L’Europe au bord du gouffre

Cet article constitue une réponse, sous forme d’un long commentaire, à deux articles récemment publiés sur C4N :

 

a) Une réponse Jacques Delors l’Europe est au bord du gouffre, 25-03-2012 09:17 – 127 visites – Flux Politique – Ecrit par anidom nidolga 

 

b) Le chômage, c’est comme l’Euro ! Il faut le traiter au niveau Européen !  24-03-2012 18:15 – 275 visites – Flux Economie, finance – Ecrit par RUI DEALMANTIS 

 

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«L’Union n’est pas une dimension économique et marchande, ce n’est pas une manufacture, ce n’est pas un marché avait-il déclaré devant le parlement Européen le 25 octobre 1989». C’est devenu tout sauf cela.

lit-on dans l’article d’anidom nidolga, qui cite ici un des propos que François Mitterand a tenu à cette occasion.

Quant à résoudre le problème du chômage au niveau européen, comme le souligne RUI dans son propre article, cela présuppose l’existence d’une Europe qui soit non seulement politique (ce qui n’est pas encore le cas – comme le souligne Julien dans l’un des commentaires à cet article), mais industrielle.

 

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Mais d’abord revenons, pour commencer, à l’Allemagne. Depuis les lois Hartz, ce pays n’a fait que reprendre à son compte, tout en l’adaptant à sa propre société, une pratique qui existe depuis Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher en Angleterre, et qui veut que le marché du travail, doive être, en tendance, complètement  libéralisé; ce qui revient à dire que ni l’Etat ni les syndicats (en accord avec le patronat) ne doivent légiférer en cette matière,  puisque seules les puissances du marché sont, selon l’idéologie néolibérale, capables de fixer ce que doit être le prix du travail pour permettre le plein emploi.

 

A cela s’ajoute le fait que les travailleurs doivent pouvoir circuler partout, comme d’ailleurs les investissements et les flux financiers, ce qui signifie qu’il ne doit exister, ni espace Schengen, ni barrière tarifaire aux produits, ni barrière douanière aux produits, aux investissements et aux personnes elles-mêmes;  bref que tout doit être complètement dérégulé.

 

Et il existe, à partir de là, une autre théorie, dite des coûts comparatifs, ou avantages comparatifs (dont le premier auteur fut un certain David Ricardo) qui dit que les produits à forte valeur ajoutée doivent être produits dans les pays où  les salaires sont élevés, et que les produits à faible valeur ajoutée doivent être produits dans les pays à bas salaires.

 

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Voilà pour la théorie.

 

En pratique, les choses sont un peu différentes. Et d’abord parce que les travailleurs ne se déplacent pas à l’échelle mondiale pour trouver du boulot, ne serait-ce que pour des questions culturelle et de langues; et ce d’autant plus qu’il existe encore, de nos jours, des Etats nations auquels les gens sont, par définition, attachés.

 

Or le capital, lui, circule bel et bien (avec des exceptions certes) à l’échelle mondiale, depuis la mondialisation des rapports d’échange initiée sous l’ère de Ronald Reagan aux Etats Unis et de Margaret Thatcher en Angleterre.

 

Qui représente, aujourd’hui, le capitalisme à l’échelle mondiale?

Réponse : les compagnies multinationales.

Qui sont les gros actionnaires de ces compagnies aujourd’hui ?

Réponse : tout dépend ici de l’Histoire.

 

En clair, si, jusque dans les années 2000, les principaux actionnaires furent des Européens, des Japonais ou des Américains, on assiste, en ce moment, à un changement de la donne puisque de plus en plus de Chinois, de Singapouriens, de gens d’Hong-Kong, de Qataris, d’Indiens, de Russes, et, bientôt, de Brésiliens, de Mexicains, etc détiennent, comme grands actionnaires au sein des compagnies multinationales, un pouvoir de décision toujours plus important.

 

Et il en sera également de même, à l’avenir, au sein du FMI, de la Banque Mondiale et de toutes les institutions responsables des échanges mondiaux.

 

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Or, et c’est là où je voulais en venir, la théorie des avantages comparatifs est devenue caduque pour la simple et bonne raison que les pays émergents sont en train de rattraper les pays du premier monde dans tous les domaines, y compris celui de la technologie (elle qui repose avant tout sur des innovations qui doivent elles-mêmes leur existence à des chercheurs et des ingénieurs qui sont de plus en plus nombreux en Chine, en Inde, au Brésil, etc, comparés à ceux des pays du premier monde).

