Le retour dans l’OTAN : « une décision idéologique atlantiste »

L’analyse d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et adversaire résolu.

 

L’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, Hubert Védrine, a publié hier dans Le Monde un texte au titre éloquent, Pourquoi il faut s’opposer à une France atlantiste, qu’il reprend sur son blog. Extraits.

"Le président Sarkozy veut que la France réintègre le commandement intégré de l’OTAN, trente-trois ans après que le général de Gaulle s’est résolu à en sortir. (…) On nous donne comme explication : en 1966, c’était la guerre froide, tout a changé. Mais cela n’a pas de rapport. Ou alors c’est l’existence même de l’OTAN qui devrait être remise en cause. De Gaulle avait pris cette décision après huit années de demandes infructueuses auprès des Américains pour que les alliés européens puissent se faire entendre au sein de l’Alliance, et pour ne pas cautionner la nouvelle et dangereuse stratégie nucléaire de "riposte graduée". Par la suite, tous ses successeurs, de droite comme de gauche, ont respecté cette décision stratégique devenue la pierre de touche de la politique étrangère et de défense de la France. Cette position originale au sein de l’Alliance faisait l’objet d’un large consensus dans l’opinion française. Elle était depuis longtemps admise des Américains, d’autant qu’elle n’avait pas fait obstacle à l’adoption d’arrangements pratiques pour la coopération entre la France et l’OTAN et même à l’engagement de la France chaque fois qu’elle le décidait, comme on l’a vu sur divers théâtres. Alors pourquoi cette rupture ? On nous dit qu’elle va permettre à la fois de débloquer la défense européenne et d’"européaniser l’Alliance", et que nous aurons plus d’influence. (…) Ces avancées de la défense européenne nous ont déjà été présentées en dix mois comme une condition préalable, puis comme une démarche parallèle et maintenant comme une conséquence espérée de notre réintégration. Demain comme un regret ? Ou comme un leurre ? La défense européenne avançant sur deux pieds – l’OTAN et l’UE – évoque le mythique dahu ! Mais on met également en avant l’européanisation de l’Alliance qui découlerait de l’obtention de postes importants pour des Français dans la hiérarchie de l’OTAN (…). On parle pour la France de commandements de moyenne importance à Norfolk et à Lisbonne. Mais de toute façon est-ce que la nationalité des officiers qui reçoivent et transmettent les instructions du Pentagone a de l’importance, sans changement radical des modes de décision au sein de l’Alliance, ce que rien ne permet d’espérer, même aujourd’hui ? Ce n’est pas parce que cette réintégration, conçue sous Georges Bush, prendrait effet sous le charismatique Obama, que les réalités transatlantiques disparaîtraient. L’administration américaine actuelle est plus aimable, mais a-t-elle une autre conception de l’Alliance ? Rien ne l’indique. (…) Les inconvénients politiques sont évidents : envoyer au monde un signal de réalignement de la France, qui sera politiquement interprété comme tel, avec le déclassement et les risques qui en résulteront. On nous dit : c’est symbolique puisque nous sommes déjà presque entièrement intégrés ! Eh bien oui, c’est symbolique, symbolique d’une volonté de normalisation qui, une fois la décision mise en oeuvre, développerait par un effet d’engrenage tous ses effets. Il semble bien que la décision soit fondée sur des considérations idéologiques, atlantistes ou occidentalistes, comme on voudra : mettre fin à une "anomalie" au sein de la famille occidentale. On peut souhaiter autre chose pour la France. Il est encore temps d’en couv'débattre."

En débattre, c’est justement ce que fera bientôt l’Assemblée nationale. Mais le Premier ministre François Fillon a annoncé qu’il engagerait sur ce sujet la responsabilité du gouvernement. En clair, pour manifester son opposition à la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, il faudrait que la majorité UMPiste aille jusqu’à renverser le gouvernement ! Autant dire que ce verrouillage garantit, sauf tsunami politique, que la décision de Nicolas Sarkozy, atlantiste hystérique depuis toujours – "On m’appelle Sarkozy l’Américain", se vantait-il – d’officiellement vassaliser la France, en jetant aux orties son indépendance nationale, ne sera aucunement contrariée. Honte à lui ! La palme de l’hypocrisie à Roger Karoutchi, qui salue "un geste fort" qui "montre que le Parlement est bien le lieu du débat démocratique par excellence, dans le respect des institutions de la Ve République." Quant au ministre de la défense Hervé Morin, il affirme : "Concrètement ça ne change rien, nous décidons de participer aux opérations que nous voulons, avec les moyens que nous voulons, nous décidons d’équiper nos forces comme nous le voulons". Mais si ça ne change rien, pourquoi le faire, Tartuffe ?

rmPour un référendum !

Nous soutenons pour notre part la position du Parti communiste, exprimée par Roland Muzeau, le porte-parole de ses députés : "Le gouvernement sait que l’opinion publique n’est pas favorable au retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN", écrit-il, dénonçant "cette manœuvre" et exigeant "que le peuple puisse s’exprimer par voie de référendum sur cette question d’importance. Le président de la République et son exécutif veulent imposer un choix particulièrement dangereux, celui d’un renforcement de la logique des blocs, celui des tensions internationales et de la guerre". Mais Sarkozy se fiche bien de ce que veut le peuple français, comme l’a montré l’effroyable forfaiture du Traité de Lisbonne

 

PS : Sarko l’Américain, essai de Jean-Philippe Immarigeon, est paru chez Bourin Editeur.