On peut s’amuser de voir Jean-Luc Mélenchon affubler de noms d’oiseaux (comme chauve-souris) Marine Le Pen mais cela n’avance pas à grand’ chose. Mais serait-elle « demi-démente » en proposant une taxe douanière sur les importations, de 3 % ? Car il faut quand même en revenir à l’essentiel, au pognon.
Comment Paul Lamoitier, conseiller régional ex-FN (il a démissionné ou a été viré du Front national, on ne sait trop), et surtout grossiste-importateur de viande halal, répercuterait-il sur ses ventes une taxe de 3 % telle que préconisée et défendue par Marine Le Pen ?
Franchement, qui pourrait le dire ?
Tant qu’à faire d’ailleurs, cette taxe devrait aussi viser les viandes issues de bétail sacrifié en présence de rabbins ou d’imams étrangers, tant bien même seraient-ils résidents en France. Dommage que le Vatican soit en Europe. On aurait pu taxer les images pieuses, tant qu’à faire…
Mais ce serait un peu plus difficile à mettre en œuvre.
Et c’est bien la question de la mise en œuvre d’une telle taxe qui pose problème.
Selon Marine Le Pen, la fameuse taxe, rebaptisée pompeusement « contribution sociale », ce qui rappelle fort la défunte vignette automobile, serait indolore. Elle rapporterait 75 milliards d’euros en cinq, à périmètre constant (maintien du niveau actuel des importations), et ne ferait, selon Marine Le Pen, augmenter les prix à la consommation que de 0,9 %. L’affirmation n’est pas tout à fait fantaisiste, mais si vous alliez acheter, à Calais, ou Marseille, ou Bordeaux, « au cul du camion », c’est bien à hauteur de 3 % de pire que votre porte-monnaie serait délesté.
En fonction de l’importance du marché français pour tel ou tel produit, cette mesure pourrait être bénéfique pour l’industrie roumaine ou bulgare, par exemple. Pour éviter la taxe, il suffirait d’importer et assembler ou conditionner dans un pays à bas salaires de l’Union européenne. Cela étant, dire que cela pousserait des entrepreneurs français à se délocaliser, c’est aller vite en besogne. Certes Paul Lamoitier, qui aurait pu être communiste et propriétaire, ou écolo et rouler en 4×4, pourrait très bien déménager son agence du Cambrésis pour l’installer en Belgique. Patriote, d’accord, mais d’abord les pépettes, comme la plupart des cadres du FN. Mais pour d’autres industriels ou importateurs, ce ne serait pas si évident. Pour faire du halal, c’est une grosse farce (quelques poulets sacrifiés pour la forme dans le flux des 15 000 abattus mécaniquement à l’heure, l’important étant d’apposer, contre argent, un cachet de mosquée), mais pour le casher, comme le confiait l’autre conseiller régional FN Jean-Richard Sulzer, de confession israélite (voir supra à propos des cadres FN), c’est plus embêtant, tatillon, et engraisser un rabbin en Belgique, c’est plus cher…
Tout dépendra donc des produits, mais ce qui est sûr, c’est que le pauvre Paul sera plus déshabillé pour vêtir le pauvre Pierre que le riche Jacques pour gaver le riche Lucien. Jacques, lui, vend des poulets de Loué aux traiteurs qui approvisionnent Lucien. Et sans doute du foie gras polonais estampillé sud-ouest, du sanglier hongrois corsifié, &c. D’ailleurs, comme Paul Lamoitier et Jean-Richard Sulzer savaient verser de bonnes cotisations à Steeve Briois, ce dernier, voici peu, les justifiait et défendait dur comme fer. Et son blogue ultramarin reste muet sur la question.
Fifty-fifty au Promessomètre
Le site promessometre.fr relève que le produit de cette taxe dépendra aussi du niveau de dévaluation du franc-euro ou euro-franc, qui pourrait faire croître de plus de 5 % le coût des importations dont certaines sont totalement incontournables. Et dans ce cas, 5+3 font plus près de 9 que de 8 (voyez ce que font 105 +3 %). Soit près de trois francs de plus sur un produit qui, sans taxe ou dévaluation, vaudrait 100 francs. Donc, trois égale bien trois, et non 0,9 %, répercutés sur les prix à la consommation. Largement de quoi compenser les 200 euros de cotisation supprimées sur les salaires allant jusqu’à 1,4 Smic, comme l’explique Marine Le Pen.
À 15 milliards par an, contre 21 milliards pour les 8,5 millions de salariés rétribués à ce niveau, Marine Le Pen avait tout faux. C’était du franc pipeau.
Mais, là, en ajoutant que la TVA classique renchérit encore les prix à la consommation, c’est bien, comme le dit Bayrou, « faire payer les plus pauvres pour redistribuer aux plus pauvres. ».
Cependant, même le commerçant ou l’artisan votant Marine Le Pen ne se frotterait pas tout à fait les mains. Tout dépend de ce qu’il vend et à qui. Beaucoup devront réduire leurs déjà faibles marges et ne pas répercuter la hausse des taxes en lui appliquant les… 99 « d’arrondissement » (soit à x,99 ; voyez la plupart des prix). Eh, c’est un coup à baisser le rideau, la clientèle fuyant vers le Lidl ou le Ed (ou leurs équivalents étrangers dans les zones frontalières).