 

ET comme ces pays-là (Europe, Etats-Unis) dominaient  le monde jusque là sur le plan industriel, ils ont pu capitaliser cette avance sur le plan financier et investir à l’étranger.

 

Mais là est le retour, aujourd’hui, du balancier : cette avance est en train de s’effondrer elle aussi, pour la simple et bonne raison que les pays émergents, grâce aux faibles salaires qui sont les leurs, et grâce à leur rattrapage sur le plan technologique, affichent, sur le plan économique, des taux de croissance importants, eux-mêmes accompagnés d’un excédent de leur balance commerciale.

 

A l’inverse, dans les pays du premier monde, les taux de croissance sont faibles et les balances commerciales le plus souvent déficitaire (y compris d’aileurs – comme le souligne RUI dans un autre article – au Japon). Et tout cela car la main d’oeuvre coûte trop cher, dans les pays du premier monde, relativement à ce qu’elle est dans ceux qui sont en train de monter dans la hiérarchie.

 

A partir de là, Mesdames et Messieurs, faut pas rêver : l’Europe (et, avec elle, les Etats-Unis) a beau faire travailler ses travailleurs à un rythme démentiel, afin de compenser, par une hausse de la productivité, le niveau élevé, comparativement, des salaires versés à ces mêmes travailleurs, elle n’arrivera jamais à concurrencer, au point de vue des coûts, les salaires versés à des gens du tiers monde qui, parce qu’ils sont de plus en plus qualifiés, permettent aux pays concernés de rattraper les pays du premier monde.

 

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Voilà pour le premier point.

 

S’agissant du second, l’Europe, en étant dirigée actuellement par une classe de politiciens et de technocrates qui sont quasiment tous acquis à l’idéologie néo-libérale, est en train d’abandonner son pouvoir de  décision, en matière économique en général, et en matière industrielle en particulier. Cela tient au fait que l’argent pour investir se situe de plus en plus du côté des Chinois, des Singapouriens, des Qataris, des Indiens, des Russes, etc. etc.

 

Reste à préciser que ces gens-là sont à la fois très minoritaires et très fortunés dans leur propre pays. Mais le fait est qu’ils ont de plus en plus d’argent. A titre d’exemple, si l’on regarde les plus grandes fortunes au monde, au début de l’année 2012 (cf. http://www.forbes.com/billionaires/list/) on constate que la plus grosse appartient au Mexicain Carlos Sim Helu,  ingénieur de formation et qui a racheté Telmex, une société de téléphonie fixe, lors de sa privatisation en 1990, et qui occupe une situation de quasi-monopole (un Caros Sim Helu qui  détient également des parts dans la très rentable America Movil ou encore dans la société Impulsora del Desarollo Economico de America Latina); que le 7ème rang est occupé par Eike Batista, Brésilien qui doit sa fortune d’abord (par son père) à Vale, l’une des trois plus grandes entreprises mondiales dans la possession des mines et l’exploitation du minerai de fer; que le 9ème rang est occupé par  Li Ka-Shing, immigré à Hong-Kong depuis la région chinoise de Guandong, et qui aujourd’hui à la tête de deux conglomérats, Cheung Kong et Hutchison Whampoa, qui opèrent dans le fret maritime, l’électricité, l’immobilier les télécoms et la beauté;que le 21e rang est occupé par Lakshmi Mittal, de nationalité indienne et président d’ArcelorMittal, premier conglomérat de la sidérurgie dans le monde, un Lakshmi Mittal qui d’ailleurs va venir dans les trois premiers de cette liste durant les prochaines années.

 

Bref, tout cela pour dire que le monde est en train de basculer sur le plan industriel, puisque des nouveaux entrepreneurs financiers des pays émergents sont en train de prendre la place des habituels Américains (USA et Canada réunis) et Européens.

 

Et l’Europe des travailleurs, dans tout cela?

 

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Si le modèle néolibéral continue de leur être appliqué, ils connaîtront (mis à par les gestionnaires eux-mêmes, des entreprises concernées) une baisse de leur niveau de vie, ainsi que, pour nombre d’entre eux, la misère et la précarité.

 

La seule façon pour eux de s’en sortir est que l’Europe se fonde sur des bases politiques et industrielles, ce qui présuppose qu’elle nationalise, au niveau européen s’entend, toute son industrie et toutes ses banques.

