D’une présidence « normale » vers la rupture pour tous ? La démocratie est morte, vive la démocratie !

Selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln (16ème président des Etats Unis), la démocratie serait « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Il est difficile de nier que cette réflexion raisonne particulièrement face à « l’état » actuel de la démocratie française. Des manifestations objectivement très denses et pacifiquement opposées à un projet « de civilisation » n’auront donc reçues qu’un vague et froid « accusé de réception » et l’invitation pressante à désormais se taire. Voilà qui ne peut qu’interroger, quelle que soit l’opinion de chacun.

Le « mariage pour tous » ? Il aurait d’abord constitué un puissant « révélateur » démocratique, voire, un détonateur ?

Il faut se réjouir de la prise en considération attendue et légitime dont bénéficia la « communauté » homosexuelle rassemblant environ 2 millions de citoyens. La majorité des français reste donc inscrite dans l’hétérosexualité. Cette dernière recouvre toujours la seule « identité » sexuelle permettant la procréation de façon, naturelle. Rappeler ces évidences serait-il devenu anti démocratique ? Pour « faute » d’être d’un avis différent il y aurait des « ennemis » désignés de la démocratie ? Lesquels disposent pourtant d’une représentation très conséquente dans les assemblées.

Le mariage homosexuel fut premièrement présenté comme un débat « de civilisation ». Il reste qu’il ne mériterait pas pour autant de faire l’objet d’un référendum. La légitimation reposerait sur « un mouvement de l’Histoire » allant dans le sens obligatoire de ce type de « modernisation » ? Tels auront été les propos du président au lendemain de l’adoption de la fameuse loi. Les centaines de milliers de citoyens qui s’y opposèrent doivent se faire une raison, même si les enquêtes les plus récentes attestent du soutien d’une majorité de français devenus hostiles aux principaux prolongements induits par cette Loi (PMA, « culture » du Gender, adoption, notion de parentalité modifiée, etc). Quoi qu’il en soit, l’homosexualité n’était pas le sujet du débat. Ceux qui ont osés le faire croire manquèrent en premier lieu de respect et de dignité à l’égard de cette communauté, suffisamment exposée parfois à des relents d’homophobie, qu’il faut fermement condamner.

Majorité, minorité, légitimité, égalité et liberté, autant de notions revenues au premier plan durant cet étrange débat. Ce qui s’y jouait était manifestement beaucoup plus vaste que la thématique avancée. L’Histoire aurait aussi comme mouvement certains retours de bâton.

Le pouvoir pour le peuple ? Tout le peuple ? Un lobby bien médiatisé, quel qu’il soit, mériterait-il une plus grande attention ? La démocratie semble avoir été la principale invitée à ces noces houleuses, à moins qu’elle n’en fût la plus ignorée ou bafouée. Outre l’adoption d’une Loi, le « traitement » démocratique dont elle bénéficia pourrait alimenter encore longtemps l’opposition. La force même de la Loi serait durablement altérée par cette séquence législative et citoyenne. Est-il encore possible d’éviter une grave crise citoyenne et institutionnelle ? La démocratie française est malade. Son appel de détresse n’a pas été entendu.

Pour peu que l’on prenne en compte de façon emblématique la « communauté » enseignante disposant de syndicats dérisoires dans la représentation et nombre d’adhérents, laquelle impose malgré tout ses Lois et volontés en quasi co-gestion avec les ministres successifs, sauf à les faire démissionner dans les cas d’excès d’indépendance, le règne supposé de la majorité ne serait-il pas de plus en plus écorné par bien des aspects ? La démocratie ne se verrait-elle pas réduite au statut de « représentation » symbolique ou seulement médiatique ? La « filiation » naturelle entre les élus et les corps constitués, et le peuple, est interrompue.

