Après Chavez, récemment éconduit par le président Uribe, Nicolas Sarkozy est appelé par le gouvernement Colombien et les Farc à la table de négociation. Dans cette version moderne d’on «délivre de la jungle», notre Mowgli national, le têtu «petit d’homme», peut craindre des dangers plus redoutables que la mâchoire acérée de Dominique Shere Khan, le regard hypnotiseur de Ségolène Kaa ou le coup de griffe du débonnaire ours Bayroo.
Mine de rien, de Neuilly à Bogota et à défaut de celle du pouvoir d’achat, notre omni président est en train de se faire une spécialité de la libération d’otages. Après les bambins de la maternelle de Neuilly, les infirmières bulgares en Libye, quelques aventuriers d’une arche perdue (et parfaitement oubliée depuis) au Tchad, c’est au tour d’Ingrid Betancourt en Colombie.
Toutefois, cette dernière opération n’est pas sans risques. J’en vois principalement deux.
Tout d’abord, négocier avec les Farc peut s’avérer plus ardu que faire dérailler l’ersatz de guérilla marxiste qui avait récemment pris en otages 60 millions de Français. Les Farc ne sont ni l’armée enterrée de Xian, ni Sud Rail (de coke ?), pas plus que leur chef Manuel Marulanda Vélez, alias Tirofijo « Tir précis », ne passe pour le leucoderme et barbu cousin d’Idriss Déby ou de Bernard Thibault.
Sans parler des difficultés techniques dont la moindre n’est pas de savoir comment convoyer, au cœur d’une jungle aussi profonde qu’inhospitalière, le contenu de deux Airbus de plumitifs inféodés, troubadours en mal de reconnaissance et autres ministres en rupture de ban qui, depuis six mois, collent aux basques du président comme la déprime à la France d’en bas.
Second point, loin de moi l’idée d’être bassement chafouin, mais il faudrait qu’un minimum d’éthique préside à cette négociation. L’idée même de s’y associer ne constitue-t-elle pas une justification, une reconnaissance des Farc ? Ils souhaitent la présence de Nicolas Sarkozy. Le Monde révèle aujourd’hui qu’un « commandant des Farc, Ivan Marquez, avait insisté, le 1er décembre, sur le rôle très important du président français dans la suite à donner aux négociations ».
Et comment ne pas s’inquiéter quand Rodrigo Granda, considéré comme le n° 2 des Farc et libéré en juin 2007 par le président colombien Alvaro Uribe à la demande expresse de son homologue français, déclare dans Libération « Pour Sarkozy, nous sommes un mouvement de libération » ? Lire également à ce sujet un autre entretien accordé au Monde diplomatique.
Même les causes les plus nobles peuvent être avilies au nom du pragmatisme, de l’obsession du résultat ou à des fins de coup médiatique. Pour preuve, ce récent voyage présidentiel au Tchad, du reste parfaitement inutile, et les marques de gratitude déplacées voire obscènes d’un président français déclarant « le président tchadien Idriss Déby Itno peut compter sur ma reconnaissance et mon amitié » et autres réjouissants « Merci, cher Idriss, pour ta collaboration ».
La fin justifie-t-elle toujours les moyens ? Le barnum médiatique autour d'une négociation vaut-il plus qu'une négociation secrète ? Idriss Déby reste un dictateur sanguinaire. Et rappelons tout de même que les Farc sont qualifiées d’organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. Que leur pain quotidien est fait de prise d’otages (2 000 estimés, la plupart « économiques » dont plus de 300 enfants et 56 « politiques » dont Ingrid Betancourt), d’extorsion de fonds, de soutien au marché de la drogue, sans compter les dizaines de milliers d’assassinats.
A force d’impeccables succès diplomatiques et de nobles ingérences, étalés de JT de 20H en JT de 20H, il ne faudrait pas qu’on finisse un jour officiellement plus copains que cochons avec la crème des tyrans et des assassins de la planète.
Voilà pour moi les deux dangers qui guettent le président français. Ils ne sont au fond que la résultante de deux originalités de l’homme :
– son entrain vibrionnant : ce besoin vital d’aller sur le terrain, d’en découdre partout où ça barde, cette soif d’immédiat, cet appel systématique à l'émotion quitte à mettre en scène le malheur, ce parti pris de transes absolument médiatiques que je trouve personnellement grotesque ;
– son obsession de « réussir » : il y concentre toute son énergie au prix d’un « équilibre fragile » entre héros de Nietzsche (pour la volonté de puissance) et Faust (pour la tentation, le pacte avec Satan).
Tiens ! Je risque une suggestion… Plutôt que d’y aller lui-même, pourquoi ne pas y envoyer une délégation française, composée de pointures endurcies au mal telles l’abbé Denis Gautier-Sauvagnac et son élixir à fluidifier les relations, l’« idiot » présidentiel David Martinon, accompagnés par exemple de Didier Barbelivien, Mireille Mathieu ou tout autre arme de destruction massive de la culture française ? Une telle brochette me paraît indiscutablement apte à faire libérer les otages voire, si Dieu veut, à vendre un ou deux rafales aux Farc, en prime.
Mais j’entends ça et là, au détour de blogs subversifs, certaines mauvaises langues avancer qu’il n’y aurait pas que des inconvénients si l’affaire venait à tourner vinaigre et si Nicolas et le contenu des Airbus qu’il remorque (j’espère qu’on préviendra Alain Delon assez à l’avance pour qu’il se joigne à l’expédition) restaient prisonniers de la forêt colombienne. Disons jusqu’en juin 2012.
A l’idée d’une telle éventualité (à défaut de faire une consommation immodérée des végétaux psychotropes dont la Colombie nous inonde, on peut toujours rêver), je me permets de conseiller à ceux qui seraient du voyage d’emporter avec eux le « Manuel des Castors Juniors ». Cette formidable encyclopédie est aussi essentielle à la survie en jungle subtropicale que jogging et cagoule le sont à celle en banlieue parisienne. Il pourront ainsi, au fil de longues années de captivité végétative, y puiser ces mille et une astuces fort utiles à l’otage retenu en centre Colombie, et notamment comment construire un piège à mygale avec une boîte de camembert, un trombone et une pompe à vélo ou encore terrasser le guérillero le plus féroce en lui donnant à choisir entre la lecture des œuvres complètes d’Henri Guaino et celle du mini-traité simplifié européen.
Nul doute que leur libération n’en serait que facilitée, sachant qu’il serait parfaitement illusoire pour eux de compter sur la diligence de leurs successeurs en France (n’est-ce pas Dominique ?), sur l’émotion des mélomanes et cinéphiles, ou plus simplement sur la compassion du Français moyen, miné qu’il est par des soucis plus concrets tels l’échéance du prochain tiers prévisionnel, la note de gaz ou le futur nominé de Nouvelle star.
Le mieux, à tout bien réfléchir, serait de refuser cette « bizarre » invitation qui passerait par ailleurs pour une incongruité diplomatique si elle était faite au président américain ou à la chancelière allemande. D'arrêter d'étaler tout cela à plein médias. D'une part, je pense que c'est improductif. D'autre part, cela éviterait que la France ne se transforme un jour… en dindon de la Farc.
Sources
Le site official des Farc (en espagnol)
Entretien avec Granda (Libération)
Entretien avec Granda (Le Monde diplomatique)
Décision du Conseil du 21 décembre 2005 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme