Une certaine idée de la justice

Il paraît que la presse s’en est faite l’écho cette semaine. Moi je n’ai rien vu passer ni même rien entendu. C’est un mail reçu ce matin et qu’un de mes amis m’a fait suivre qui est à l’origine de mon billet.
Ce mail qui porte pour titre « déjà dehors » est signé de l’Institut pour la Justice. Une association dont j’ignorais l’existence il y a encore quelques heures et qui a pour but « de promouvoir par tous moyens légaux une meilleure organisation du système judiciaire en France, de meilleures politiques de protection de la personne et de maintien de l’ordre public, et de défendre les droits fondamentaux des personnes ». Y’a du boulot !

Si vous avez déjà lu quelques-uns de mes billets vous sauvez qu’en général j’affectionne l’humour sarcastique et parfois un peu noir. Mais là, je ne le sens pas.
Je ne suis pas de celle qui parvienne à rire de tout et à prendre assez de recul pour cela.

Agée aujourd’hui de 23 ans, Yalda (qui se fait appeler Emma) n’a pas toujours connu des jours heureux.
Elle débarque en France à l’âge de onze ans, tout droit de son Liban natal, en compagnie de sa mère réfugiée politique et de sa sœur, handicapée mentale. Son père, lui est mort au Liban suite à un accident de voiture.
Elève médiocre et multi redoublante elle est victime à l’âge de 14 ans d’un viol perpétré par trois individus. Sa mère finira par retirer sa plainte après avoir appris, de la part des agresseurs de sa fille, que cette dernière était consentante.

Janvier 2006, sa vie bascule.
Elle est à peine âgée de 17 ans quand elle est chargée de séduire un jeune homme, pris au hasard, contre la promesse de 3000 à 5000 euros. Elle s’acquitte de cette mission à la perfection comme un bon petit soldat mais ne touchera finalement pas la somme promise. Son ex-amant, commanditaire, la remerciera tout de même en lui offrant une nuit d’hôtel 3* pour une somme de 108€ le soir même de son « contrat ».

La fin tragique de sa cible la mènera, elle et ses nombreux complices, à être jugés en avril 2009.
Celle que les experts psychiatres ont qualifiée de « séductrice influençable qui aime plaire » sera condamnée, le 11 juillet 2009, à une peine de 9 ans de prison (10 à 12 ans ferme avaient été requis).
Parce que la justice est indépendante ( !) Michèle Alliot-Marie, alors Garde des Sceaux, avait demandé qu’un procès en appel ait lieu pour ceux dont les peines étaient inférieures à celles réclamées lors des réquisitions faites par l’avocat général. Si tous les protagonistes rejugés ont vu leurs peines aggravées, celle de la jeune Yalda est restée la même que lors du premier procès.

 

     

 

Emprisonnée à la maison d’arrêt des femmes de Versailles, difficile de savoir exactement ce qui se passe derrière les murs d’une prison.
Octobre 2010 une affaire dans l’affaire.
La presse se fait l’écho d’un secret de polichinelle pour qui logent derrière ces murs. Depuis prés d’un an, le directeur de la prison où la jeune femme est incarcérée est tombé amoureux d’elle.
Marié et père de famille, ce fonctionnaire de 42 ans, strict et jusque là irréprochable, a grandement amélioré les conditions de détentions de sa belle.
Un emploi de femme de ménage – avec autorisation de nettoyer le bureau de monsieur, seule avec lui- « quelques petites sommes d’argent » et « des puces de téléphone portables ».

  

  

Novembre 2010, Emma est transférée à la prison de Fresnes où son amant continue à l’appeler.
Suspendu de ses fonctions Florent Goncalves attend aujourd’hui son procès qui aura lieu le 15 février prochain tout comme Yalda qui elle comparaitra pour recel et devrait également être entendue en qualité de témoin.
« J’ai trouvé l’amour en prison. Je n’ai pas choisi d’aimer cet homme. Mais malgré tout, je lui dois beaucoup. Il a  réussi à me faire changer d’opinion sur les hommes et me faire guérir de mes blessures. »

Puisque la justice est ce qu’elle est, c’est donc libre que la jeune femme arrivera au tribunal.
Condamnée en 2010 à neuf ans d’emprisonnement elle a été libérée le mois dernier.
Certes, le code pénal n’est pas mon livre de chevet et je n’ai jamais été très copine avec les chiffres mais si je compte bien, c’est-à-dire date de condamnation additionnée aux nombres d’années de prison, en toute logique je devrais arriver à l’année de la sortie prévue de celle qu’on a surnommée « l’appât »…soit environ 2019.
Et si comme le précise son avocate, Maître Attias, elle n’a « pas bénéficié d’un traitement de faveur. Elle a eu au contraire un régime de défaveur» et que « sur instruction de la chancellerie pour ne pas la libérer, le parquet s’y est systématiquement opposé ».
Pas complètement faux puisqu’elle pouvait prétendre à une remise en liberté depuis 18 mois déjà.

