Un des deux pères fondateurs du néoconservatisme,  Norman Podhoretz a été l'un des cerveaux derrière le Project for a New American Century (PNAC), document crucial de la politique étrangère américaine pour le XXIème siècle /
Ancien rédacteur en chef et actuellement éditorialiste de la première revue intellectuelle des Etats-Unis, Commentary et auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier s'intitule"World War IV" (Doubleday, 2007) 

Em 2004, Norman Podhoretz a été décoré par le Président George W. Bush de la "Médaille de la Liberté", la plus prestigieuse distinction octroyée par le gouvernement américain à un civil


Drzz : La présidence de George W. Bush se terminera en novembre prochain. Quel a été, selon vous, son plus grand succès ?

PODHORETZ : A mon avis, le Président Bush sera reconnu comme un grand président car il a compris la menace que représente l’islamofascisme et a élaboré une stratégie pour la combattre. 
 

Drzz: Pensez-vous spécifiquement à l’Irak ?

 

PODHORETZ : La guerre en Irak est un seul champ de bataille d’une guerre planétaire que j’ai nommée « la Quatrième Guerre mondiale » et qui couvre plusieurs fronts, dont l’Afghanistan et l’Iran.

 

 

Drzz: Si je vous comprends bien, vous dites que le plus grand succès de cette administration a été la doctrine Bush elle-même ?

PODHORETZ : Oui, c’est tout à fait cela. La doctrine elle-même et la manière dont Bush l’a poursuivie malgré les nombreuses critiques émises aux Etats-Unis et à l’étranger.

 

 

Drzz: Comment définiriez-vous « l’islamofascisme » ? Vous n’incluez pas seulement l’islam radical dans cette équation, n’est-ce pas ?

PODHORETZ : Non, en effet. Je vois « l’islamofascisme » comme une bête bicéphale. Sa première tête est plutôt laïque et la seconde religieuse. D’un côté se trouvait le régime de Saddam Hussein et de l’autre le fondamentalisme des Talibans, aujourd’hui remplacé par la « mollahcratie » iranienne. Ces deux groupes ont forgé une alliance d'opportunité afin de lutter contre le monde libre. Ils ont l’intention d’utiliser tout ce qui est en leur pouvoir pour détruire les valeurs de nos civilisations, surtout la plus fondamentale, notre liberté.

 

 

 

Drzz: Il me semble que le premier mandat de Bush suivait une ligne « néoconservatrice » et le second une ligne « réaliste ». Le pensez-vous également ?

PODHORETZ : Ce n’est pas entièrement vrai. Je ne pense pas que le premier mandat présidentiel ait été aussi « néoconservateur » que certains le disent, ni que le second ait été particulièrement « réaliste ». Je dirais plutôt que les deux mandats du Président ont été une mixture puisée dans ces deux écoles. Certains ajustements de la doctrine Bush ont été simplement effectués lors du passage de la théorie à la pratique, sans être fondamentalement « réalistes ».  

 

 

Drzz: Des critiques affirment que l’efficacité de Bush a été réduite du fait qu’il a suivi deux programme idéologiques qu’à moitié, sans en conduire un seul à maturation ?

PODHORETZ : Je suis d’accord avec certaines de ces critiques, qui affirment que le Président n’a pas suffisamment appliqué sa propre doctrine jusqu’à proposer, au final, deux pensées contradictoires. Cela dit, dans le monde réel, les politiciens doivent accepter des concessions stratégiques. Ronald Reagan l’a fait plusieurs fois, sans pour autant remettre en question sa vision globale de la guerre froide.  Bush a dû souvent manœuvrer, ce qui lui a valu de féroces critiques, particulièrement à droite.   

 

 

Drzz: Vous êtes l’un des deux pères fondateurs du néoconservatisme. Ce mouvement est souvent mal interprété aux Etats-Unis et encore très mal compris en Europe. Comme le définiriez-vous ?

PODHORETZ : Le « néoconservatisme » se définit par son préfixe « néo », pour « nouveau ». Nous étions un groupe relativement petit d’intellectuels affiliés à la gauche qui, à la fin des années 60, est passé à droite parce qu’il s’est révolté contre le pourrissement des idées progressistes. Nous avons reconsidéré nos propres idées et avons décidé de nous ancrer quelque part entre le centre et la droite. Pourquoi « néo » ? Parce que nous représentions la nouveauté pour les conservateurs, et parce que nous leur avons apporté de nouvelles idées. L’essence de notre pensée affirmait que l’Amérique incarnait une puissance de Bien dans le monde et qu’elle n’était pas responsable  l’antiaméricanisme, cette haine irrationnelle que notre pays inspirait à l’étranger. Nous défendions les Etats-Unis contre les critiques émises à gauche et nous soutenions un rôle actif de notre puissance sur les affaires du monde, afin de répandre la liberté et la démocratie partout où cela était possible.

