Durant le mois de juin 2007, La reine d'Angleterre anoblissait Salman Rushdie, le faisant chevalier, ce qui provoqua aussitôt, à l'autre bout du monde, des manifestations islamistes dans lesquelles le drapeau britannique fut brulé en place publique, sous les cris des barbus extrémistes. Ce mardi, des menaces ont été proférées …

 



… par le numéro deux d'Al-Qaeda sur un enregistrement sonore, diffusé sur internet, dans des termes particulièrement haineux. 

 

Si l'anoblissement de Rushdie provoque de tels remous, c'est qu'il est l'auteur du livre "Les versets sataniques", pour lequel il avait déjà eu à subir une "fatwa", émanant de l'iman Khomeini. Voici quelques années déjà, Khomeini considérant Salman Rushdie comme un apostat, ce qui est passible de la peine de mort selon la sharia islamiste. A ce titre sa déclaration est consternante: "Au nom de Dieu tout puissant. Il n'y a qu'un Dieu à qui nous retournerons tous. Je veux informer tous les musulmans que l'auteur du livre intitulé Les versets sataniques, qui a été écrit, imprimé et publié en opposition à l'Islam, au prophète et au Coran, aussi bien que ceux qui l'ont publié ou connaissent son contenu, ont été condamnés à mort. J'appelle tous les musulmans zélés à les exécuter rapidement, où qu'ils les trouvent, afin que personne n'insulte les saintetés islamiques. Celui qui sera tué sur son chemin sera considéré comme un martyr. C'est la volonté de Dieu. De plus, quiconque approchera l'auteur du livre, sans avoir le pouvoir de l'exécuter, devra le traduire devant le peuple afin qu'il soit puni pour ses actions. Que Dieu vous bénisse tous. " Ainsi même les lecteurs sont condamnés à mort, pour avoir lu un livre, avec la bénédiction de Dieu, un Dieu vengeur, qui ne tolère pas le moindre esprit critique, ni même la simple connaissance! La fatwa avait été relativisée depuis… et les menaces terroristes ont réapparu avec l'anoblissement, alors que l'écrivain ne se cachait plus. Salman Rushdie n'a pourtant été récompensé que pour son œuvre de romancier, un romancier reconnu comme l'un des plus grands écrivains de langue anglaise de notre époque, et à ce titre ce n'est pas la première distinction qu'il reçoit: en 1981 il est récompensé pour son livre "Les enfants de minuit" par le prix "Booker prize", il reçoit par la suite le prix littéraire de l'Union européenne, devient membre de la Royal society of literature et il est commandeur de l'Ordre des Arts et des Lettres!S'il est reconnu à travers tous ces titres, cela n'empêche pas qu'à l'époque des versets sataniques il fut peu soutenu. Milan Kundera s'en désole dans son essai "Les testaments trahis", (dans des pages que malheureusement je ne peux reproduire ici sans prendre le risque de réduire drastiquement sa pensée, j'invite donc le lecteur à se procurer ce très intéressant petit livre de poche) témoignant à l'auteur toute sa considération de romancier "il n'y a pas de place pour la haine dans l'univers de la relativité romanesque(…) un romancier (…) qui écrit pour régler ses comptes (…) est voué au naufrage esthétique total et assuré." , dénonçant la façon simpliste dont le roman a été interprété. Car "Les versets sataniques" est un grand roman, une œuvre dense et pleine de fantaisies. Il ne s'agit pas d'un roman dans lequel on entre comme dans un moulin, à la façon de ses livres de gare (voire de supermarché!). C'est une sorte de rêverie qui vous emmène de Londres jusqu'en Inde, en passant par le Moyen-Orient avec le prophète de l'islam. Il est intéressant avant d'ouvrir ce livre d'avoir lu le coran pour bien saisir toute l'histoire. Malheureusement le grand public n'en retient que la fatwa, laissant de coté la beauté du livre. Pourtant le roman traite aussi de la politique de la Grande-Bretagne, et est bien plus vaste que le seul aspect critique de la religion musulmane, un aspect critique qui s'y trouve particulièrement relativisé puisqu'il s'agit du rêve d'un des personnages du livre, ainsi que le souligne Milan Kundera. "Al-Qaeda a tué des civils, dont beaucoup de musulmans depuis des années, bien avant que Salman Rushdie soit anobli" a déclaré le porte parole des affaires étrangères anglais. "Je veux que les gens du monde entier s'unissent pour dire que nous ne tolèrerons pas une menace extrémiste qui est exercée sur tous les continents indépendamment de ce qui se passe dans tel ou tel pays." Nos intellectuels bien pensants, si prompt à dénoncer les injustices de notre époque, et l'obscurantisme en particuliers ne brillent que d'un faible éclat face à ces menaces terroristes! Ne s'agit-il pas pourtant d'une guerre des Lumières contre l'obscurantisme ici? N'est-ce pas la finesse contre la grossièreté? L'esprit critique face à la bêtise? L'art devant la barbarie? Pour conclure, la plupart des lecteurs de Salman Rushdie considère que son meilleur roman est "Les enfants de minuit", que tout amateur de littérature se doit d'avoir lu. Voici un livre qui vous accompagne, un de ses livres rares aves lesquels on marche dans la vie, le perpétuant après l'avoir reposé, tant le lecteur s'en imprègne. Il va de soi que les musulmans en général ne se solidarisent pas de ces débordements, même si l'on peut regretter de ne pas entendre plus clairement leurs voix. Comme le dit si bien Ayaan Hirsi Ali, à la fin de sa tribune dans le figaro, "longue vie à la reine!". La très intéressante tribune de Ayaan Hirsi Ali:http://www.lefigaro.fr/debats/20070628.FIG000000092_affaire_salman_rushdie_ce_que_l_occident_ne_veut_pas_comprendre.html