Marine Le Pen a condamné le glissement sémantique des éléments de langage du gouvernement après l’intervention française au Mali : plus question de « salafistes », « islamistes », ou encore même « djihadistes », mais uniquement de « terroristes ». Tariq Ramadan, proche des Frères musulmans, n’a pas cette retenue. Il évoque « des réseaux et groupuscules salafistes, djihadistes et extrémistes ». Tout en dénonçant d’autres réseaux et groupuscules, d’intérêts néo-colonialistes. Bref, le néo-colonialisme idéologique et religieux musulman est désintéressé, opposé aux divers et antagonistes « extrémistes », et protecteur pour les peuples colonisés par l’impérialisme occidental. On peut y croire, ou pas, mais il faut reconnaître que Tariq Ramadan sait fort bien présenter ses arguments.

Gênant pour les islamophobes compulsionnels qui ne manqueront pas d’y voir un double-langage, une expression de la hudna (trêve temporaire). Tariq Ramadan n’approuve pas la politique française au Sahel mais ne condamne pas formellement l’intervention armée au Mali.

Vous y seriez-vous attendus ? Tariq Ramadan évoquant « l’action libératrice de la France et de la “communauté internationale” qui unanimement la soutient. ». Dur pour le « gaucho-islamisme » qu’évoque Jean-Paul Cruse (dit Imbongi), lequel dans son « Sahel : une stratégie de la terreur venue du Golfe », répercute largement les propos de Tariq Ramadan. 

Le préambule est clair, net, précis. « L’idéologie et les pratiques des réseaux et groupuscules salafi- jihadistes et extrémistes sont à condamner de la façon la plus ferme. Leur compréhension de l’islam, leur façon d’instrumentaliser la religion et de l’appliquer en imposant des peines physiques et des châtiments corporels de façon odieuse est inacceptable. Encore une fois la conscience musulmane contemporaine, et internationale, doit s’exprimer haut et fort, le dire et le répéter, cette compréhension et cette application de l’islam sont une trahison, une horreur, une honte et les premiers à devoir s’y opposer devraient être les musulmans eux-mêmes et les États des sociétés majoritairement musulmanes. (…) Cette position ne doit souffrir aucune compromission. ».

Air connu, soulignera-t-on. L’islam est religion de paix et de justice, &c., essentiellement et non de par ce qu’en font les musulmans. Idem des autres religions dites du Livre, dénaturées par les sionistes et autres courants se disant démocrates et inspirés par le christianisme.

Mais la condamnation des islamistes radicaux est sans appel : « Nul ne peut nier l’existence de groupes violents extrémistes et radicalisés qui ont une compréhension coupable et inacceptable de l’islam ». Ce qui, par extension, vaut réfutation de ceux qui les soutiennent : cadis, imams, prédicateurs se félicitant de l’application la plus stricte (et intéressée) de la charia, de « leur shari’a inhumaine et si peu islamique ». Fermez le ban. Leur islam, leur charia, et ici, sur Come4News, nous n’avons pas soutenu autre chose, sans pourtant la moindre complaisance à l’endroit des thèses de Tariq Ramadan.

Double jeu

Tariq Ramadan n’en dénonce pas moins un double jeu des puissances occidentales ou de leurs alliées qui auraient deux fers au feu. Miser sur le MNLA touareg ou certains groupes terroristes musulmans (salafi-djihadistes sans doute, mais néanmoins musulmans) ne serait-ce pas « une façon d’encourager et de pousser les pyromanes (extrémistes) afin de rendre utile, nécessaire et impérative l’action des pompiers (français) ? Une répartition des rôles entendue, particulièrement efficace, et tellement cynique. » ?

Cela ne peut être exclu. Toute l’appréciation dépend de savoir qui encourage, qui prend acte, qui condamne mais ne peut efficacement s’opposer à toutes les menées non-avouées. « La France amie est surtout amie de ses intérêts », indique Tariq Ramadan. Paraphrasons : « l’islam ami est surtout ami de ses intérêts ». Il y a plusieurs manières de l’être, d’acceptables et de condamnables…

Il semble quand même paradoxal de noter qu’Amadou Toumani Touré, victime d’un putsch militaire, isolé après la chute de Kadhafi, aurait « payé le prix de sa politique vis-à-vis du Nord et de ses vues quant à l’attribution des futurs marchés d’exploitation pétrolière ». L’ancien président, dit ATT, aurait-il aussi été un modèle démocratique ? A-t-on laissé faire car mis devant le fait accompli, favorisé en raison d’intérêts économiques, ou tout simplement pour ne pas venir au secours d’un pouvoir prévaricateur, une fois de plus, voire de pire ? Tariq Ramadan n’a-t-il qu’un type d’explication ?