Par le passé la France évolua sous la pression revendicative de cultures ou identités régionales, des Basques aux Bretons en passant par les Corses. Le pays doit-il désormais faire face à d’autres formes de « communautés » relevant de « l’identité » sexuelle ou professionnelle, ou d’autres dimensions encore ? Cette formulation peut heurter pour mêler des facteurs sociologiques apparemment trop distincts. Il n’en demeure pas moins que cette notion de « mariage pour tous », en apparence « égalitaire » et majoritaire, posait problème par elle même. Bientôt « le bonheur pour tous » ? Du travail pour tous ? Le pays réel descendu dans la rue en ressort durablement meurtri. Rupture définitive ? Chacun sent et sait que le mandat présidentiel actuel ne serait plus assuré d’aller à son terme, en l’état.

Le mariage fut institué il y a bien longtemps, dans les faits depuis toujours, pour encadrer, garantir et protéger la filiation. Une minorité ne pouvant du fait même de la Loi de la Nature prétendre à cette filiation, sauf à recourir à des artifices de procréation bouleversant le besoin vital d’évoluer en lien avec un père et une mère, cette minorité « de fait » entendrait-elle contraindre la Nature autant que la majorité des citoyens à rompre avec le déroulement logique des choses ? La Nature ne serait-elle pas assez démocratique ? La majorité des citoyens, ayant en outre évoluée vers l’opposition à la Loi votée le mardi 23 Avril, serait-elle responsable de la Loi de la Nature, au point de mériter d’être bouleversée dans ses repères ? Majorité, minorité, démocratie ?

Le « hasard » n’étant pas de ce monde, gardons que le jour si emblématique du vote, un citoyen, certes contrevenant au règlement de l’assemblée nationale, aura été traité « d’excité » pour exprimer durant quelques secondes son attachement à la protection prioritaire du droit de l’Enfant. La démocratie semblait trembler dans ses murs. Pour peu que l’on repense notamment à un ex ministre du budget ayant du démissionner pour malversation financière, voir un simple citoyen expulsé manu militari de l’Assemblée sous les huées de nombreux élus de la majorité, cela peut surprendre pour le moins, à moins que cela ne soit une illustration beaucoup plus générale de l’état de notre démocratie. Le président de l’Assemblée nationale qualifia même ce citoyen « d’ennemi de la démocratie » ? Et donc à travers lui tous les opposants à ce projet de Loi. La célèbre formule d’Abraham Lincol évoquant « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » raisonne en effet avec un écho renouvelé. La « moralisation » publique lancée en urgence pareillement. Les cours de morale de retour à l’école entendent-ils répondre au soupçon de manque de moralité des « grands », des puissants, de certains dirigeants ? Le cri du cœur d’un citoyen somme toute assez désarmé, participant de la majorité du peuple de France opposée à bien des aspects de cette nouvelle Loi (adoption, PMA, enseignement du « Gender » à l’école, révision de la notion de « parents »…) exigeait-il une telle violence dans les propos ? Le peuple ne serait-il plus chez lui dans les palais recevant ceux qui lui doivent leur pouvoir ? Assurément, une même Loi « pour tous ».

Objectivement, et ce malgré un véritable rabattage idéologique et médiatique souvent orienté, la manifestation des citoyens opposés à la disparition du mariage « originel » rassembla plusieurs fois beaucoup plus de citoyens que les partisans de la réforme. Selon les chiffres officiels, les premiers étaient ainsi évalués à 45000, les second à 3000, le dimanche 21 Avril, jour au demeurant mémoriel pour le titulaire actuel Elyséen. L’on ne tarda pas à affirmer que « la rue n’a pas à gouverner », et tout en reconnaissant que le président fut élu par rejet de son prédécesseur, on osa néanmoins prétendre que son programme fut en totalité approuvé par le peuple. Pourquoi autant de monde dans les rues ? Pourquoi des records d’impopularité ? Un pouvoir reste t’il alors vraiment légitime dans l’application de son programme ? Démocratie ?

