Victor Ponta, Premier ministre roumain (social-démocrate, PSD), en accord avec son allié Crin Antonescu (national-libéral, PNL), ayant formé l’Union sociale libérale (USL), vient d’annoncer à la chaîne Realitatea qu’une modification de la constitution pourrait intervenir avant juin 2013. Le projet vise à l’adoption d’une constitution à la française, avec un président élu directement mais qui doit nommer Premier ministre le chef de file du parti ayant remporté les législatives. Celles-ci auront lieu en Roumanie le 9 décembre prochain. Pour tout le monde, cette nouvelle constitution aurait pour but de contrer le président Traian Basescu qui, à l’issue du scrutin, risque de nommer Premier ministre un autre que Victor Ponta, même si sa formation, l’USL, venait à emporter la majorité des sièges.

Victor Ponta et Crin Antonescu détestent le président « maintenu&bnsp;» (du fait d’un référendum en juillet dernier pour le destituer ayant échoué, le quorum n’ayant pas été atteint) Traian Basescu.

C’est ce qui les réunit puisque Ponta est présumé socialiste et Antonescu libéral.

Ce serait un peu comme si Fillon et Copé avaient présenté des programmes très différenciés, mais se rabibocheraient sur un seul objectif : faire déclarer Hollande illégitime et obtenir sa destitution. Ambiance…

La presse roumaine ne s’y est guère trompée et titre sur une future constitution « anti-Basescu ».

Bizarrement, en Roumanie, la « normalité » paraît insolite…

Au point que, pour la cérémonie d’anniversaire d’adhésion du pays à l’Otan (depuis dix ans), le fait que Trian Basescu ait posé avec des prédécesseurs, Ion Iliescu et Emil Constantinescu, avec lesquels il avait pu s’opposer, fait figure d’élément hautement significatif. Pourtant, ni Victor Ponta, ni Crin Antonescu n’avaient été conviés à la Cotroceni (l’Élysée de Bucarest).

Basescu va négocier seul avec le Conseil européen, sans s’encombrer de représentants de la majorité parlementaire, et pour lui ravir la vedette, Ponta a donc annoncé cette volonté de révision constitutionnelle. En glissant au passage qu’une nouvelle mise à l’écart de Basescu, en cas de victoire de l’USL aux législatives, était « possible, mais non probable ». Il ne ferait donc que répondre à l’intense pression de ses amis… ou pas.
Le mandat de Basescu s’achève fin 2014, et selon l’actuelle constitution, ce devrait être son dernier puisque c’est le second.

L’actuelle constitution, adoptée en 2003, précise en son art. 85 « le président de la Roumanie désigne un candidat à la fonction de Premier ministre et nomme le gouvernement sur la base d’un vote de confiance accordé par le parlement. ». Il nomme donc, théoriquement, qui bon lui semble… à priori parmi les parlementaires et non la gent équestre : ce n’est pas tout à fait Caligula nommant Incitatus, son cheval, consul et pontifex maximus (c’est du moins ce que narre la légende), soit grand prêtre. Le président est censé, selon l’art. 103, consulter le parti majoritaire ou l’ensemble des partis représentés au parlement.

Le dernier référendum avait été marqué par des anomalies (multiplication des bureaux de vote, tombolas, banquets gratuits, &c.). Les législatives du 9 décembre prochain seront marquées par l’interdiction des cadeaux de plus de dix lei (près de deux euros) aux électeurs qui ne pourront se voir distribuer de la bere (bière), de la tsuica (eau de vie) ou des cigarettes. On ne sait trop sur quelles listes électorales seront convoqués les électeurs, si des contestations seront aussi nombreuses que pour le dernier référendum.

Le pays est lourdement endetté envers le FMI et la Banque mondiale, et Basescu avait surtout limogé des fonctionnaires, baissé les soldes et traitements des « budgétaires » (fonctionnaires et agents de la fonction publique ou des entreprises d’État au sens large), remonté la TVA à 24 %, et s’était bien gardé de modifier le taux unique d’imposition sur le revenu à 16 %.