Ressources latentes

Outre l’or, l’uranium, le nord du Mali représenterait un formidable intérêt du fait de ses gisements pétroliers encore inexploités, mais présent. Admettons : les faits sont les faits. France et multinationales de l’énergie auraient relativisé ou minimisé les ressources minières du Sahel. Faute d’obtenir le retour sur investissement promis par Juppé en Libye, « on » se rattraperait sur le nord du Mali. Soit. « Ce ne sont pas les ressources minières du nord du Mali qui sont un mirage mais bien la réalité de la décolonisation ».

Mais qui la mènerait à bien, cette décolonisation ? D’autres puissances occidentales se mettant dans la poche des dirigeants africains ? L’islam émancipateur ? Tariq Ramadan, qui fait état d’une visite au Mali, note qu’un chef militaire malien fait état de consignes : « pas de prisonniers. On fait tout pour les rendre fous et les radicaliser ». C’était vrai hier, cela semble confirmé à présent, y compris par la presse internationale qui fait aussi état de consignes inverses pour « retenir » certaines troupes maliennes.

Tariq Ramadan en appelle à « nous tous, qui sommes si peu capables de proposer une vision claire de l’indépendance politique, économique et culturelle ». Fort bien vu. Remarque tout à fait judicieuse, lucide, à laquelle il serait outrancier d’apporter per se une contradiction intéressée, partisane.

Disons simplement que si christianisme, islam (ou mahométanisme ?), judaïsme véhiculent à la fois des aspirations émancipatrices et d’autres, répressives, de même que la laïcité n’est pas monolithique, et a eu autrefois, peut-être même encore à présent, des visées colonialistes, on ne sait trop qui vise à instaurer au Mali « une forme sophistiquée d’aliénation nouvelle ».

Cruse, à fort juste titre, reprend la conclusion de Tariq Ramadan, qui s’oppose à « la manipulation des grandes puissances occidentales », mais ajoute que celles « des monarchies dictatoriales du Golfe », d’Israël et de l’Iran, ne doivent pas non plus être négligées. Méfions-nous, exhorte-t-il, « des vieux réflexes issus du marxisme mécaniste, du marxisme-léninisme occidental de grand-papa », et ne négligeons pas le risque « des guerres d’agression venues de l’Orient ».  

Les soutiers, prêcheurs évangélistes chrétiens ou prédicateurs musulmans (on ne peut guère soutenir que le prosélytisme israélite soit particulièrement actif en Afrique), de ces agressions, qui préparent le terrain, clientélisent, doivent aussi inciter à la vigilance. Capitalisme « chrétien » ou « islamique » restent des capitalismes dont l’émancipation des peuples n’est guère le premier souci, tout comme il en était de même de l’internationalisme prolétarien mode stalinien ou maoiste.

On retrouvera Tariq Ramadan, débattant avec le sociologue Julien Salingue, à Roubaix, le 25 janvier au soir, sur le thème « Islam et Médias : quels traitements ? quelles responsabilités ? ». La responsabilité des médias est de ne pas prendre pour argent comptant les déclarations d’intentions, d’où qu’elles proviennent. Aussi de suivre les évolutions de ces déclarations, d’en relever les contradictions.

Le huna, la hudna, concepts partagés

On commence à lire des appels à l’éradication du fait musulman en France, du genre « en période de guerre, la France peut-elle tolérer l’islam sur son territoire, et laisser ses disciples y continuer leur propagande contre notre pays et ses valeurs ? » (éditorial de Cyrano sur Riposte laïque). Disons que c’est exactement ce que cherchent les groupes terroristes islamistes : faire de tout musulman un allié face à la répression le visant. À se demander qui favorise la présumée « cinquième colonne ».

Il semble que Tariq Ramadan déçoit les espoirs de celles et ceux qui attendaient de lui un appel au soulèvement et la consigne de porter le djihad en France. La hudna (trêve temporaire, notion coranique) a aussi un quasi-synonyme, le huna polynésien, ou « art et science d’harmoniser les relations ». Les deux peuvent-ils marcher l’amble ? Et quels sont les réels intérêts et priorités du moment ? À défaut de pouvoir trancher, les médias peuvent aussi soulever ce genre de question. En gardant bien à l’esprit que l’unanimisme est une chimère… que l’opinion est versatile.

Bref, la question est claire : quel est l’intérêt d’ouvrir un second front ? Par exemple en manifestant contre les apparitions publiques en France de Tariq Ramadan ? Pour ne pas se la jouer presse faux-cul soulevant des questions et se gardant bien d’y répondre, laissant au lectorat le soin de se prononcer sans fâcher la moindre de ses composantes, ma réponse sera : aucun intérêt pour le moment, et même au contraire sur l’instant. Cela se discute ? Soit !