Outre cette « majorité » souvent définie comme « silencieuse » voyant ses représentants, notamment Frigide Barjot, recevoir un tel soutien de masse, chose qui fit jusqu’alors reculer bien des « majorités » de l’assemblée nationale (conflit sur l’Ecole privée, Cpe…), la « majorité » hétérosexuelle restant incontestable aura pourtant eu à se remettre en question dans son mode et nature de filiation, dans « son » mariage procréateur. Si respectable soit-elle, la communauté homosexuelle verrait presque toutes ses exigences bientôt satisfaites. Devons nous courir plus encore le risque d’une « démocratie séparatiste » ? Des corps de métier, des groupes définis longtemps comme « minorités sexuelles », tous seraient-ils en droit de contredire ou « réformer » les lois uniquement à leur profit ? A trop déplacer le débat démocratique sur le terrain des mœurs et statuts minoritaires, il n’est pas exclu que tout ceci se solde par un multi communautarisme additionnel, lequel ne tardera pas à agir en fossoyeur de la démocratie.

Par la subversion d’intérêts privés s’imposant à l’intérêt général, ce dernier pourrait n’être bientôt que peau de chagrin. Les larmes seront alors celles de la démocratie. Les homosexuels n’en sont absolument pas responsables. Il n’est pas exclu qu’il furent les plus instrumentalisés pour servir un objectif sociétal, voire, culturel au sens le plus fort, qui les dépasse. Parmi les leaders opposés à cette Loi chacun pouvait en apercevoir bon nombre. Que faire et penser lorsque le « bien commun » est la permanence même du vivant, de l’Humanité ? Voilà qui nous rapproche deAristote. Le symbole n’est pas secondaire. Dans les temps de crise « de civilisation », la Sagesse des anciens n’est jamais anecdotique.

 

Dans « Les Politiques : une typologie des différents régimes politiques », il distinguait en effet les « Constitutions droites », gouvernées en vue de l’intérêt commun, et, toutes leurs déviations possibles de gouvernance, en vue des seuls intérêts particuliers. Sommes nous au seuil de ce second cas ?

La République recouvrait pour Aristote la forme la plus aboutie du premier cas de figure, celui de l’intérêt général. La seconde hypothèse renvoyait à la tyrannie et à l’oligarchie. Il voyait notamment dans la République le régime où ce sont les pauvres qui gouvernent, et donc les plus nombreux, puisque dans la plupart des pays les citoyens modestes forment une majorité. La démocratie oligarchique était alors définie comme une « Constitution déviée ». Oligarchie ? Voilà qui renvoie à notre actualité, celle d’une classe ou élite de privilégiés oeuvrant en pôle dominant, la majorité du peuple se voyant abandonnée plus ou moins à son triste sort, sans espoir d’un avenir meilleur. Une définition issue de Aristote dans le texte. Cette Loi « pour tous » n’aurait véritablement reçue l’approbation que de la part d’une petite élite, très parisienne et urbaine, loin du peuple ? La démocratie par l’image et l’audimat aurait triomphée.

Poursuivons. Aristote distinguait ainsi plusieurs variantes de la démocratie. La meilleure était selon lui celle qui recherche l’égalité, c’est-à-dire celle où « afin que rien ne mette les gens modestes et les gens aisés les uns contre les autres […] les deux soient égaux dans une juste prise en considération » que « tous partagent de la même manière le pouvoir politique ». Selon lui, la liberté constitutive d’une vraie démocratie reposait sur le fait que chacun ait la possibilité réelle d’être « tour à tour gouverné et gouvernant », définition qu’il faisait du citoyen. Il ne cachait pas sa crainte de voir les démagogues mener au renversement des régimes démocratiques, par la tyrannie influente d’une minorité. Aristote pour tous ?