 

Voyez-vous, nombre de gens qui ont été appelés « néoconservateurs » n’ont rien du tout en commun avec nous. Bush, Cheney, Rumsfeld, étaient conservateurs et le sont restés toute leur vie. De même, la seconde génération, Bill Kristol, mon fils John Podhoretz, David Brooks, David Frum, n’ont jamais appartenu à la gauche avant de passer à droite. Ils ont été dans le même camp toute leur vie. Aussi ne répondent-ils pas à la définition stricto senso de « néoconservateur ».     

 

 

Drzz: Quelle est à votre avis la clé de la guerre en Irak ? Avons-nous déjà atteint ce tournant où les forces américaines pourront clamer la victoire en toute confiance ?

PODHORETZ : Depuis le début, je pense que la démocratie en Irak va réussir et nous sommes clairement sur la voie du succès, autant politique que militaire. Al-Qaeda en Irak est presque anéanti, les « Sadristes » ont été également affaiblis, l’armée irakienne joue un rôle majeur, comme nous avons pu le constater avec surprise à Bassora. L’Irak a un parlement, un gouvernement élu, une constitution, et le pays avance prudemment mais graduellement vers une réconciliation nationale. A terme, cette nation deviendra un allié du monde libre, particulièrement des Etats-Unis, dans la Guerre contre le Terrorisme – autant de changements qui étaient impensables du temps de Saddam Hussein.    

 

Drzz: C’est une question directement en lien avec l’Irak. Vous avez soutenu – et soutenez encore – des bombardements contre l’Iran. Pensez-vous que le Président va agir dans ce sens ? Le rapport de la National Intelligence Estimate (NIE) de décembre 2007 n’a-t-il pas ruiné cette possibilité ?

 

PODHORETZ : Je voulais encourager l’administration Bush pour qu’elle ordonne des frappes aériennes contre l’Iran. Il est toujours possible qu’elle le fasse, même si cela semble de moins en moins probable. Et ceci à cause du rapport déshonorant de la NIE, lequel a désinformé le monde sur la menace que représente l’Iran et son programme nucléaire. Je l’ai dit et écrit à plusieurs reprises : les mollahs n’ont aucune intention de renoncer à l’arme ultime par des négociations et de la diplomatie. La seule manière de les stopper reste les frappes militaires. Je soupçonne les Israéliens de se préparer activement à cette éventualité, avec ou sans le soutien des Etats-Unis. Israël ne peut pas laisser l’Iran acquérir l’arme atomique. Certes, les conséquences d’une intervention militaire seront sévères, mais une bombe islamiste représenterait une menace plus grave encore.

 

Drzz: En mai 2007, vous avez rencontré le Président Bush en privé et lui avait recommandé d’intervenir en Iran…  

PODHORETZ : Je crois que c’était plutôt en avril… Dans tous les cas, au printemps 2007.

 

 

 Drzz: …estimez-vous que le rapport de la NIE rendu par la communauté du renseignement américain était une riposte à votre livre et à votre travail d’argumentation auprès du Président ?

 PODHORETZ : Je ne me pense pas si important… (rires) Je sais que la communauté du renseignement américain sape la doctrine Bush depuis le début, alors que son rôle devrait se limiter à rendre des analyses indépendantes pour aider le Président à faire ses choix. Régulièrement, la CIA et les autres agences secrètes remettent des rapports confidentiels à la presse afin de mettre le Président dans l’embarras. Le rapport daté de 2007 a été pensé comme un acte de sabotage, une embuscade élaborée par la NIE pour empêcher des gens comme moi, et d’autres, d’avertir Bush de la menace imminente que fait peser l’Iran sur la sécurité internationale. A mon grand regret, il me semble que cette tactique ait fonctionné.

 

 

Drzz: Les Israéliens ont fait décoller la chasse en septembre 2007 pour bombarder un site nucléaire syrien bâti avec l’aide nord-coréenne. N’est-ce pas la preuve que les sanctions tout comme les efforts diplomatiques sont vains lorsqu’il s’agit de traiter avec un Etat voyou ?