 

Dans le cas  contraire, l’Europe ne connaîtra plus jamais le plein emploi. Quant au taux de chômage affiché par les pays membres, c’est là, pour certains d’entre eux, du pipeau, dans la mesure où un travailleur qui travaille une heure par jour a cessé d’être, dans les statistiques du chômage, un chômeur.

 

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PS. Ce complément fait suite à un commentaire de zelectron figurant sous l’article de Rui libellé comme suit :

Le chômage, c’est comme l’Euro ! Il faut le traiter au niveau Européen !

et qui est le suivant :

@clgz11, votre description de l’état économique de l’occident est réaliste, quand aux causes j’ajouterais une forte propension à l’immobilisme y compris devant le danger. Quant aux solutions je crois qu’étant en véritable guerre il n’est pas bon de donner les éléments de stratégie aux adversaires, cela ne passe pas par les nationalisations dont on connait les effets délétères depuis fort longtemps. Pour mémoire un marché est d’abord et avant tout constitué de produits et de clients, les "nationalisées" ne sont pas l’outil ad hoc pour ce faire. En second lieu les hommes constituants les entreprises (pour ma part au dessus de 1000 à 2000 personnes les dérives sont trop importantes et je ne les qualifie pas vous les connaissez) en sont la véritable force et permettent une lutte véritable, sans merci (avec une participation aux résultats qui ne soit pas symbolique, dans tous les cas supérieure aux distributions aux actionnaires!)

 

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Par nationalisation – puisque c’est de cela qu’il s’agit ici – je n’entends pas dire que les hommes politiques doivent gérer les entreprises ou contrôler directement leurs investissements. J’entends par là que l’Europe a assez de ressources en matière grise, et un espace économique suffisant pour que l’on y crée des entreprises dont le capital est contrôlé par les Européens, et dont les entreprises engagent des ingénieurs et chercheurs qualifiés, européeens en majorité, puisque l’essentiel des innovations technologiques reposent sur eux.

 

Il faut en effet, de mon point de vue, que les pays d’Europe se concentrent sur l’Europe même en tant que nation industrielle, ce qui passe forcément par une réappropriation du capital.

 

Quant à l’espace économique européen, je constate qu’il est, aujourd’hui,  une passoire comparé aux espaces chinois ou américain, ce qui n’est pas normal. Et cela ne l’est pas car les dirigeants européens sont la plupart du temps des néo-libéraux qui croient que l’Europe va pouvoir se maintenir, dans le concert des nations – sur le plan industriel notamment – en privilégiant les seules forces du marché. Ce qui n’est pas le cas.

 

C’est ainsi, pour prendre un exemple, que quand Renault va délocaliser au Maroc une partie des ses activités de production, elle dessert l’Europe, en termes de production et d’emploi, au lieu de la servir. Or l’Europe, si elle était  un seul pays doté d’une politique industrielle au service, d’abord, de ses Etats membres,  ferait que Renault et les autres compagnies délocaliseraient, au sein même de l’Europe, et non en dehors, leurs activités de production. Et à cause de ces délocalisations, les Etats membres devraient régler ensemble la question du chômage créé ici et là.  

 

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En résumé, je soutiens qu’on n’a pas besoin, en Europe, de multinationales qui délocalisent leurs activités en Asie ou ailleurs, puisqu’on y a assez de travailleurs pour produire les biens concernés. Et si ceux-ci seront plus cher, comparativement à ceux fabriqués dans ces pays, ils permettront à toute une classe de travailleurs européens de conserver leurs métiers et de ne pas être au chômage. Car un chômeur, non seulement ne produit rien, mais il coûte à la société. Sans parler des dommages causés au chômeur lui-même du fait de cette situation.

A partir de là on peut adopter, vis-à-vis des entreprises qui délocalisent dans les pays à bas salaires, le meme genre de mesure qu’à l’égard des gens qui délocalisent leur fortune à l’étranger pour ne pas payer d’impôt dans leur pays d’origine : ou l’on adopte une amnistie pour les entreprises qui acceptent de relocaliser leurs activités de production dans leur pays d’origine, ou l’on élève des barrières tarifaires sur leurs productions venues de l’étranger.

 

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ET puisque le capitalisme repose sur les OPA et les concentrations, les Etats européens doivent contrôler que le capital des entreprises travaillant sur le sol européen ne quitte pas cette Europe, ce qui est de moins en moins le cas de nos jours puisque de plus en plus de fonds d’investissement d’origine extérieure sont en train de s’investir en Europe. Or plus ce mouvement se poursuivra, plus il existera de chômage en Europe en raison d’une délocalisation à l’echelle mondiale.

