La Commission européenne vient de signifier que la réintroduction, début février, d’une taxe de 6 % sur les profits des opérateurs de téléphonie mobile, contrevenait aux directives communautaires.
La Croatie devant intégrer l’Union européenne en juillet 2013, le gouvernement de Zoran Milanović et Radimir Čačić (vice-Premier ministre en charge de l’Économie) devra trouver autre chose.
Mais quoi ? Des capitaux des pays arabes, la privatisation des chemins de fer, d’autres taxes ?
Certes, l’entrée dans l’UE de la Croatie n’implique pas l’abandon de la kuna, la devise croate.
Mais on sait que même si la Grèce se retrouvait contrainte – rapidement, avant la mi-mars, ou plus tard – de revenir à la drachme, l’Union se devrait de la soutenir économiquement d’une manière ou d’une autre.
Or, il en serait sans doute de même pour la Croatie, qui est endettée à hauteur de 50 milliards d’euros, et paie déjà de trop lourds intérêts.
Austérité renforcée
Pour s’en sortir, le gouvernement croate a battu d’un point le record européen de hausse de la TVA, détenu par la Roumanie (24 %). Le nouveau gouvernement, depuis décembre dernier, a beau être de centre-gauche, il n’a guère le choix. Le pays est en récession, continuera de stagner en 2012 (la croissance sera inférieure à 1 %, possiblement négative), et Slavko Linić, le ministre des Finances, ne sait que proposer à ses collègues.
Il propose une réduction des dépenses publiques d’un milliard d’euros environ, mais ne sait trop où porter les coups. Comme en France et ailleurs, côté recettes, cette seconde augmentation de la TVA depuis son instauration en 2009, est loin d’être la panacée. Si les Croates réduisent leurs achats, ce qui est déjà le cas, les rentrées seront plus faibles. Alors, comment les augmenter ?
Sur le papier, taxer les résidences secondaires semble une bonne idée. Beaucoup de demeures sont des propriétés de Croates s’employant à l’étranger et les louant aux touristes en saison. Du temps de l’ex-Yougoslavie ou des débuts de l’indépendance, le prix unique des menus et des nuitées, selon les catégories, faisait du pays l’une des destinations européennes les moins chères. Lors de mon dernier passage à Dubrovnik, ville-écrin aussi courue que Prague, j’ai carrément fui vers la Bosnie voisine. Toute mesure comporte des effets pervers et la Croatie ne peut rapidement, hors nautisme, opter pour un tourisme de luxe.
Grande braderie
Comme en France, il a été décidé de confier les autoroutes (1 300 km) à des opérateurs privés. Mais il se trouve que leur tracé n’est pas optimal, hormis celui de l’A3 (Zagreb-Beograd). Les projets de privatisation touchent les assurances, les chemins de fer, les prisons, les sanatoriums, &c. Déjà, trois chantiers navals sont sur le point d’être cédés.
La relance par l’apport de capitaux étrangers est incertaine. La Croatie est faiblement attractive, hors tourisme côtier.
La suppression annoncée de diverses subventions au monde agricole pourrait entraîner des manifestations d’agriculteurs qui menacent de bloquer les routes, le patronat veut des lois sur le travail plus souples et des réductions d’emplois publics « au moment où notre pays se rapproche du scénario grec ». Le gouverneur de la Banque centrale, Zeljko Rohatinski plaide pour des réformes radicales. D’autre part, la Commission européenne s’inquiète de voir des personnages politiques déléguer à des entités juridiques leurs entreprises privées qui obtiennent des contrats de l’État, des collectivités et des entreprises publiques. L’ancienne Première ministre, Jadranka Kosor, est suspectée d’avoir puisé dans les fonds publics, et pas seulement pour financer sa campagne électorale.
Voisinage fragilisé
Les pays voisins, proches, comme la Serbie, ou plus lointains, comme la Hongrie ou la Roumanie, ne sont guère en meilleur état.
En Hongrie, la compagnie aérienne nationale, Malev, a jeté l’éponge et devrait rembourser à l’État 338 millions d’aides publiques.
La Hongrie est déjà au bord de la faillite, la Bosnie est minée par la corruption, la Serbie voit sa dette grimper de 4,75 millions d’euros par jour (55 euros à la seconde, 15 milliards à rembourser avec 900 millions d’intérêts), ses entreprises privées s’abritent dans des paradis fiscaux, &c.
En Serbie ou en Macédoine, comme en Grèce, la hausse des suicides est inquiétante.
Un incertain regain d’optimisme pourrait venir, sur le plan social, de la Roumanie. Certes la société civile demande toujours le départ du président Basescu, l’opposition exige des élections anticipées, mais le Premier ministre, Emil Bloc, démissionnaire, vient d’être remplacé par un « technicien ».
Il s’agit de Mihai Răzvan Ungureanu, qui était certes l’ancien chef des services secrets de contre-espionnage, mais nommé en raison de son passé de quasi-diplomate (il maîtrise huit langues). Une jeune économiste, Andreea Paul Vass, 33 ans, est nommée ministre de l’Économie. Parallèlement, 30 policiers de Bucarest viennent d’être arrêtés pour corruption, un ancien Premier ministre (Adrian Nastase) condamné pour le même motif, et le nouveau cabinet promet de s’attaquer à la corruption « au plus haut niveau ». Il assure aussi pouvoir desserrer un peu les drastiques mesures de rigueur…
Construction bancale
L’Union européenne reste certes une construction bancale du fait de la disparité de la compétitivité des économies des États membres, mais elle continue de faire ses preuves, notamment en matière de recherche technologique et scientifique. L’interdépendance est devenue si forte que, de toute façon, aucun pays, aucune région, ne peut être laissée à l’abandon. Il faudra bien investir de concert dans l’innovation, dans la maîtrise de la politique énergétique, des mesures environnementales, et mutualiser des ressources. Ce qui implique, même si l’austérité est mal répartie, un objectif de convergence et un projet de civilisation. Cela ne doit pas passer par uniquement des dons ou des subventions, mais une autre politique de prêts, à des taux compatibles avec les capacités de remboursement des États, pour favoriser les investissements et non les profits des banques.
Si ce n’est le cas, il faut s’attendre à des conflits, à la désertification progressive de vastes pans de territoires européens, à l’extension de zones de non-droit, au renforcement des mafias (qui gagnent du terrain et s’internationalisent beaucoup plus déjà).
On peut certes peser à court terme les avantages et les inconvénients d’intégrer la Croatie à l’Europe, mais si la vision comptable immédiate l’emporte, les conséquences à moyen et long terme pourraient être plus néfastes qu’envisagées…