En déroute à l’hôtel – délire et rituels individuels

En voyage ou en déplacement, lorsque j’arrive devant la porte d’une nouvelle chambre d’hôtel, je vérifie d’abord à plusieurs reprises que c’est bien le numéro que le logiciel – ou est-ce l’employé à la réception ? — m’a attribué. 

Ensuite, en pilote plus ou moins automatique j’enclenche l’atterrissage : je pose mes bagages par terre; j’introduis la carte dans la serrure; je pousse la porte à moitié, et je la bloque avec un pied pour l’empêcher de se rabattre, le temps d’attraper mon équipage; je m’accroche à mes affaires avant d’entrer !

Après avoir franchi le seuil, il me faut mettre la clé dans mon sac à main — sinon, je serais capable de les perdre à ce stade-là. Bouche ouverte, je balaye du regard tout l’espace devant moi : la pièce est-elle carrée, allongée ou tarabiscotée ?

Je prends ensuite soin de ne faire qu’un seul pas ou deux, si c’est vraiment nécessaire pour refermer la porte derrière moi, je ne voudrais pas salir déjà. J’étudie le revêtement du sol (là je réalise parfois avec surprise que j’ai déjà posé mes chaussures et affaires derrière l’entrée). Si c’est de la moquette, je tape des pieds pour mesurer le taux de poussière. S’il s’agit du lino, je m’accroupis et je le touche de mes mains pour m’imprégner de la finesse du grain. Quant au carrelage, j’avance un pied que je laisse glisser afin de tester le frottement. Et pour le parquet, je ne fais rien, je crois, et ne me demandez pas pourquoi ! Mais c’est plutôt rare le parquet dans les chambres d’hôtel.

Je marche alors en chaussettes et sur la pointe des pieds jusqu’à la salle de bains. Je cherche en silence les petits flacons de soin pour le corps. Je lis une description au hasard, je me dis qu’elles se ressemblent toutes plus ou moins : Potion magique destinée à vous tirer d’ennui, bla-bla-bla…

J’enlève l’emballage crépitant de la savonnette, taille minus, aux pétales de pivoine ?!… et hop, je me lave les mains. Avec un mouvement rotatif de la tête, je regarde en même temps autour de moi. Je ferme le robinet. Je m’essuie avec une des petites serviettes et je la laisse à proximité. J’hydrate mes mains avec la lotion pour le corps. Pendant que je les masse pour faire pénétrer le produit, j’approche mon nez pour sentir l’odeur.

S’il y a une baignoire, je me penche pour examiner l’émail au reflet de la lumière : la surface est-elle brillante ? Je regarde ma bouille dans la glace en passant. Puis, je reviens en arrière, je m’observe attentivement jusqu’à me trouver un air familier. J’ai toujours l’impression que chaque miroir me renvoie mon image à sa façon.

Je retourne dans la pièce principale. J’avance jusqu’à la fenêtre et je tire les rideaux – je les remets aussitôt d’un coup sec en me cachant derrière, si je vois des gens en face, je ne suis pas encore prête.

Je m’approche du lit, je choisis mon côté. Je m’assois pour tester le moelleux du matelas. Je sors l’oreiller de sous les couvertures pour poser ma tête et je ferme les yeux le temps de prendre trois grandes respirations et bien sentir les draps.

Lorsque je suis relativement calme, je me relève. J’ouvre ma valise que je secoue énergiquement en l’air au dessus du plumard jusqu’à ce que mes affaires forment un tas semblable à un artichaut. Et pièce par pièce je décide de la place que je lui réserve : tiroir, penderie ou meuble-lavabo. Quand il ne reste plus que le cœur à nu de mon empilement, je commence à redevenir progressivement moi-même.

Photo: "LE MONDE TISSE SA TOILE" http://francinebassetto.blogspot.com/