 

ET si je réclame, dans cet article, pour l’Europe, des entreprises nationalisées, c’est aussi parce que les gestionnaires européens des entreprises privées, quoique travaillant avec des capitaux européens, favorisent au maximum, par les temps qui courent : a) les concentrations avec des entreprises situées à l’extérieur de l’Europe (américaines notamment), et b) les délocalisations de leurs unités de production dans les pays émergents, toutes choses qui, pour  profiter aux gestionnaires et aux actionnaires de ces entreprises, ne profitent nullement à leurs travailleurs (et encore moins quand ceux-ci sont devenus chômeurs).

 

Or on ne peut pas accepter que des chefs d’entreprise européens pénalisent, au nom des lois du marché, les travailleurs européens au profit des autres travaileurs.

 

Ceci dit, je nie pas que certaines entreprises européennes doivent être restructurées. Mais le mondialisme imbécile qui prévaut actuellement ne doit pas être le prétexte à de telles restructurations, puisque leur seul but est de réduire au maximum les salaires des travailleurs et de payer aux actionnaires un dividende qui ressemble de plus en plus à une rente prélevée sur les salaires; sans parler des bonus encaissés par les chefs des grandes entreprises et des grandes banques, tous imposant, pour leur seul profit personnel, les lois du néo-libéralisme à l’échelle mondiale.

 

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Je terminerai en disant que les grandes compagnies multinationales sont si puissantes, de nos jours, que leur seule présence fait que la concurrence est plus éloignée que jamais du modèle théorique qui veut que la concurrence pure et parfaite – tour à tour des facteurs de production, des ressources et des produits – tende vers cet optimum social que chacun souhaite.

 

Or ce n’est nullement le cas lorsque les grandes compagnies forment des monopoles si puissants qu’elles peuvent corrompre n’importe quel homme politique en lui payant, en échange de passe droits dans tous les domaines (accès aux marchés publics, accès aux matières premières, suppression des barrières tarifaires, subventions sous toutes les formes et dans tous les domaines, abattements sur les impôts et les taxes, droits de polluer s’il s’agit d’entreprises polluantes, etc., etc.) des commissions ou des pots de vin sur des caisses noires situées dans des banques qui sont elles-mêmes situées dans les paradis fiscaux.

 

Et la preuve que c’est le cas, c’est que ces paradis continuent d’exister, aujourd’hui, malgré les cris de tous cette bande d’hypocrites qui ne cessent de lever les bras au ciel au moment des élections, ces bras qu’ils baisseront au moment d’encaisser leurs prébendes, ou bien des grandes compagnies (pour les raisons indiquées tout à l’heure), ou bien grâce à leurs propres entourloupettes durant leur passage (et donc, aussi, celui de leur propre parti) au pouvoir – puisqu’à cet instant ils s’enrichiront, sur le dos des marchés publics, grâce à de fausses facturations ou grâce à des commissions occultes encaissées lors des pseudo-adjudications).

 

 

 

 

 

 

 

11 réflexions sur « L’Europe au bord du gouffre »

  1. [b]je suggérerais d’empêcher une entreprise de comporter plus que 10 000 salariés dans un premier temps, puis 5 000 et enfin 1 000 à 2 000, ceci pour « retrouver » une taille humaine* ?[/b]
    *les monstruosités qu’elles soient d’état ou privées tuent l’humain.

  2. Bonjour zelectron. Je sais qu’il existe, pour faire suite à votre intervention, une loi, aujourd’hui – que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis -qui interdit aux entreprises d’être trop importantes, puisque la taille empêche la concurrence de jouer. Et puisque j’ai étudié de près, durant ces derniers jours, le dossier du groupe ArcelorMittal, je me suis aperçu qu’au moment de l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor, la première nommée a dû se débarrasser d’une société italienne qu’elle détenait jusque là.

    Mais tout cela, c’est vrai, est du perlinpinpin à la lumière des chiffres que vous citez s’agissant de la taille maximale que devraient avoir les entreprises en termes d’effectifs.

    Et le pire, dans le cas des méga-entreprises, c’est quand elles sont dirigées par un seul homme ou une seule famille puisqu’elle concentre entre ses mains, et à l’échelle mondiale, un pouvoir si phénoménal que pas même les autorités d’un Etat ne peuvent lutter contre.

  3. [b]Excellent plaidoyer

    Excellent complément aux deux articles cités dans l’introduction.