L’Alliance de la droite (ARD), dans l’opposition, voudrait réduire le taux unique à 12 % tandis que l’USL propose une timide progressivité (8, 12 ou 16 %… ce dernier taux s’appliquant à ceux dont le revenu tend vers… 400 euros, soit le salaire d’ouvriers très qualifiés, de contremaîtres de grandes entreprises ou de cadres subalternes). Tout le monde promet de réduire le chômage et d’améliorer le pouvoir d’achat. 

Les Hongrois de Roumanie (divisés, mais ayant élu 22 députés et 9 sénateurs sous l’égide de l’UDMR d’Unor Kemen, un Hungaro-Roumain) pourraient influer sur les résultats de même que le récent parti du peuple (PP-DD) de Dan Diaconescu, patron de la chaîne de télévision OTV, mis en délicatesse pour son OPA sur la privatisation de la société pétrochimique Oltchim, ultra-populiste parfois brouillon. 

L’USL a fait adopter un système d’élection à un seul tour mais la Cour constitutionnelle a retoqué le projet. Basescu plaide pour un système unicaméral et la réduction de l’unique future chambre à 300 sièges (contre 369 actuellement pour 22 millions d’habitants, dont beaucoup résident à l’étranger).

Le FMI pousse à une privatisation plus poussée, à la réduction des dépenses sociales et notamment de santé, ce que le gouvernement rechigne à faire. La proposition Van Rumpuy (Union européenne)  sur les aides à l’agriculture et régionales pose aussi problème à la Roumanie. Le gouvernement Ponta a brandi la menace d’un veto, ce à quoi Basescu ne s’opposerait pas après avoir laissé entendre qu’il le ferait.
Mais c’est leur seul point de convergence et les invectives restent le quotidien des deux hommes.

Pour ne pas trop influer sur les législatives, la Commission européenne et le FMI ont repoussé la publication de leur appréciation des réformes dans le pays. Lequel est devenu, selon le quotidien Adevarul, « le mauvais exemple en Europe, dont se servent les pays intéressés à démontrer que l’argent des riches ne doit plus être dépensé pour réduire les décalages entre les états développés et ceux les moins développés… ». Les fonds d’aides restent inutilisés ou sont dilapidés dans des conditions plutôt opaques. Le PIB est en recul, l’Agence nationale anticorruption vient de montrer du doigt trois ministres (Transports, Tourisme, Éducation), soit pour favoritisme, soit pour soupçon de blanchiment d’argent (pour Ovidiu Silaghi, des Transports).
Le ministère des Transports vient d’ailleurs de voir révéler s’être fait rouler dans la farine : une gare, celle de Snagov, a été vendue dans son dos, soit 5,37 hectares et un train complet (locomotive et 12 wagons), a donné lieu à un versement d’un acompte de 600 000 lei. 

Il y a eu des purges dans les douanes et parmi les contrôleurs des trains mais les infirmières et médecins budgétaires ou conventionnés ne pourraient que vivoter s’ils ne se faisaient graisser la patte. 

Associations et ONG sont sous perfusion… insuffisante. Les agriculteurs s’estiment pressurés et obligés de négliger l’entretien de leurs terres, qui s’épuisent. Les Roumains sont las…

Pour le manifester, Agenda publiait deux photos prises lors des cérémonies de l’anniversaire de l’Otan. Deux officiers supérieurs assoupis sur leurs chaises, indifférents aux discours de l’actuel et des anciens présidents. Ce n’est pas qu’ils soient mal nourris, en dépit des réductions de soldes, mais les discours convenus, « normaux », ou les mots d’oiseaux ou accusations échangées, ne recueillent plus qu’une écoute indifférente. Imaginez que les bisbilles entre Fillon et Copé durent depuis mai dernier, et vous aurez une idée du ressenti en Roumanie.