Peut-on se demander si Jean-Luc Mélenchon est allé se recueillir ou cracher sur la tombe de Chokri Belaïd, le politicien tunisien assassiné, peut-être, comme l’a exprimé un journaliste tunisien, par les milices parallèles du ministère islamiste de l’Intérieur tunisien et la Ligue pour la protection de la Révolution ? Question abrupte, pour tenter de clarifier ce qui ne peut l’être frontalement. Chokri Belaïd dénonçait un complot islamo-américano-sioniste : si la France ne cesse de solliciter le Qatar et l’Arabie saoudite, pourquoi ne pas faire état, en dépit du Mali, d’un complot franco-islamo-américano-sioniste ?

À quoi joue Jean-Luc Mélenchon en allant sur la tombe de Chokri Belaïd ? À se faire voir ? Tandis qu’une Française ou un Français isolé à Tunis ou Tataouine ou Djerba ou Sidi Bou risque de tomber sous les balles des milices islamistes que le journaliste Zied El Heni estime armées par Mehrez Zouari, le directeur des opérations spéciales du ministère tunisien de l’Intérieur…

Énoncé ainsi, cela ne vaut pas tripette : tout juste réponse du berger à la bergère tant Jean-Luc Mélenchon vitupère contre quiconque ne le prend pas pour le gourou de la lutte des classes…

Mais force est de constater que, rendant un hommage que je veux croire sincère à Chokri Belaïd, Jean-Luc Mélenchon s’est bien gardé de dire s’il convenait, oui ou non, comme le défunt, que la Tunisie était la proie de groupes d’intérêts américains, israéliens, et du Moyen-Orient. Tout juste a-t-il estimé que les groupes islamistes désignant la France en tant qu’élément déstabilisateur de la Tunisie islamique se trompaient et trompaient l’opinion. « Je n’ai pas l’intention de m’impliquer dans les questions politiques des pays qui me reçoivent », a-t-il déclaré à El Watan.
Fort bien, alors que pense-t-il de la politique française à l’endroit de l’Arabie Saoudite, du Quatar et des Émirats ?

Mélenchon « affirme haut et fort que cela suffit pour exiger des immigrés et des citoyens français issus de l’immigration de se justifier ou de rendre des comptes. » On conçoit. On comprend qu’alors des Tunisiens qui votaient massivement Ben Ali ont massivement voté pour ce qui allait devenir la Ligue pour la protection de la révolution tunisienne (LPR), émanation fasciste d’Ennahda. Peut-être d’ailleurs pour les mêmes raisons : du pur clientélisme. Mais J.-L. Mélenchon ne le dénoncera pas.

Les Tunisiennes et Tunisiens peuvent crever de faim, c’est leur affaire, ils laissent faire… Ce ne sont quand même pas Obama, l’émir du Qatar, l’armée israélienne et l’armée française qui ont détruit des mausolées soufis. Nombre d’entre elles et eux se sont laissés stipendiés par les salafistes promus par les Émirats, et les industriels nord-américains et israéliens, estimait Chokri Belaïd.
Mélenchon s’en lave les mains, on l’aura relevé. Pas question de se prononcer, y compris lorsqu’il rend hommage à Chokri Belaïd. Étrange manière de ménager l’avenir. Et la suite des contrats français avec l’Arabie Saoudite ou le Qatar ?

Après la Tunisie, ce sera l’Algérie, puis le Maroc où les islamistes sont au gouvernement ; pour Mélenchon, pas question de se prononcer, si ce n’est pour un développement écolo-équitable.

Eh bien, cela commence à faire un peu court, jeune homme !

Chokri Belaïd dénonçait un « projet salafiste servant un plan américano-qatari-sioniste ». Un projet qui veut que les peuples laissent les intérêts industriels et financiers nord-américains et israéliens ménager les potentats du Moyen-Orient pourvu qu’ils s’opposent à l’Iran. Il évoquait les criminels américano-sionistes qui envoyaient des jeunes combattre en Syrie et pourquoi pas au Mali.

Il dénonçait un camp proche de la Libye où 5 000 jeunes chômeurs étaient entraînés au combat. Un mot de Mélenchon sur la question ?

Alors d’abord, on répond, ensuite on donne des leçons.

