La déclaration du ministre de l’Intérieur tunisien, Lofti Ben Jeddou, qui accuse un salafiste en fuite, Boubaker Hakim, d’avoir été le tueur de Chokri Belaïd, puis, près de six mois plus tard, de Mohammed Brahmi, laisse les Tunisiennes et les Tunisiens incrédules.
Soit il s’agit d’un mensonge, soit cela démontre encore davantage l’incompétence, voire la passivité complice du pouvoir…
Lequel fait donner ses mouvements de jeunesse pour tenir les rues ce vendredi. Mais l’opinion tunisienne retient aussi qu’Ennahdha a mis en coupe réglée la société tunisienne en plaçant ses affidés presque partout…

Certes, on ne peut guère compter sur le quotidien tunisien Business News pour énoncer des faits mettant en cause Ennahdha avec circonspection et détachement. C’est l’un des titres les plus virulents contre les « barbus » et les islamistes. Mais les faits sont les faits, les dates, les dates, et les chiffres, les chiffres…

Le principal parti de la Troïka, l’alliance gouvernementale au pouvoir en Tunisie, Ennahdha fait traîner les travaux d’élaboration de la constitution afin de mieux affermir son emprise et contrer les velléités d’obtenir rapidement de nouvelles élections. La fin des travaux constitutionnels a été une nouvelle fois repoussée, cette fois au 23 octobre prochain.

Mais entretemps, Ennahdha n’a pas chômé. Pas du point de vue du redressement économique mais de celui du noyautage des administrations. Abdelkader Lebbaoui, qui préside l’Union nationale pour la neutralité de l’administration et des services publics a recensé l’ensemble des nominations à des postes nationaux, régionaux, municipaux ou à la tête d’entreprises publiques. Résumé de Business News : « 86 % du total des nominations sont nahdhaouies ». 

Le renouvellement a particulièrement touché le corps des « omdas », des supplétifs contractuels de l’administration, chargés de contrôler l’accès aux prestations sociales. Certes, sous Ben Ali, les faits de corruption abondaient et la population souhaitait de profonds changements. Mais le renouvellement s’est fait principalement (pratiquement aux trois-quarts) au profit des pistonnés par Ennahdha.

Pour Noureddine Hlaoui, de BN, l’objectif est de « retarder le plus longtemps les échéances (…) mettre la main sur l’administration ». 

Une administration qui ne s’est pas vraiment distinguée par son efficacité et l’à propos de sa communication. Mohamed Brahmi aurait été tué, selon ministère de l’intérieur, hier jeudi à midi, par la même arme, d’origine libyenne (pourquoi pas ? mais le modèle et sa provenance initiale n’ont pas été divulgués), que celle ayant servi à l’exécution de Chokri Belaïd. Ce n’est pas invraisemblable, mais affirmer d’emblée que le tireur était le même, Boubaker El Hakim, dont le signalement avait été diffusé depuis mai dernier, sans préciser sur quel fondement, laisse l’opinion fortement dubitative.
Quatre des complices présumés du meurtre de Chokri Belaïd restent détenus, deux suspects ont été relâchés, huit autres seraient en fuite.

Va-t-on aussi lui imputer le sabotage du véhicule du syndicaliste Salah Zeghidi dont les câbles de freins ont été sectionnés à la scie à métaux. S. Zeghidi a porté plainte ce jour.

Divers partis d’opposition ont décidé de ne plus assister aux travaux de l’Assemblée nationale constituante. Certains se sont rassemblés sous la bannière d’un tout nouveau Front de salut national. Ses partisans ou sympathisants ont appelé ce matin à la désobéissance civile lors d’une manifestation sur l’avenue principale de Tunis (av. Habib Bourguiba). Najet Belaïd, sœur de Chokri Belaïd a estimé que les Tunisiens n’avaient pas assez pris en compte les « actes terroristes » dus à Ennahdah dans les années 1990.

