Pourquoi donc un sujet sur les Rroms dans la rubrique « Écologie, Animaux, Nature » ? Voilà que l’UMP veut dératiser les locaux ecclésiastiques marseillais de la place Pol Lapeyre. Elle voudrait les Rroms par les fenêtres. Certainement pour les reloger dans des programmes immobiliers « incluant un dose de mixité sociale » ? Renaud Muselier, Marine Pustorino et Bruno Gilles, maire et conseillers municipaux UMP du troisième secteur marseillais veulent débusquer du Rrom. Étienne Liebig, auteur de l’essai De l’utilité politique des Roms (éds Michalon) leur a répondu par avance : c’est alimenter une peur populaire pour justifier un racisme d’État.

Ahurissant. Muselier, Pustorino et Gilles ont écrit aux habitants des 4e et 5e arrondissements de Marseille pour regretter que l’église catholique romaine accueille des personnes en situation régulière sur son domaine privé à Marseille. Ils ont le culot de souhaiter que s’engage « un dialogue constructif entre l’église et la population ». Mais pourquoi ne vont-ils pas d’abord dialoguer avec les Rroms et leur proposer de leur fournir la « dose de mixité sociale » dans les programmes immobiliers qu’ils se targuent d’avoir développé depuis 1995 (avant, il n’y avait rien sous les municipalités socialistes en ce domaine, évidemment) ? Dans le déni, ils font fort : « il n’est pas dans notre intention de stigmatiser une population ». Mais que font-ils donc d’autre ? 

Depuis que des policiers roumains, hélas surtout en uniforme, sont à l’œuvre à Paris, mais uniquement ou presque dans les beaux quartiers, l’UMP ne peut se voiler la face. L’expertise de la police roumaine ne leur permet plus de faire semblant de découvrir depuis peu la réalité des actes et attitudes de la majorité présidentielle.

Il s’agit effectivement de stigmatiser une population qui n’en est pas vraiment une, comme l’établit l’essai d’Étienne Liebig, De l’utilité politique des Roms.

En Roumanie, j’étais très peu au contact de Rroms (et non « des » mythiques Rroms). J’ai bien sûr conversé, aussi avec des Rroms de Hongrie, mais surtout avec des Roumaines et des Roumains qui voisinent, bien ou mal, avec des familles rroms. Eh bien, et c’est corroboré par l’essai d’Étienne Liebig (d’autres sociologues ou chercheurs français aussi), il y a Rroms et Rroms, tant en Hongrie, Bulgarie, Roumanie qu’en France, Irlande, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne, &c.

Mafias, misérables et autres

Étienne et moi sommes deux (enfin, trois avec Siné, par exemple) pour bouffer du curé. Sur des modes différents mais au moins de concert pour saluer l’initiative de l’évêché de Marseille, qui vaut ce qu’elle vaut, mais manifeste au moins qu’on ne peut plus longtemps tolérer la chasse indiscriminée aux Rroms. Je peux reprocher à Étienne Liebig de faire peu de cas des ravages que provoquent, tant en Roumanie que dans l’ouest européen, des familles rroms qui, avec l’aide d’avocats (parfois franchement véreux en Roumanie), profitent de la misère, des avantages sociaux, pillent, cambriolent, prostituent, &c., afin d’amasser des fortunes. J’ai plus d’une fois, sur Come4News, évoqué ce lourd problème. Il est le fait de familles Rroms et non « des Rroms ».

Ce que démontre à fort juste titre Liebig, qui fut éducateur de rue à Montreuil, mais reste aussi anthropologue, c’est qu’il n’y a pas de fortes caractéristiques permettant de dégager une culture rrom, un mode de vie rrom, ni même d’ailleurs une natalité rrom, ou ce que vous voudrez. Il n’y a même pas de folklore rrom unifié, sinon sur un mode fallacieux qui voulait que « l’art nègre » soit partout caractérisé alors que, par exemple à Madagascar, il y a de multiples formes d’expression artistique, et divers types de populations.

Les familles rroms de Marseille réfugiées dans des locaux de l’évêché sont démunies, soit. Tout comme il y avait des Juifs dans le dénuement, dans la pauvreté tolérable (par elles-mêmes, aussi) des classes peu favorisées, d’autres dans une relative aisance, et quelques familles richissimes, nous avons des Rroms de toute sorte et de toutes conditions. Mais encore moins homogènes (langue, religion, coutumes…) que les Juifs. Mais « on » veut dicter à tous de déguerpir ou de faire plier des « Tsiganes migrants, plutôt autonomes, débrouillards et peu enclins à devenir des assistés sociaux » à se conformer à ce qu’on imagine être le sort du « pauvre acceptable ».

En revanche, « on » accepte très bien en France que des femmes, des gamines et des jeunes filles rroms souffrent de cystite et se retiennent « vu qu’il y a un chiotte pour 168 personnes » dans un squat ou un campement boueux.

C’est nous que l’UMP ravale

Ce que fait l’UMP, dans une moindre mesure le Front national (le FN serait-il nostalgique de nos potes les gitans et toutes ces fadaises fantaisistes, du folklore du « bon nègre » et de la « congaïe niaqouée » du Tonkin ?), c’est de nous abaisser collectivement au rang peu reluisant de complices de la phobie anti-rrom. Liebig le démontre très bien. « La traque des Roms et l’autorisation de racisme antitsigane a eu des effets dramatiques pour les personnes concernées et l’état moral de notre pays. ». Nous en sommes presque à l’état de décervelage des partisans de Viktor Orban en Hongrie, qui voient des Rroms se livrant à des sacrifices humains d’enfants, et réinventent un Protocole des fous d’Heves (du comitat d’Heves). Si cela ne vous remémore rien…

Consultez un peu Le Courrier des Balkans pour voir où, par comparaison, nous en sommes. Guéant, à coups de menton, voudrait 30 000 expulsions. La variable d’ajustement : les Rroms. Qui reviendront. Parfois pas les mêmes d’ailleurs (ceux renvoyés d’Allemagne peuvent revenir en Belgique ou en France, ceux expulsés de France tenter de s’établir en Allemagne). Peu importe à l’UMP qui en fait un argument électoral pour piquer des voix au FN.
Et nous regardons cela avec l’indifférence des désinformés. C’est ce qu’établit Liebig. Salutaire, pas que pour les Rroms… Car, sans lui, qui nous résume, qu’allions-nous donc devenir ?