Que dire alors au sujet des criminels qui sont jugés à de lourdes peines d’emprisonnement, sinon que tout cela doit leur paraître bien dérisoire.
Si « prendre perpet’» aujourd’hui ne veut plus dire grand-chose, il semble que ce soit tout notre beau système judiciaire qui repose sur les mêmes fondements : faire condamner des individus à des peines qu’ils n’effectueront quasiment jamais dans leur totalité.

 

 

Je m’étonne que la libération de celle qui, comme l’a précisé le juge lors du procès « c’est vous et bien vous seule qui avez choisi la victime » n’ai pas soulevé plus d’indignation.
A l’approche d’une votation prochaine dans notre pays j’aurais été curieuse de savoir ce qu’en pensent certain(e)s si pressé(e)s de devenir calife à la place du calife.

« L’individualisation de la peine se traduira par des régimes différenciés, adaptés aux capacités de réinsertion de chacun. L’obligation d’activité contribuera à transformer le temps de détention en temps de reconstruction. La préparation de la sortie sera facilitée par des procédures d’aménagements des peines élargies et simplifiées » Loi pénitentiaire – M. Alliot-Marie 2009

« Le grand rendez-vous de la France avec ses prisons » Rachida Dati – Loi pénitenciaire

« Point de départ d’une modernisation profonde de notre politique pénitentiaire » Michelle Alliot-Marie – Loi pénitentiaire

C’est bien ce que s’est attachée à faire Yalda
« Il faut laisser cette jeune femme tranquille, qu’elle se reconstruise. Emma a eu énormément de mérite et a décroché son Bac STG avec mention Assez Bien, dit Me Attias, alors qu’elle était arrivée d’Iran à l’âge de 11 ans ne parlant que le farsi et pas un mot de français.».
C’est vrai, ma foi, beau parcours et bel exemple de réinsertion !

Si l’ex directeur amoureux risque trois ans de prison, pour recel de puces volées, je ne m’inquiète pas trop quant à son devenir. Homme averti et connaissant sans doute parfaitement les rouages de la justice et ses  aménagements, gageons que c’est détendu et serein que Florent Goncalves se rendra à son procès, mercredi.

Quand à Yalda, « elle veut se réinsérer. La société doit la protéger des fous qui la poursuivent au lieu de la jeter à la poubelle, ou aux chiens pour qu’ils achèvent de la déchiqueter » et son avocate d’enfoncer le clou en poursuivant
«C’est de l’acharnement de la poursuivre pour si peu et bonjour l’affaire du siècle ! Si tous les détenus trouvés avec du cannabis ou des téléphones mobiles sont jugés pour recel, les tribunaux vont exploser. Aujourd’hui, Emma veut repartir de zéro et servir à quelque chose de bien ».

C’est vrai elle a maintenant la vie devant elle, ce que n’a plus Ilan Halimi.

 

 

 

 

7 réflexions sur « Une certaine idée de la justice »

  1. Dommage que les photos ne soient pas passées…
    On pouvait y voir « l’appât » et toute la naïveté se dégageant de son regard…!!!

  2. Bien que votre commentaire soit pertinent, je ne suis pas sûre d’en saisir la portée…y’a pas !!!

  3. [quote][i]Certes, le code pénal n’est pas mon livre de chevet et je n’ai jamais été très copine avec les chiffres mais si je compte bien, c’est-à-dire date de condamnation additionnée aux nombres d’années de prison, en toute logique je devrais arriver à l’année de la sortie prévue de celle qu’on a surnommée « l’appât »…soit environ 2019.[/i][/quote]

    Mais [b]VALADELIE[/b] c’est sans compter sur tout l’arsenal des subtilités de langage dont use et abuse la magistrature.
    Par exemple, cette condamnation était très certainement assortie de la mention [i] »…condamné(e) à X années d’emprisonnement, dont X [b]incompressibles.[/b] [/i]
    Mais des années « incompressibles » (celles qui sont effectives), il faudra encore décompter les mois voire les années de préventive déjà effectués, ce qui a pour effet immédiat de très souvent réduire considérablement la peine souvent prononcée …au nom du [i]Peuple Français[/i].
    Ca c’est juste pour faire bien, parce qu’on est en République. Mais du [i]Peuple Français,[/i] ils s’en tamponnent !

    C’est à ces aménagements d’importance qu’il est bon d’apprécier toute la saveur des subtilités juridiques ainsi que le bonheur des justiciables condamnés.

  4. Loin de moi l’idée de soutenir d’une quelconque manière cette jeune fille mais elle a fait 6 ans de prison sur les 9…car elle était incarcérée depuis 2006 et non 2010. Ne jamais oublier les années de préventive, qui sont LOGIQUEMENT déduites de la durée de la condamnation.

  5. @ Nadine et Siempre

    J’ai opté volontairement pour un article qui prouve combien notre justice – parce que c’est bien comme cela qu’il faut la nommer même si elle ressemble de plus en plus à un simulacre – est construite sur des fondements qui devraient être revus et corrigés.

    Il est temps me semble t-il d’engager une VRAIE réforme.
    La préventive est utile pour des tas de raisons alors autant l’inclure dans le calcul de la peine pour que les personnes, victimes indirectes, aies vraiment l’impression de bénéficier d’une justice digne de ce nom…par respect pour le [i]Peuple Français[/i]

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