Yazid Sabeg annonce qu'il proposera un projet de loi « visant à rendre licite la mesure de la diversité ». Pour lutter contre des inégalités sociales, on repère des facteurs tiers d’ordre qualitatif, ce qui ne manque pas d’intriguer. Dans un contexte trouble de préservation de « l’identité nationale », on se demande ce que cette agitation peut bien cacher.

 

Dans une interview au journal Le Monde, le commissaire à la diversité Yazid Sabeg annonce qu'il proposera, dans le cadre du plan d'action qu'il doit remettre à Nicolas Sarkozy le 20 mars, un projet de loi « visant à rendre licite la mesure de la diversité ». Le Monde 06/03/2009 En janvier déjà, il affirmait que « pour lutter efficacement contre toutes les discriminations directes et indirectes, notamment celles à l'encontre des minorités visibles, il (était) indispensable de pouvoir observer et mesurer. » Le Monde 24 janvier 2009 Yazid Sabeg reste très prudent et l’on sent que le sujet est très délicat. 

 Si les intentions paraissent louables, pourquoi insister sur le lien entre minorités et discrimination sociale, comment passe-t-on d’une discrimination sociale qui ne touche pas seulement les « minorités visibles » mais des couches particulières de la population à la nécessité de recenser « les minorités visibles » ? La France serait-elle devenue un lieu d’apartheid ? Plus étrange, le commissaire assure que la mesure se fera selon des critères subjectifs : « demander aux personnes comment elles se définissent, ce qu'elles ressentent », « il ne s'agit pas d'établir des fichiers mais de mesurer les facteurs discriminants autres que sociaux. » (ibid.) Ainsi, pour lutter contre des inégalités sociales, on repère des facteurs tiers d’ordre qualitatif… C’est-à-dire ? Les facteurs géographiques, l’habitat, la formation initiale, la qualification professionnelle, le secteur d’activité, le genre, l’âge et la nationalité sont tous des critères objectifs, déjà parfaitement repérables et mesurables. Quels pourraient être ces critères « ressentis » ? La religion, l’appartenance ou, à défaut, l’orientation politique, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique… ? Si on ajoute cette notion étrange de « minorité visible » on s’interroge sur l’intention du commissaire. Il s’agit bien de mesurer l’origine ethnique. À l’évidence les autres critères ne peuvent entrer dans son inventaire. Quoique ? Comment nos modernes sociologues vont-ils procéder pour résoudre cette quadrature du cercle, mesurer et recenser sans nommer. On ne créera pas un fichier individualisé mais un fichier d’ensembles ethniques, on dénombrera les Roms, les Africains de l’Est, du Nord, de l’Ouest, les Sud-Américains, les Pakistanais, etc. On les localisera plus facilement. Pour surveiller, il n’est pas nécessaire de créer des fichiers nominatifs, une vision de groupe convient. Les fichiers de la police et des services de surveillance du territoire suffisent pour repérer, si besoin, les individus qui sortent du rang ou qui seraient supposés dangereux. Par recoupement on connaîtra aussi leur appartenance « ressentie », leur religion, voire leur affinité politique… Avec les meilleures intentions du monde et l’appoint des mesureurs frénétiques de l’INSEE, on saura tout, ou à peu près tout ce dont une société coercitive a besoin pour veiller à sa sécurité. Sommes-nous naïfs au point de croire que l’exercice du grand écart entre la préservation outrancière de l’identité nationale et l’abolition des discriminations « ethniques » puisse donner un visage humain au pouvoir d’un autocrate manipulateur ? Avons-nous oublié le mépris que cet homme voue aux minorités, à tout ce qui est étranger à sa vision du monde ? Combien de temps avant de prendre en compte son talent pour instrumentaliser les forces vives de la Nation, soit par la séduction populiste, soit en feignant de déléguer des miettes de pouvoir à des personnalités de la société civile qui feront diversion ? Que croire de ces déclarations prudentes quand tant de promesses mirifiques proclamées avec emphase, sous le coup de l’émotion soulevée par un fait divers dramatique, ne furent jamais tenues ? Comment expliquer sérieusement que, dans un contexte économique dramatique, on se mette soudain à penser « intégration des minorités visibles » ?
 
Comment penser, avec un peu d’honnêteté intellectuelle, qu’il faille connaître ce que « ressentent » des milliers d’exclus du système économique pour les réintégrer. Soit il est urgent de réagir aux implications de la crise économique et financière, soit, nous devons faire face immédiatement à une grave crise des mentalités il est donc question de refonder le lien social et, dans ce cas, ce n’est ni un individu, si génial soit-il, ni un recensement aussi scientifique soit-il qui nous permettront d’affronter le problème. Pour faire face à une grave crise de société, on crée des états généraux, on collecte des informations, sans discrimination, sur tout le territoire, on prend le temps d’un vaste débat, au-delà des institutions de la République, on fait des propositions et on élit des représentants chargés de porter les doléances… une révolution, en quelque sorte.
 
Définitivement, tout ce que porte ce pouvoir est tordu, retors et perverti par des intentions jamais annoncées. Mais il y aura toujours des experts pour lui porter secours. Ainsi, dans un entretien publié sur Marianne2 « Qui a peur des statistiques ethniques », Michèle Tribalat démographe, directrice de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED) défend les statistiques ethniques. Elle affirme, sans que cela semble lui poser problème : « Je ne veux pas me préoccuper de l’utilisation que l’on peut faire des statistiques, ce n’est pas mon affaire. L’objet de la statistique, c’est connaître. Elle doit être au-dessus de la mêlée. » On est effaré d’une telle affirmation, comme si pour cette experte, la science était au-dessus des contingences du moment, sans lien aucun avec le social, le politique et le fil de l’histoire. Sans rappeler que l’histoire récente du Continent européen a connu des chercheurs qui étaient, en effet, « au-dessus de la mêlée », qui ne regardaient pas ce que leurs éprouvettes contenaient, on peut être soucieux car, au moment où la science doit avoir réponse à tout, on risque de voir apparaître de plus en plus d’experts qui ne seraient que des mercenaires détachés des aspirations de la « mêlée », des idéaux fondamentaux de toute société et qui se prévaudraient d’une éthique infaillible…