    L’économie Politique n’étant pas mon point fort, je me garderai de commenter, au risque de dire des bêtises.

    Mais j’ai partagé sur Facebook, et Google + et Twitter (j’oubliais)

    Sohy[/b]

  4. Bonjour et merci Sophy, pour votre gentil commentaire. Mais je peux vous assurer que si un politicien ou un économiste libéral devait lire un article comme le mien, il n’hésiterait pas à me voler dans les plumes.

  5. [b]Sur C4N, les idées citoyenne sont toujours les bienvenues.

    Les politiciens « prient » pour leur paroisse.

    J’ai signalé votre article avec le lien bleui, sous « La phrase de trop ».

    Bonne journée
    Sophy[/b]

  6. [b]Excellent article.
    J’ai la nette impression que les allemands souhaitent avoir la main mise sur l’Europe.
    En revanche, redéfinir complètement la société économique française, européenne voire mondiale relève de l’utopie…Mais n’est ce pas de cette utopie que sont nées les meilleures idées?[/b]

  7. Je ne sais trop quelle est la moins pire manière de s’en sortir.
    L’utopie précédente consistait à libérer du temps et créer du bien-être grâce à l’informatisation et la robotisation.
    Du coup, dans mon domaine en tout cas, un seul a fini par faire le travail de quatre ou cinq, sans forcément travailler moins ni vraiment gagner davantage.
    Idéalement, la décroissance et le travail à mi-temps plus généralisé seraient une amorce de solution, mais il y a mille et une manière, pour les plus malins, de contourner et détourner.
    La planification et l’aménagement du territoire ont été très fortement réduits, laissant la place aux « forces du marché », s’accompagnant d’une désindustrialisation.
    La concurrence qui est censée contribuer à la baisse des coûts finit par les augmenter : les plus puissants finissant par éliminer les petits concurrents puis à s’entendre sur les prix.
    En fait, c’est un peu comme Sisyphe, nous sommes condamnés à sans cesse chercher de nouvelles voies dont les avantages génèrent des inconvénients qui finissent parfois par l’emporter, et il faut recommencer.
    Trouver un équilibre qui privilégie l’humain est un très bel objectif, mais que cet équilibre est fragile !

  8. [b]… les méga-entreprises sont aussi celles d’États y compris dans leurs propres services dont le pouvoir est dilué, écartelé, gaspillé (pillé?), suborné, détourné par une cohorte d’agents aussi irresponsables que les hauts fonctionnaires qui leur donnent à travers une hiérarchie abscons de chefaillons en cascade des instructions pour maintenir leur pouvoir plutôt que servir les assujettis que nous sommes, sans oublier ceux qui sont en mission on ne sait où, absents, ou assidus aux mots fléchés, sans parler des comptages de fleurettes. Les grandes entreprises privées n’échappant pas non plus à ces travers…[/b]

  9. Rebonjour à tous. Je voudrais encore juste signaler ceci : quand les Francais achètent, par exemple, des produits fabriqués en Chine, ceux qui, en France, ont encore un emploi et un revenu, gagnent à ce jeu-là (pour autant que ce revenu n’ait pas diminué) puisque le prix des biens achetés (TV, stéreo, etc) a baissé, en raison des délocalisations, par rapport à ce qu’il était précédemment.

    Encore faut-il prouver, bien entendu, que le revenu en question n’a pas baissé. Quant à celui qui, en France, a perdu son emploi, peu importe qu’il doive son nouveau statut de chômeur à la mécanisation ou à la robotisation à outrance, au sein de son entreprise, ou qu’il le doive à des délocalisations d’activité, de la part de son entreprise, dans les pays à bas salaires (dans mon exemple, la Chine); puisque, dans les deux cas, c’est lui le grand perdant.

    Même chose encore si le constructeur automobile PSA s’associe, par exemple, avec General Motors, puisque l’histoire des concentrations industrielles démontre que l’entreprise acquéreuse (et qui donc pèse de plus de poids que l’autre) réduit d’abord son tissu industriel auprès de l’entreprise cible (i.e. celle qui vient d’être rachetée et qui est quelque sorte, sur le plan des rapports de pouvoir, la vassale de la première – une vassale qui est ici PSA).