Totalement illusoire
Bien sûr, cette taxe ne rapportera jamais 15, 20 ou 30 milliards la première année. Il faudrait d’abord renégocier le traité français avec l’Organisation mondiale du commerce, et celui avec l’Union européenne. Ce qui prendrait du temps pour une issue incertaine.
En revanche, la France s’affranchissant des traités, tout autre pays pourrait faire de même et la plupart de ce que la France exporte a, c’est une litote, de la concurrence étrangère. Du coup, d’ailleurs, rien n’empêcherait plus de labelliser « champagne » n’importe quelle roteuse gazéifiée au Mexique ou en Espagne. Plus frontiste qu’un petit récoltant-manipulant champenois, il n’y a que la crémière retraitée à Nice, mais qu’importe. Ce n’est pas ce que Marine Le Pen promet ou dit qui compte, c’est sa seule personne.
En fait, cette mesure est impossible à chiffrer. Ses effets très difficiles à quantifier. Verrait-on certains produits français redevenir plus compétitifs que d’autres, conçus hors UE, ou pas ? Dans ce cas, la taxe rapporterait moins. Si elle a des répercussions sur les exportations, les délocalisations, sur tout un ensemble de facteurs, ce qui ne pourrait que se produire, il sera quasi impossible d’établir des projections fiables.
Ce qui est certain, c’est que le coût des intérêts de la dette française augmenterait. La finance mondiale s’efforcerait de juguler l’impact de cette mesure qui pourrait inciter à revenir à l’état antérieur des échanges commerciaux internationaux, ce dont elle ne veut absolument pas. Tous les gros clients des agences de notation leur intimeraient de crier haro sur le coq français.
Bah, Marine Le Pen n’est pas la seule à soutenir avec aplomb de fausses bonnes idées qu’elle se préserverait bien d’appliquer. L’électorat lucide du FN en est d’ailleurs fort persuadé.
C’est du trompe-l’œil, tout comme la Coordination francilienne de protection des consommateurs et l’Association francilienne de protection et de défense des animaux, faux-nez improvisés du Front pour refaire parler du halal (aucun statut déposé à la préfecture de Melun).
Mais ce n’est pas mal joué. C’est un peu comme David Douillet voulant « développer la pratique féminine du sport » (pourquoi pas un championnat de vélo d’appartement ?). Ou la plupart des nouvelles (ou anciennes recyclées et inappliquées) mesures de Sarkozy.
Avec les routiers sympas
Dominique Morel, candidat FN dans le Puy-de-Dôme, employé de Multi-Transport Auvergne, laisse aussi entendre que le Front pourra mettre fin au « cabotage », soit la charge et décharge du fret routier national, « naguère dévolu aux routiers français. ». Le projet de Marine Le Pen serait « le seul tourné vers les intérêts des transporteurs français ». Pourquoi, comment au juste en la matière ? On ne saura pas trop.
À priori, on peut tout faire. Comme par exemple imposer à tous les touristes se présentant aux frontières d’acquérir pour environ 150 (de valeur un euro chaque) de nos devises par jour de séjour sur le territoire (le reliquat n’étant pas échangé à la sortie), comme le faisait à peu près la Roumanie de naguère. Marine Le Pen aurait dû y songer : cela permettrait de soutenir la petite hôtellerie française. Oui, mais voilà… On peut aussi forcer les touristes automobilistes à acquérir un éthylotest, des cartes de France fabriquées en France, des passeports d’entrées multiples dans les musées nationaux, et je ne sais quoi encore, telle une vignette pour circuler sur les tronçons d’autoroutes sans péages (en sus du montant allocatif journalier, évidemment). Avec Marine, tout peut devenir possible : réserver aussi des anneaux moins chers pour les voiliers sous pavillon français dans les ports français, et plus chers pour les autres (ce que la Grèce vient de faire, pour tous les bateaux, pour le plus grand profit des ports croates, monténégrins et turcs).
Car avec la préférence nationale, on pourra toujours trouver encore et encore des mesures flattant le ressortissant français. Taxer le cerf-volant du gamin étranger en vacances, pourquoi pas ? Sa bouée et son seau de plage.
Comme le faisait assez justement remarquer l’économiste de BFM TV lors de l’émission de France 2, il y a environ deux millions de Françaises et Français qui s’emploient à l’étranger. Très peu de très grands patrons cependant (ils sont beaucoup mieux rétribués en France). Qu’en faire en cas de mesures de rétorsion ?
Cela dit, tout n’est pas à jeter dans le programme de Marine Le Pen. Et pour le plus néfaste, ce sera sans doute comme des promesses de Sarkozy sur les SDF (« plus un seul en fin de mandat »), ou le chômage (il vient d’augmenter encore, uniquement de la faute des 35 heures, c’est bien connu, car seul le travail génère le travail : repassons donc à la semaine de 48 heures, revenons-en à l’avant-congés payés). Et ce qui est quasiment sûr, c’est que Nicolas Sarkozy appliquerait assurément ce qui serait le plus désavantageux pour le plus grand nombre.
Mais il n’est pas mauvais de faire plonger le nez de Marine Le Pen dans son programme, il serait grand temps qu’elle le relise à l’aune des critiques qu’il soulève, ou tout simplement, qu’elle le lise en son entièreté.
On se demande si c’est la condamnation de l’abattage halal ou la taxe sur les importations qui fait davantage réagir l’ex-conseiller régional FN. Les principes, oui, mais le porte-monnaie d’abord.