Le Congrès pour la République, l’un des partis proches du président tunisien Moncef Marzouki, a quitté la coalition gouvernementale qui permettait aux islamistes d’Ennahda de former une précaire majorité. Soyons sérieux : ce parti voulait surtout obtenir les portefeuilles des Affaires étrangères et de la Justice. Les ministres de l’Emploi (qui n’avait réussi à rien), des Affaires féminines et de la Propriété nationale sont partis. En fait, ils ont précédé une décision  de Jebali qui voulait leur retirer leurs portefeuilles de toute façon.

Environ 6 000 partisans d’Ennahda ont défilé à Tunis, sans que les Tunisiennes et les Tunisiens ne s’en insurgent. Lofit Zitoun a pu dire sans contradiction, si ce n’était la manifestation de la veille, qu’Ennahda avait le pouvoir « de la rue ».

Eh bien, nous qui ne sommes pas invités par les instituts français, comme Mélenchon, disons : gardez-le donc ! Et à des jours meilleurs : après, par exemple, la démission d’Hamadi Jebali et une réelle confrontation entre celles et ceux qui veulent nous revoir et les autres.

« France dégage ! ». C’est fait. Il n’y a plus qu’un Mélenchon logé, nourri, voire « blanchi » à venir. Rached Ghannouchi, d’Ennahda, qui se dit « cheikh », se serait fait déborder car il n’avait aucun intérêt à voir Chrokri Belaïd abattu, exécuté. Eh bien, il fallait y penser avant.

Il y a chez vous, en Tunisie, un ministre des Affaires religieuses, qui a estimé que lors des funérailles de Chokri Belaïd, la présence des femmes constituait une violation des rites funéraires islamiques. Autour de Mélenchon, pas une seule femme – si ce n’était vraiment au second ou troisième plan. « Monsieur le ministre est indigné de la présence des femmes au cimetière plus que de l’assassinat d’un être humain », a déclaré le journaliste Nourreddine Khademi. Peut-on écrire que Mélenchon n’a pas voulu heurter le ministre dse Affaires religieuses tunisiennes ou est-ce encore une vile attaque personnelle ?

On a entendu Mélenchon « lorsque les imams menaçaient de tuer Chokri Belaïd et Amed Néjib Chebbi » ? Pas que je me souvienne. On l’entend quand les islamistes appellent au boycott des titres et télévisions tunisiennes qui leur déplaisent ? Non plus.

Il y a eu d’autres agressions : dimanche le secrétaire général du Parti républicain à Sebikha (près de Kairouan, proche de Sousse) a été attaqué à l’arme blanche. Aucun parti islamiste n’est modéré. Qu’attend Mélenchon pour se prononcer ?

Ah, évidemment, le Theran Times (Iran) considère que l’exécution de Belaïd est le fait des partisans de Ben Ali. Al-Jazeera évoque une « contre-révolution » sous la plume d’éditorialistes. Sayyed Ferjani, d’Ennahda, voit dans l’exécution l’œuvre de puissances étrangères (pour déstabiliser sa formation). Peut-être. Rien ne peut être exclu. Mais, très sérieusement, Ennahada a tout fait pour qu’on puisse lui imputer ce crime sur le dos : il ne fallait avoir aucune complaisance avec les éléments islamistes les plus radicaux.

N’accablons pas gratuitement Jean-Luc Mélenchon qui a signé la pétition de soutien à Mitra Kadivar, une psy de Téhéran emprisonnée. Il s’est aussi prononcé pour Nadir Dendoune, journaliste français détenu en Irak. Pas de mauvais procès : tout ce qui est écrit supra est polémique, sans doute abusif, provoc’. Bah, il l’a bien cherché. Mais une clarification est plus que nécessaire. Bien sûr, avec la Tunisie, nous avons « un patrimoine commun civilisationnel ». Mais ce n’est pas celui de la complaisance à l’endroit d’un islam qui, au nom de traditions oppressives, justifie tout : excision (toujours très dominante au Mali), domination de la femme par l’homme, règlementation régimentaire du quotidien.
Business News (.tn) estime que Moncef Marzouki, le président de la République tunisienne, sur Al Jazeera, a « fait de la littérature ». Courage, fuyons ! On peut l’admettre : qui voudrait être dans la peau de Marzouki en ce moment ? D’un commentateur : « cette girouette ne pense qu’à sa gueule et au faste de la République comme les fous d’Allah qui dirigent la Tunisie. ».
Avis à Mélenchon : tu t’es vu quand tu es vu de même ?
Allez, il faut dissiper cette mauvaise impression.