L’Homo festivus… quand Luchini joue Murray

Luchini aurait-il trouvé son maitre à penser ?

Je suis sortie du spectacle en me disant que Luchini avait fini par trouver l’écrivain qui lui ressemble le plus et qui illustre le mieux son mode de pensée et sa façon de l’extérioriser. 

 

Ce ton grinçant, cet humour amer qui peut faire rire tout en déchirant. Le genre d’humour qui a toujours caractérisé Luchini: on rit, mais on sent que le tragique est là pour soutenir le rire, vraiment pas loin.

 

Murray est aussi parfois rapproché de Céline par son grand esprit critique et acerbe.  Ensuite, Luchini et Céline, c’est une histoire connue de longue date… ce point commun contribue certainement au parfait accord entre l’artiste et l’écrivain. Dans son dernier spectacle, "Luchini lit Murray", l’artiste se confond, littéralement, avec l’écrivain dont il lit les textes.

Certains riaient aux éclats dans la salle, les gloussements et le timbre aigu de la fille installée deux places plus loin me perçaient les tympans. Je riais moins cette année, moins qu’avec "Le point sur Robert " (son spectacle précédent). 

Je ne me suis pas ennuyée, ne vous méprenez pas. C’était profond, perçant, fin, très fin. Je ne voulais pas rater un seul mot, je voulais saisir l’ensemble. Je tentais d’appréhender l’image noire que cet homme portait sur notre société d’aujourd’hui et en particulier sur moi en tant que citoyenne.

Je tenais à me voir dans ses mots comme faisant partie de ce tout. Voulait-il remuer cet homo festivus approbatif ? Ou seulement le dénigrer ? Le réveilleur de sa torpeur tout du moins à ne pas en douter !

L’Homo festivus, équipée de ses rollers, glisse harmonieusement sur la chaussée dans son déhanchement approbatif… pour lui la vie est belle, tout va bien, tout est pour le mieux, c’est la fête. Mais il n’est pas vraiment heureux, il ne peut plus se retrouver tout seul. Les pouvoirs publics alimentent l’esprit festif : Paris plage, les journées du patrimoine n’en sont que quelques exemples.

 

Murray fait ressortir les incohérences et le déni de la réalité de l’attitude ambiante, à travers des exemples tous d’actualité et dans des domaines variés : la politique avec les sempiternelles questions du flou entre la gauche et la droite, ainsi que les intitulés emplois jeunes de Martine Aubry ; la famille avec le syndrome de l’enfant roi dont les parents sont atteints ; la collectivité avec les faux débats à tout va sur l’absence de débat ; l’individu attaché aveuglément aux bonnes causes rassurantes d’aujourd’hui.

Luchini nous prévient par moments que le texte n’est pas facile, qu’il faut être bien concentré. Il relit, il fait des pauses, il nous distrait pour nous reposer puis insiste à nouveau en revenant sur les passages délicats, les phrases fortes.

Luchini lit ou plutôt « joue » Murray, avec sa puissance interprétative habituelle, il se donne à fond, il veut nous faire réfléchir… et on aperçoit bien l’énergie présente dans l’oeuvre de Murray, dans ce miroir sans concession de notre monde moderne.

 

A déguster ! Jusqu’à fin décembre au théâtre de l’Atelier à Paris:

http://www.theatre-atelier.com/spectacle-fabrice-luchini-lit-philippe-muray-54.htm