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    Et le fait est que les gestionnaires des entreprises multinationales vont mettre en concurrence, à l’échelle mondiale, les travailleurs des différents pays où elles ont leurs implantations industrielles; en exigeant, notamment, des travailleurs des pays du premier monde, des cadences de travail de plus en plus insupportables, puisque là les nouveaux chômeurs (à temps complet ou à temps partiel), ainsi que les gens partis à la retraite (anticipée la plupart du temps) ne seront pas remplacés; ce qui obligera, comme Jef le souligne dans son commentaire, ceux encore en activité de faire plus de besogne, voire meme beaucoup plus de besogne, au sein de l’entreprise, pour le même salaire, que par le passé.

    (suite)

  10. Cela étant, il existe des métiers qui ont complètement disparu de la circulation suite aux délocations. Songeons, par exemple, à ceux qui réparaient, en France même, des télé ou des stéréos et qui ont perdu leur occupation quand les consommateurs français ont préféré acheté, à bas prix, des appareils neufs fabriqués en Chine, plutôt que de réparer en France leurs anciens appareils.

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    Ce constat me permet d’évoquer un autre argument qui consiste, pour les hommes politiques au pouvoir en France, à dire aux consommateurs français : « si vous voulez protéger vos emplois, achetez français plutôt qu’étranger ».

    Or cela ne marche pas, le plus souvent, pour la simple et bonne raison que les gens (ouvriers, employés, commis, etc) qui ont un minimum de salaire pour vivre, vont d’abord, au moment de faire leurs achats, regarder le prix des articles qu’il achète dans les magasins.

    C’est ainsi que s’ils peuvent acheter, au prix de 100 euros, une télé fabriquée en Chine, ou s’ils peuvent acheter, au prix de 20 euros, une paire de Nike fabriquée en Inde, ils ne vont se priver d’acheter de pareils articles au détriment des memes fabriqués en France, en raison même de la modicité de leur propre salaire.

    C’est dire que le patron de telle ou telle entreprise française est gagnant, en délocalisant ses activités dans les pays à bas salaires, puisqu’il peut abaisser le salaire nominal du travailleur français sans que celui voie forcément son salaire réel baisser (puisque dans le cas des télés achetées par le travailleur français, une télé fabriquée en Chine coûte moins cher qu’une télé fabriquée en France).

    Mais encore une fois, le grand perdant, à ce jeu-là, est celui qui, jusque là, fabriquait des télés en France, puisqu’il a perdu son emploi.

    Or conserver de tels emplois n’est possible que si le gouvernement français met des barrières douanières ou tarifaires aux télés venues de Chine.

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    (suite)

  11. Et puisque j’en suis aux restrictions à la libre circulation des biens, le protectionnisme doit, à mon avis, se gérer, en Europe, au niveau européen (qui représente un gros marché et un gros espace pour les producteurs) plutôt qu’à l’échelle des pays membres (et donc à l’échelon français dans le cas de la France).

    Cela revient à créer un espace Schengen pour l’économie, et pas seulement pour la circulation des personnes.

    Quant à la taille des entreprises, il est évident, comme le souligne zelectron, que les petites entreprises sont plus performantes que les grandes si l’on regarde les rendements des salariés eux-mêmes (puisque les petites n’ont pas, comparées aux grandes, les moyens de payer des travailleurs à ne rien faire).

    Ceci dit, certaines entreprises ont besoin d’avoir une certaine taille en raison des coûts d’investissement parfois exorbitants qu’elles doivent supporter, puisque chaque nouvelle vente des produits fabriqués par l’entreprise va diminuer le coût desdits investissements, une fois ceux-ci répartis sur chaque unité produite et vendue.

    Inversement il n’est pas rare d’avoir vu, ces trente dernières années, des directeurs de PME/PMI réduire les effectifs de leur personnel, suite notamment aux décisions prises par des conseillers d’entreprise (que ceux-ci travaillent pour la banque créancière de l’entreprise concernée, ou pour sa fiduciaire, ou pour un bureau conseil spécialisé dans la restructuration des entreprises), de réformer les programmes de production de l’entreprise, et ce dans le but bien précis de réduire la masse salariale (et donc aussi, concomitament, la taille du personnel employé par l’entreprise).

    On peut donc conclure, de ce qui précède, que la baisse des emplois en France n’est pas seulement liée aux délocalisations, puisque, dans notre dernier exemple, elle provient d’une gestion de l’entreprise sur un mode néolibéral qui consiste à exiger un maximum d’efforts de la part des travailleurs encore en activité, efforts d’autant plus grands que ces travailleurs doivent faire, en plus du leur, le travail de ceux qui ont quitté l’entreprise suite aux restructurations.

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