

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