Lors du rassemblement du Front de Gauche, comme pour celui des résultats du second tour des élections présidentielles à la Bastille, la place fut pavoisée de drapeaux « régionaux » et étrangers, suscitant un flot de paroles et d’écrits. Qu’en penser ? En fait, de multiples choses, dont les porteurs d’étendards divers n’ont pas forcément des conceptions unanimes.

Jean-Luc Mélenchon a considéré qu’entre les deux tours des élections présidentielles les médias ne s’étaient plus intéressés qu’aux électeurs du Front national, éclipsant les autres sujets, sociaux en particulier, du débat électoral.

Admettons-le, et les législatives le démontreront aussi, l’électorat présumé « rassemblé » Bleu Marine (jusqu’à quand ?) est certes digne d’attention, mais ses réactions ne sont pas l’essentiel du débat public, national et international, et en prendre sans cesse le pouls distrait d’autres sujets de beaucoup plus graves et de plus cruciales ou imminentes préoccupations. Mais quand même…
Nicolas Sarkozy, mais aussi d’autres candidats, ont répété à l’envie leur attachement à la France, voire à son drapeau et ses symboles…

Ce non pas forcément à la remorque de Marine Le Pen, mais en renforçant la notion d’une identité nationale qui amalgamerait toutes et tous, en France, s’en réclamant.
Comme si cette identité n’avait qu’une seule et unique définition.

D’où, aussi, le débat sur le déploiement de drapeaux de régions ou pays de France, mêlés à ceux de nations étrangères, lors des rassemblements des diverses « forces de gauche » pour employer une expression devenue quelque peu désuète.

La France une et indivisible, qu’on aime ou qu’on quitte, telle est l’antienne d’une bonne part de divers électorats. Pourquoi pas ? Non, je ne suis pas « gangréné » par la propagande frontiste, mais sensible aux sentiments, plus qu’aux arguments parfois confus, voire contradictoires, de celles (moins de ceux, j’en connais fort peu) qui confortent, soit par leurs votes, soit par leurs intentions non suivies d’effet, la vague du Rassemblement Bleu Marine.

Relevons au passage que le sieur Jean-Yves Narquin, frère de Roselyne Bachelot, surfe sur le flot et se présentera contre l’UMP sous l’égide d’un fumeux Rassemblement républicain soutenu par le désormais nébuleux RBM. On sait ce que pense l’ancienne ministre du FN, et de son appareil… aussi de la « communauté » lesbigaytrans-je ne sais quoi.

Je le note car l’une des dernières en date des partisanes du RBM est une amie qui fut bisexuelle, comme sa compagne, une étrangère. Paradoxe ? Oui et non. On ne se définit pas que sur un seul ou deux-trois critères. Mes deux amies sont d’un très bon niveau intellectuel et d’études, toutes deux « déclassées » (dans une certaine précarité, mais non point du tout dans la misère), s’assument très bien en tant que lesbiennes et conjointes. Je ne sais laquelle a « contaminé » l’autre mais la xénophobie et l’étroitesse d’esprit ne les caractérisent absolument pas. L’une a vécu le démantèlement de l’ex-URSS, l’autre à longtemps séjourné au Moyen-Orient et ailleurs. Je ne suis pas resté sans voix du tout, passé l’effet de surprise : je pressens leurs craintes, que je partage moins, et nous avons discuté fort courtoisement, en toute confiance récriproque.

Que répondre ?

Que répondre à cette autre amie, qui a quitté à grand regret avec son compagnon un quartier parisien fortement multiculturel et amiable, pour s’installer dans un autre, plutôt, mettons « biculturel » qui ne leur convient pas ?