Les mouvements de jeunesse du principal parti au pouvoir ont été mobilisés pour dénoncer la grève générale décidée par l’UGTT ou manifester leur soutien au gouvernement. Tunivisions (.net) a fait état d’incidents ayant visé des opposants. Pour Rached Ghannouchi (Ennahdha), le crime est le fait des nostalgiques de l’ancien régime, qui auraient manipulé des djihadistes. C’est en tout cas ce qu’il a laissé supputer à demi-mots. L’ancien ministre de l’Intérieur, Taher Belkhodja, a relevé que les deux victimes n’étaient pas des cibles naturelles pour Al Qaïda, mais que « d’autres parties » tunisiennes pouvaient avoir intérêt à les faire taire ou à fomenter des troubles. Bref, à susciter un scénario à l’égyptienne.

L’une des dernières décisions législatives a été d’autoriser le système des sukuks, soit des certificats d’investissement ou obligations qui sont l’une des clefs de la finance islamique. Selon Radio Mosaïque, c’est là l’un des vecteurs de l’emprise financière du Qatar et des Frères musulmans  : « bonjour la nouvelle colonisation ».

Dans son dernier entretien avec le quotidien tunisien Le Temps, le 21 juillet dernier, Mohamed Brami dénonçait : « Ces frères musulmans veulent mettre la main sur les richesses des pays qu’ils gouvernent et ce à travers les sociétés internationales qu’ils possèdent, et c’est ce qu’ils sont en train de faire en Tunisie où ils essayent d’acheter les terres agricoles par le biais du code des investissements et ce qu’ils appellent les  titres islamiques. Ils comptent détruire l’ancien système bancaire et les banques nationales et les supplanter par ce système, prétendument, islamique et des établissements bancaires dont on ignore le financement, les programmes, les projets et les propriétaires. ».

Des tensions se cristallisent aussi autour de la chaîne qatarie Al Jazeera. Ses équipes ont fait état de censure et d’harcèlement de la part des autorités égyptiennes, celle de Tunisie voulant filmer aux abords de l’hôpital où avait été emmené la dépouille de M. Brahmi a été prise à partie.

Le parti républicain, Al Jomhoury, membre de la Troïka, est profondément divisé. Plus de cent de ses membres, parmi lesquels cinq anciens ministres, sont entrés en dissidence et prôné la rupture avec Ennahdha.

Dans la région de Sidi Bouzid, dont était originaire M. Brahmi, trois permanences d’Ennahdha ont été incendiées (à Mazouna, Meknassi et Menzel Bouzayane). Un collectif animé notamment par le syndicaliste Slimane Rouissi, qui réunit diverses composantes syndicales, politiques, associatives, a décrété que la région ne reconnaissait plus le pouvoir central. Une cellule, qui a pris place dans le gouvernorat déserté, s’est instaurée « seule représentante légale de la région » de Sidi Bouzid. Le collectif a incité d’autres régions à suivre son exemple. Celle de Jendouba pourrait suivre.

La situation est incertaine et les premiers à en pâtir seront les acteurs du secteur du tourisme. Déjà, Didier Reynders, ministre belge des Affaires étrangères, a conseillé aux touristes de se cantonner dans les complexes les accueillant.

Pour le moment, les manifestations pro ou anti-Ennahdha n’ont rassemblé, dans la capitale, qu’environ deux milliers de personnes, réparties à peu près de manière égale, entre les deux composantes. En fait, l’immense majorité de la population retient son souffle. Dans la capitale, seuls de très petits commerces sont restés ouverts.

La présidence a chargé l’armée d’organiser des funérailles nationales. Elle sera représentée par le chef d’état major de l’arme de terre. Mohamed Brahmi sera inhumé demain, samedi, au cimetière du Jellaz à l’issue de la marche d’un cortège partant de la résidence familiale de la cité Al Ghazala.

Diverses rumeurs circulent à Tunis, l’une, démentie, du remplacement du chef de la police du secteur de l’Ariana (incluant la cité Al Ghazala), peu avant l’assassinat ; l’autre voulant qu’une voiture du ministère de la Santé, transportant des suspects, aurait rôdé autour du domicile de la victime et que des individus se seraient renseignés sur ses habitudes et déplacements.

 

 

“Najet Belaïd”

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