Vous vous souvenez de l’affaire (classée administrativement sauf pour le policier ayant initialement dénoncé les faits, toujours sanctionné) de la Bac nord de Marseille ? La justice poursuit son enquête, mais Manuel Valls a totalement passé l’éponge. Mais avec Laurent Cuenca, ex-CRS sanctionné depuis juin dernier pour manquement au devoir de réserve, le ministre de l’Intérieur se retrouve avec sa petite « omerta dans la police ». Laurent Cuenca, 47 ans, qui avait interrompu une grève de la faim à l’époque, se retrouve depuis 11 heures ce matin en haut d’une grue pour protester contre sa mise à la retraite anticipée.

Depuis qu’un père divorcé, à Nantes, s’était hissé en haut d’une grue pour protester, l’occupation de cabines de grutiers a été popularisée. La preuve, Laurent Cuenca, un ancien CRS de la compagnie 24 de Bon-Encontre, dans le Lot-et-Garonne, occupait depuis ce matin celle d’un grutier d’Agen qu’il a prié d’évacuer les lieux. 

Fin mai 2012, ce policier avait été sanctionné pour six mois pour manquement au devoir de réserve. Il lui était reproché d’avoir créé l’association Police Victimes et d’avoir tenté de se porter candidat pour Debout la République dans le Lot-et-Garonne. 

Un autre policier de l’association dissoute avait aussi été sanctionné. Puis Laurent Cuenca se voyait remercié et mis par anticipation à la retraite. Avec le changement de gouvernement, une association intitulée SOS fonctionnaire-victime avait été créée localement. Elle avait fait valoir auprès de Manuel Valls que le dossier présenté à la commission disciplinaire avait été monté complètement à charge. Lui-même estimait avoir été victime d’une dénonciation calomnieuse et de harcèlement. Tout début juin dernier, il avait entamé une grève de la faim.

Puis, en février dernier, il publiait, aux Éditions du Net, un essai, Du ciel en enfer. Il indiquait : « J’ai tout donné au sein d’une institution telle que le Ministère de l’intérieur. Décoré avant l’heure, nombreuses félicitations en poche. Artificier-démineur ; Maitre Nageur Sauveteur; Moniteur de Baton de Police et des sections d’interventions. ».
Il dénonçait un « ignoble complot » du ministère de l’Intérieur pour le « casser ». Un groupe Facebook avait aussi été monté pour le soutenir.

Sihem Souid, auteure d’Omerta dans la police, à présent entrée au ministère de la Justice, avait aussi été sanctionnée pour avoir dénoncé les méthodes de la police de l’air et des frontières. Mais avec Manuel Valls, non, non, rien n’a changé, tout, tout doit continuer.
Soit des syndicats qui, en quelque sorte, tiennent en otages les ministres, et font le ménage (sauf à la Bac nord de Marseille où les ripoux, en dépit des faits, têtus aux yeux des magistrats, se sont tous vu, quelle que soit leur implication, réintégrés… sauf le lanceur d’alerte).
En France, comme l’avait dénoncé Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur, la police contrôle la police, voire les ministres.
Sur le forum Gendarmes en colère, Laurent Cuenca consignait :
« L’association Police/victimes est morte, elle était devenue trop dangereuse pour leurs petites affaires (magouilles) et commençait à faire de l’ombre. Le commandant de mon Unité (CRS 24), me confirme bien que la demande de mon passage en commission disciplinaire vient de Paris et des syndicats (enregistrement à l’appui). Pas grave, ma tête tombera pour un manquement au devoir de réserve et pour avoir été déloyal envers notre chère institution (ou désinstitution). Comme l’ex-commandant Pichon, j’ai cru apporter un plus à notre corporation en dénonçant certains dysfonctionnements par le biais de la loi 1901, ce dont ne sont plus capables nos syndicats véreux. ».
Les ministres passent, tout reste en l’état.
Selon son blogue sur Mediapart, son cas aurait été « psychiatrisé » en travestissant la mort naturelle de sa mère, en 2002, en suicide, puis l’administration dira qu’il s’agissait de son père (toujours vivant, voir ci-dessous).
Il aurait été mis d’office à la retraite pour « une invalidité montée de toutes pièces afin d’arranger l’administration et les commanditaires (syndicats et associations reconnues dans la police). ».
Selon son père, interrogé par Sud-Ouest, « un retard de paiement dans sa pension a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », l’incitant à monter sur la grue pour réclamer un rendez-vous avec Manuel Valls. Dans le même quotidien, alors qu’il espérait obtenir l’aval de Dupont-Aignan pour figurer sur une liste Debout la République, Laurent Cuenca consignait : «  Père de 3 enfants, je m’inquiète pour leur avenir, leur emploi, leur santé, leur retraite, leur logement. Il faut redonner espoirs aux jeunes, lesquels manquent de structures. Hors le sport, il n’y a pas grand-chose. ».

Selon l’ancien policier, le Défenseur des Droits lui aurait donné raison et engagé un rappel à la loi contre le ministère de l’Intérieur. On peut toutefois en douter puisque le Défenseur des Droits a vu ses prérogatives limitées et ne peut intervenir pour des fonctionnaires en butte à leur hiérarchie.

En novembre 2012, Louise Fessard, de Mediapart, avait consacré un long article au cas de Laurent Cuenca. Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national à la sécurité du PS, avait aussi alerté Manuel Valls. Mais Manuel Valls avait fait la sourde oreille : peut-être pense-t-il que la hiérarchie des syndicats de la police est un électorat à soigner tout particulièrement.

Frédéric Ploquin, de Marianne, vient de publier Vol au-dessus d’un nid de ripoux, chez Fayard, à propos de la police marseillaise. Manuel Valls a certainement mieux à faire que de le lire (alors que l’ouvrage transcrit la quasi totalité des écoutes, accablantes, des policiers par leurs collègues de la police des police). Le journalisme estime que les mêmes faits sont constatés dans d’autres villes mais que le ministre ne veut rien voir, rien entendre (et pour dire, c’est toujours le soutien à tous les policiers, indistinctement). En fait sa mansuétude à l’égard de la Bac nord de Marseille crée un précédent : « Désormais, les syndicats vont se servir de ce qui s’est passé à Marseille pour plaider dans les instances de discipline. Mais surtout, cette décision en dit long sur la volonté de certains de vouloir étouffer cette affaire. Beaucoup voudraient qu’elle n’existe pas. ».

Tout comme les affaires de policiers sanctionnés pour s’être exprimés publiquement sur les problèmes de la police en créent un autre : voyez ce qui arrive si vous caftez. Merci, Manuel Valls. Au fait, qui se ressemble, s’assemble ?

Émile Cuenca, père du CRS, est lui aussi un ancien CRS, formateur pendant dix ans à l’école nationale de police de Fos-sur-Mer.