Dans le cas du « mariage pour tous », au prix du bouleversement certain de la majorité dans ses repères les plus ancestraux, difficile de nier que tous les arguments furent bons pour avaliser cette supposée réforme de « progrès » et de « modernité ». Le bon sens eut beau rappeler, avec le soutien de tous les psychologues, la nécessité absolue d’un père et d’une mère dans la structuration de tout être, la promotion du mariage homosexuel écartant pourtant toute filiation naturelle se sera donc imposée. Les partisans du maintien du « mariage initial » attribué exclusivement à toute union susceptible de procréer, offrant un contrat d’union civile (CUC) aux autres formes de couples, tous eurent à subir les pires qualificatifs s’échelonnant des « réactionnaires homophobes » jusqu’aux suppôts racistes et fascistes. La démocratie, surtout médiatique, ne toléra pour l’essentiel, qu’une seule opinion.

Admettons avec Paul Ricœur « qu’est démocratique, une société qui se reconnaît divisée et traversée par des contradictions d’intérêt » mais « en se fixant comme modalité, d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression des contradictions (…) en vue d’arriver à un arbitrage ». Pour le dire plus simplement, respecter toutes les opinions. Difficile de trouver une vraie prise en compte des opposants au « mariage pour tous », pas même une revalorisation du « mariage » tel qu’il fut structuré depuis si longtemps et logiquement réservé aux unions naturellement procréatrices. La Loi est votée, circulez, vous n’avez plus rien à y redire ? Le droit de manifester resterait légal et constitutionnel. La crise de la démocratie révélée plus encore à l’occasion de ce débat pourrait réserver bien des prolongements, au regard de l’Histoire. Paul Ricœur pour tous ?

Précisément, restant en lien avec l’Histoire,Tocqueville avait aussi raison de mettre en garde contre les excès possibles du « désir d’égalité », lequel imprègne les individus vivant en démocratie, chose pouvant conduire à « une restriction de la liberté ». Il redoutait que la démocratie « produise un conformisme des opinions ». La pensée unique ? Si il craignait que la majorité opprime la minorité, Tocqueville pensait cependant que la liberté de la presse fonderait « un moyen puissant pour préserver la liberté des menaces que ferait peser sur elle le désir d’égalité ». Il affirmait que « la presse est par excellence l’instrument démocratique de la liberté ». La véritable campagne audiovisuelle si peu objective liée au mariage « pour tous » n’a pas été sans faire douter des propos de Tocqueville. La défense d’un contrat d’union spécifique (CUC) offert à une relation homosexuelle qui le reste en soi, spécifique, fut réduite aux pires caricatures. Le respect pour tous ?

L’idée de démocratie est enfin centrale dans la philosophie politique de Cornélius Castoriadis, lequel fait référence au niveau de cette thématique. Son approche aura gardée un écho étonnant durant toute cette séquence politique.

En effet, il critique parfois sévèrement les régimes représentatifs, qu’il soupçonne de « s’apparenter inévitablement à des cercles fermés au sein desquels le peuple perd peu à peu toute véritable influence ». Il n’y aurait pour lui de démocratie que totalement directe. Voilà qui vient conforter l’exigence maintenue d’un référendum concernant un sujet aussi fondamental que le mariage et la filiation, au regard des prolongements en « PMA » ou plus tard, en « GPA ». Cornélius Castoriadis exige précisément la participation de tous aux décisions les plus importantes. Cornélius Castoriadis pour tous ?

Les droits des enfants ne mériteraient donc pas que l’on consulte la population ? Le « mariage pour tous » n’aura pas été sans les réduire parfois à des variables d’ajustement. Les Lois internationales prévalant sur toute législation nationale, les recours ne seraient pas écartés. La Commission Internationale des Droits de l’Enfant (UNICEF) demeure.

Ce « néo mariage » engage t’il un divorce plus avancé encore entre la population et ses élus ? Certains firent aussi preuve d’un grand courage, de part et d’autre. L’adoption du « mariage pour tous » n’aura pas été sans briser un peu plus la « filiation » entre le peuple et ses représentants. La manifestation d’opposition de masse, assez nouvelle dans sa structuration et sa communication, traduit à contrario un ressourcement certain de la démocratie par le peuple. Ce dernier fait serait le plus marquant, et plein d’avenir.

 

Guillaume Boucard