Ex-cadre supérieure, partageant la vie d’un « petit intellectuel » (pour caricaturer, mais je peux employer l’expression pour moi-même sans me sentir dévalorisé), elle me téléphone aux lendemains du second tour pour, appréhensive, me confier : « tu as vu les drapeaux à la Bastille ? Tu vois ce qui nous attend ? ».
Eh bien, je ne sais ce qui nous attend, du tout…

Son conjoint rêve d’une installation dans la province encore un peu rurale, aussi « pour ne plus voir cela », entre autres raisons variées.

Franchement, je ne sais pas, mais pas du tout ce qui nous attend… Tout dépendra de multiples facteurs mais je vois plutôt d’un bon œil les drapeaux bretons ou catalans dressés au milieu d’autres, tricolores français, frappés d’étoiles et d’autres symboles.

Je n’étais pas à la Bastille, préférant suivre les actualités ou « sonder la rue » autour de moi. J’y serai peut-être allé, muni du Gwenn ha du. Je suis donc « communautariste » ? Oui et non… Mettons autonomiste fédéraliste modéré. Ce qui n’est sans doute pas le cas du tout de la plupart de celles et ceux brandissant le drapeau de la nation de leurs parents, voire le leur (pour les Palestiniens, Turcs, Syriens, autres… mais ce n’est pas si simple). Si j’étais en sus de sensibilité culturelle juive, j’aurais peut-être aussi pu dresser et le drapeau breton, et le drapeau israélien, ainsi que l’européen…

Ce que je veux dire ainsi à mes amies, c’est que, quelque soit l’attachement à la culture française, voire à la nation française (les autonomistes bretons ne se situent pas tous en opposition), comment voulez-vous donc que nous manifestions notre sentiment de fraternité autrement ?

Il n’existe pas d’oriflamme maghrébin, pas plus que de moyen-oriental, ni même des nations celtiques (enfin, là, si, un, peu connu). Pas même de fanion symbolisant la Auld Alliance (de l’Écosse et du royaume de France, dont nos ancêtres étaient binationaux à part intégrale, totale, entière), mêlant chardon et fleur de lys (ou alors, idem, confidentiel – et puis, je reste républicain).

Certes, nous pourrions en créer de divers, histoire d’aller à telles manifestations. Ou mêler des symboles, ajoutés au guindant ou au battant, coudre des emblèmes marquant nos « appartenances ». Mais là encore, si nous ajoutions un trop petit emblème, ou un trop grand, ou incluions le tricolore (un peu comme divers pays du Commonwealth le font avec l’Union Jack), il se trouverait toujours des gens pour s’en offusquer.

Tu l’aimes ou…

Deux ressortissants britanniques, établis aux Bermudes, fort bien intégrés localement depuis plus de deux décennies, se sont vus priés d’en quitter le territoire avec leurs deux enfants. La lettre officielle du ministère de l’Économie des Bermudes était fort laconique ; soit en substance : vous avez perdu votre emploi, quittez le territoire le 26 avril 2012 au plus tard. Ils sont soutenus par des nationaux de ce pays et, paradoxe, par un député conservateur britannique. Oui, ce même député, Andrew Percy, qui félicitait David Cameron pour ses intentions de juguler l’immigration au Royaume-Uni.

Il n’y a pas vraiment « trop » de Britanniques aux Bermudes, mais son gouvernement applique la préférence nationale, tant bien même les ressortissants étrangers seraient fort appréciés, ce qui fut, 20 ans durant, le cas de la famille Tomlinson.

On peut néanmoins comprendre les Tomlinson, fort déçus et tentant de rester « chez eux », là où sont nés leurs deux enfants, là où ils sont scolarisés. Stephen était décorateur, Kirsty esthéticienne, et effectivement, a-t-on tant besoin aux Bermudes de tels professionnels ? Pas vraiment plus qu’en France à l’heure de mondialisation, des défis industriels.