PODHORETZ : Absolument. Les sanctions ne vont pas fonctionner face à la détermination iranienne et la diplomatie ne parviendra pas à maîtriser les velléités nord-coréennes. Je regrette que le Président ait été forcé par le climat politique de Washington, particulièrement le Département d’Etat, à s’engager dans cette politique inutile. Les Coréens du Nord ne vont pas obéir au doigt et à la couture du pantalon. De même, les Iraniens nient ce que tout le monde sait : ils veulent la bombe. C’est la preuve qu’ils veulent atteindre ce but quoiqu’il en coûte.  

 

Drzz: Si vous étiez conseiller du premier ministre d’Israël… 

PODHORETZ : (rires)

 

 

Drzz: … Je sais, la question est plutôt originale ! Si vous étiez conseiller du premier ministre d’Israël, quels conseils lui  donneriez-vous pour faire face aux dangers que connaît le pays actuellement ?

PODHORETZ : Je lui dirais ce que j’ai dit au Président Bush : la seule manière d’empêcher l’Iran d’acquérir la bombe atomique est de bombarder ses sites nucléaires. Ce n’est pas seulement une question de sécurité pour Israël, mais une question de survie.   

 

Drzz: Voici une question plus proche d’une réalité européenne. Comment l’Europe, et plus particulièrement la France, pourrait-elle  aider les Etats-Unis à gagner la Quatrième Guerre mondiale ?

PODHORETZ : Il est clair que l’arrivée de Sarkozy a changé l’image que nous avions de la France. J’ai trouvé remarquable les paroles de Sarkozy, selon lesquelles « il y a pire que bombarder l’Iran, c’est l’Iran avec la bombe ». Je ne sais pas s’il est prêt à mettre des actes sur les mots, mais il se dirige de toute manière dans la bonne direction. Parallèlement, je veux dire aux Européens : cessez d’apaiser les tenants de l’islamofascisme et alliez-vous aux Etats-Unis pour le combattre, parce que les fanatiques ne veulent pas seulement s’en prendre à notre pays, ils veulent la défaite totale du monde libre.

 

Drzz: Abordons les présidentielles américaines. Quelle est votre vision de Barack Obama, le probable candidat des Démocrates ?  

PODHORETZ : Franchement, je peux avoir tort, mais je ne pense pas que l’Amérique puisse porter à la présidence un candidat aussi à gauche que Barack Obama. Un candidat qui tient des discours défaitistes sur l’Irak… Je ne pense pas qu’une telle personne puisse devenir Président des Etats-Unis. S’il était élu, je devrais admettre que je ne comprends plus le pays dans lequel je vis. L’Amérique que je connais n’élira pas Obama.

 

 

Drzz: Dans une interview accordée au « blog drzz », Daniel Pipes affirmait que Barack Obama échouera largement, et que si sa défaite sera moins cuisante que celle de George McGovern, elle restera lourde.

 

 PODHORETZ : J’ignorais que Daniel Pipes pensait ceci et suis heureux de l’apprendre. Il a raison. Obama ne peut pas remporter la Maison-Blanche. Oui, c’est le nouveau McGovern.

 

 

Drzz: Son opposant, John McCain, est-il celui qui peut faire avancer les idées néoconservatrices aux Etats-Unis et dans le monde ?

 

PODHORETZ : John McCain est imprévisible. Personne ne sait ce qu’il va dire ou faire. Cela dit, il est un domaine dans lequel il est très fort : la guerre. McCain reconnaît l’importance de la Quatrième Guerre mondiale, non seulement en Irak mais aussi en Iran, et je le soutiens pour cette raison. Il a parlé de l’islamofascisme comme du « défi fondamental de notre temps ».

 

 

Drzz: Enfin, dernière question : quels sont vos espoirs pour le futur du néoconservatisme ?  

 

PODHORETZ : Le néoconservatisme comme je le définis a un avenir radieux devant lui. Certains pensent que le mouvement est mort, mais je ne le vois pas. En vérité, il n’y a pas d’autres voies pour vaincre l’islamofascisme que celle tracée par les néoconservateurs, et cela se sent dans le débat public. Même Barack Obama, si par tous les hasards il était élu, réaliserait qu’il n’a pas le choix. Quiconque se penche sur le défi de la Quatrième Guerre mondiale comprend qu’il n’y a qu’une seule option : adopter les idées néoconservatrices, ou perdre la guerre.

 

 

Drzz: Norman Podhoretz, merci beaucoup de m’avoir accordé cet entretien. Je vous souhaite une excellente semaine estivale à New York.

 

PODHORETZ : Vos questions sont bien documentées, tout le plaisir a été pour moi. Bonne semaine à vous en Europe.