Trois Saint-Cyriens au-dessus de tout soupçon

Ils dirigeaient un stage "d'aguerrissement" en montagne, à 2600 mètres d'altitude par -5° : sous leurs ordres, deux stagiaires-officiers africains à l'école militaire de Saint-Cyr en sont morts de froid. L'armée considère pourtant que ses officiers n'ont commis aucune faute. Qu'allait en dire le Tribunal de Marseille, devant lequel ils comparaissaient pour "homicides involontaires" ?

"Pour tous nos camarades africains, suivre une scolarité en France est considéré comme l’expression d’une réussite, une récompense de leur travail personnel, déclarait le colonel Kohn, sous-directeur de la Coopération militaire française, dans une interview reproduite sur le site gouvernemental France diplomatie. Les concours qui permettent aux étrangers d’accéder à notre scolarité sont d’un niveau très relevé. Ceux qui réussissent ont légitimement le sentiment d’avoir mérité une aventure professionnelle gratifiante. J’ajouterai que le niveau de nos écoles est considéré comme une référence et que les officiers détenteurs d’un titre français sont, à l’usage, promis à l’exercice de hautes responsabilités dans leurs armées nationales. Cette scolarité se déroulera dans les meilleures conditions puisque la plupart d’entre-eux sont francophones."

 L'entretien date de 2005, soit après la mort du Nigérien Laouadi Karimoune et du fils du chef d'état-major des armées du Togo, Kondi Nandja, tous deux stagiaires à l'école militaire de Saint-Cyr, décédés au cours d'un "exercice d'aguerrissement" en montagne, à 2600 mètres d'altitude en plein hiver. Ils se sont en l'espèce aguerris jusqu'à l'œdème pulmonaire, cause officielle du décès : morts de froid ! Les trois officiers responsables de cette plaisanterie, le directeur d'exercice, le chef de stage et l'officier-montagne au Centre d'instruction et d'entraînement au combat en montagne de Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), comparaissaient devant le Tribunal de Marseille pour "homicides involontaires" pour les deux Africains et "blessures involontaires" pour celles infligées à sept autres stagiaires (dont un que les secours ont retrouvé dans le coma). "Selon l'accusation, ils ont commis une série de fautes, résume la dépêche AP reprise sur l'Obs.com, en modifiant le programme initial sans tenir compte de l'encadrement technique et sanitaire, en surestimant les forces du groupe, en ne prévenant les secours que plus de trois heures après le premier décès et en faisant peu de cas de l'évolution de la météo. D'importantes rafales de vent, des chutes de neige et une température évaluée entre -5 et -8 degrés auraient largement contribué au décès des deux hommes, qui ne sont pas parvenus à se protéger dans les abris de fortune qu'ils avaient construits." Assez accablant somme toute. Or que répond l'un des prévenus, le capitaine Lefebvre, lorsque le procureur lui demande : "Si c’était à refaire, est-ce que vous changeriez quelque chose ?" "Non, répond-il droit dans ses bottes. Si je changeais quelque chose, je remettrais en cause mes décisions. Or si j’ai pris ces décisions, c’est que je pense que c’étaient les meilleures." Et le lieutenant-colonel Heintz d'expliquer que, les conditions météo devenant exécrables, il n'a pas donné l'ordre de rebrousser chemin parce que "cette idée ne m’est pas venue à l’esprit". Ses hommes le lui ont pourtant demandé ! Mais les militaires nient donc avoir commis une quelconque faute. Durant l'enquête, un gradé, repris par Libération, avançait l'hypothèse que "les Africains ont un instinct de survie moins développé que les Européens", et le général Oberto, dans un rapport interne, met en avant "le comportement difficile à anticiper et à maîtriser de certains stagiaires africains plus vulnérables au froid". Ah ces cons d'Africains, même pas foutus de supporter une petite tempête de neige de rien du tout ! Nulle remise en question à attendre de l'armée. Mais la justice a par contre trouvé à y redire. Verdict : neuf mois de prison avec sursis pour le lieutenant-colonel Christian Heintz et six pour le capitaine Lefebvre. Le troisième, qui validait depuis la caserne les décisions des directeurs d'exercice, a été relaxé. Pas bien cher payé. Ajoutons pour la bonne bouche que, trois ans après le double drame, Heintz a été récompensé par l'armée française d'une promotion !