En France, beaucoup de nationaux d’origines étrangères, de binationaux, d’immigrés de très longue date, s’assimilent, et sont assimilables aux Tomlinson. Mes amies prêtes à voter Bleu Marine, par crainte réelle ou exagérée des « autres », seraient sans doute dans les premières à s’offusquer que le programme du Front national soit appliqué sans discernement. D’ailleurs, elles ont des fréquentations amicales, conviviales, &c., avec nombre de ressortissants étrangers de toutes provenances.

C’est peut-être ce qu’il faudrait dire plus fortement tant à Jean-Luc Mélenchon qu’à Marine Le Pen, qui d’ailleurs n’en pensent sans doute pas moins en leur for intérieur : que vous opposiez frontalement vos appareils, soit, que vous donniez l’impression de mépriser aussi les sentiments forts divers de vos électorats adverses ou respectifs, non, pas comme vous le faites.

Il n’y a pas eu que des « rouges » cosmopolites interlopes, voire secrètement apatrides, à voter pour le Front de Gauche, pas que des « beaufs » obtus et xénophobes à porter leurs voix sur Marine Le Pen.

L’immigration – et je fus moi-même pour un trimestre immigré « indésirable » en tant que travailleur dans le Royaume-Uni de naguère, soit d’avant l’Union européenne – n’est pas toute blanche, toute noire. Ni même vraiment « grise ». J’aurais pu devenir un fort convenable citoyen britannique, toujours fortement attaché à la Bretagne, à la culture française…

Botter en touche

Ah, je dénaturerais le débat ? Pas davantage que les Tomlinson qui finiront peut-être par devoir faire non pas leurs valises, mais un bagage à la hâte.

La compagne de mon amie ne risque guère de se voir refuser un titre de séjour français de dix ans : sa profession est fort demandée, son français est bien, de fort loin même, supérieur à celui de maints autres « souchiens », elle est plutôt athée que théiste, &c.

Pourquoi donc n’en serait-il pas aussi de même chez nos concitoyennes et concitoyens d’origines étrangères lointaines ou plus récentes, ou pour nos voisines et voisins étrangers ?

D’ailleurs, Chères Amies, vous en convenez – aussi – parfaitement. Le mythe des « racines chrétiennes » vous fait tout autant sourire ironiquement que moi, tant qu’il reste tolérable et non instrumentalisé.

Aux États-Unis, me faisait remarquer un autre ami, le plus vociférant dans les tea parties, la plus véhémente des égéries de la droite xénophobe, voire raciste, est souvent une ou un descendant de familles mafieuses ou délinquantes de diverses origines, et pas qu’européennes. Le même phénomène, plus singulier (même si l’immigration en France est fort ancienne), se remarque au Front national.

De même a-t-on vu un temps, chez les Noirs américains, un très fort communautarisme africaniste.

La tendance « ku-klux-klan » au sein du Front national subsiste certes, mais elle a été marginalisée. Ce qui n’empêche pas le FN ou l’UMP de s’en jouer encore à l’occasion. Funeste tactique.

Peut-être qu’au contraire nous devrions nous réjouir de voir tous ces drapeaux sur une place française très symbolique de la culture politique nationale dans sa diversité (celles et ceux qui les brandissent en savent parfois bien davantage sur Louis-Philippe Ier et les Trois Glorieuses que tant de gens rassemblés autour de la statue de Jeanne d’Arc qui ne savent d’ailleurs pas trop qui était vraiment cette Pucelle qui appartient non seulement à la nation mais qu’un Irlandais, G. B. Shaw, s’appropriait aussi, et il y eut des Écossais aux côtés de « la Jeanne »). Il y a plus de 700 corps inhumés sous la colonne de Juillet (tués en 1830 et 1848), tous ne sont pas ceux d’ouvriers ou même de Français.

Ce sentiment de crainte en voyant flotter des drapeaux « étrangers » me semble révéler un fort manque de confiance en nos valeurs républicaines. Il fut un temps où on aurait pu voir brandi aussi le drapeau blanc du royaume puisqu’une partie des royalistes s’était ralliée à la candidature Mitterrand. Et quoi ? Gangrène absolutiste ?

Appréhension n’est pas crainte

Je me refuse à confondre maghrébins, « arabes » ou « kabyles » (eux aussi sont fort mélangés) et musulmans, même très modérés : pour certains d’entre eux, qui abhorrent l’islam, cette modération est encore excessive. Et bien sûr musulman, pratiquant ou non, et islamiste (des Françaises et des Français, très « souchiens » sont islamistes radicaux, d’ailleurs…). Primat des convictions et des idées, de la volonté du vivre ensemble, sur tout autre considération.

Cette histoire de drapeaux est-elle créée de toutes pièces par les médias ? Certes non… même pas exagérée puisque diverses formations ou personnalités politiques les ont précédés, et nombre d’entre vous, lectrices et lecteurs, amis ou connaissances, voisines et voisins, de même.

Sur le sujet, Martine Gozlan-Marianne (ce patronyme composé est presque tout un symbole), journaliste à Marianne, concluait : « le surgissement de drapeaux autres nous rappelait à la fois les cicatrices de ceux qui les portaient et les cicatrices de ceux qu’ils choquaient. Cette image bariolée racontait évidemment une France bien différente de celle du 10 mai 1981. À nous de la raconter sans cacher ses délivrances, ses fractures, ses risques. ». Soit sans haine et sans crainte, comme lors d’assises ou d’un je ne sais quel Grenelle. L’appréhension ne doit pas devenir crainte, la foi en l’humanité ne doit pas aveugler.

C’est fondamentalement en raison de l’essentiel des mêmes valeurs que bon nombre d’« étrangers », de nationalité française (Bretons, nous le restons) ou autres, d’électeurs de divers bords, partagent, que cette floraison de drapeaux divers ne me suscite aucune crainte.

Je ne sais si un emblème du SPD (drapeau rouge et sigle blanc) allemand est apparu sur la place. S’il l’avait été, je serais bien étonné que des panzerdivisionen « rouges » soient déjà à l’affut aux frontières de l’Alsace et de la Lorraine, aux bords de l’Escaut. Pourquoi y verrions-nous forcément une ingérence ?

Et puis, pour celles et ceux qui se disent « choqués », pourquoi ne pas tenter d’aller demander aux porteuses et porteurs ce qu’ils voulaient ainsi signifier ? Je gage que vous constateriez des motivations fort diverses, très nuancées (ou moins, mais même une opinion énoncée à l’emporte-pièce n’est pas toujours l’expression d’une pensée, d’une réflexion, de sentiments profonds).

Quel signal renvoient ces drapeaux ? Au fond, je ne sais. Certes pas le plus redoutable : la haine de s’accompagne jamais de sourires et de liesse. Mais surtout ne cherchons pas par avance à travestir ce que nous comprenons mal. Il en est d’ailleurs ainsi, pour moi, des opinions de mes amies qui n’ont pas voté du tout ou pas comme moi : je cherche encore à mieux les cerner, et comprendre.

De mêmes, Amies, ne prenez pas trop vite mes espérances pour de la naïveté… ou pire, d’un borgne parti pris. Le réel n’est-il pas aussi parfois ce que l’on tente d’en faire ? Si l’enfer n’était pavé que de bonnes intentions, alors, dites-moi : où sont donc passées toutes les mauvaises ? Peut-être de part et d’autre d’une ligne sinueuse, mouvante, indéfinissable. Les opinions, les ressentis, varient. Ne nous crispons pas à je ne sais quel incertain escient.

P.-S. – Je profite de cette « lettre ouverte », en dépit de l’opposition du socialiste J.-M. Ayrault, maire de Nantes, qui tient à ce que la Loire-Atlantique reste en Pays-de-Loire, pour signaler de nouveau l’attachement de l’électorat breton (majoritairement pour F. Hollande ou contre N. Sarkozy, comme on voudra), à la réunification des départements bretons.