Par Wicem Souissi, journaliste
Ballon d’essai ou décision déjà prise, le choix par Nicolas Sarkozy de Tunis comme futur siège de l’Union pour la Méditerranée pose, en tout cas, un dilemme aussi révélateur que la désignation de Pékin pour accueillir les prochains Jeux olympiques. Boycotter ou pas ? Faut-il être pour ou contre l’installation d’une institution euroméditerranéenne, et donc des valeurs qu’elle est censée véhiculer, dans un pays qui les foule au pied ? La promiscuité des Jeux d’Athènes avec le régime communiste chinois peut hérisser les bonnes consciences. La collusion, en Tunisie, et de l’idée démocratique européenne et de son contraire peut, elle aussi, choquer.
Les arguments pour s’en offusquer ne manquent d’ailleurs pas. Le président Ben Ali pervertit jusqu’aux raisons mêmes dont il tire sa légitimité de potentat. La sécurité de la société tunisienne et celle des étrangers de passage sont mises à mal par sa manière de combattre l’intégrisme. Sous couvert de tarir les sources de l’extrémisme religieux, son appropriation du discours islamiste basique favorise au contraire fanatisme et terrorisme, exigeant toujours davantage de politique sécuritaire. De surcroît, la corruption, qu’au demeurant il ne combat guère, s’est si bien étendue sous son règne que les injustices qu’elle entraîne sont une bénédiction pour des islamistes en quête d’adeptes. Ce qui rend, là encore, inflationniste le recours à la police.
La perversion de la légitimité démocratique se traduit, elle, par une politique désormais expansionniste. Vingt ans de plébiscite permanent en Tunisie ont fait de Ben Ali un champion reconnu par ses pairs. A sa demande, le dernier sommet de Damas lui a confié la charge de mener, de 2009 à 2014, dans le monde arabe, une action pédagogique ex professo en matière de… respect des droits de l’homme.
Pousser des cris d’orfraie serait à cet égard stérile. En réalité, le président tunisien incarne le choix le meilleur pour représenter l’ensemble des pays arabo-musulmans associés à la concrétisation du projet du président français d’Union pour la Méditerranée, à présent élargie à l’Union européenne sous la pression de la chancelière allemande, Angela Merkel.
Force est cependant de se souvenir que l’épisode de l’organisation par l’ONU du sommet mondial de l’information à Tunis, où la liberté de la presse est sans cesse bafouée, ne milite pas en faveur de la Tunisie, au contraire. Mais c’est oublier que la mascarade onusienne n’avait duré que quelques jours. Cela laissait au régime la marge de man?uvre nécessaire à une gestion de la manifestation, de façon certes arbitraire, mais pas trop coûteuse en retombées négatives. De même que les démocrates de tous horizons qui y ont participé ont eu tout loisir de passer à la trappe la si infinitésimale casserole humanitaire de leur présence sur les lieux.
En revanche, semer en plein Tunis un organisme euroméditerranéen permanent, inscrit dans la durée, est une opportunité sans égale. Introduire au grand jour un cheval de Troie démocratique est l’occasion de cultiver un jardin d’acclimatation des régimes autoritaires à la liberté de leurs concitoyens. Bien entendu, les autorités locales y opposeront toutes les formes de résistances. Mais, pour les hommes et les femmes convaincus de leurs droits de s’exprimer librement, soumis depuis de longues années à une répression bestiale, ce serait plutôt, en comparaison, une sinécure.
Initié à Barcelone au milieu des années 1990, le processus euroméditerranéen devrait ainsi entrer dans une autre logique que celle qui prédomine de nos jours : le volet commercial, qui est sa vocation initiale, serait concrètement contrebalancé par son volet démocratique. L’inscription de ce dernier dans les textes qui régissent les rapports d’une rive à l’autre devrait cesser de constituer une hypocrisie mercantile.
Paradoxalement, un gain précieux en Europe même est également à attendre d’un établissement euroméditerranéen stable en Tunisie. Cet instrument est de nature à réduire le déficit démocratique de l’Union européenne. Domaine réservé des chefs d’Etat et de Bruxelles, la politique étrangère du Vieux Continent devrait bénéficier par la même occasion de son investissement par les députés européens, pour l’heure cantonnés à un rôle mineur à Strasbourg.
La confrontation des deux rivages de la Méditerranée serait ainsi réciproquement productive. Nos ancêtres ne l’ignoraient pas, eux, qui avaient compris que c’est grâce aux forces de frottement que l’étincelle jaillit.
A condition de tenir bon sur les principes, d’être aussi réaliste, la compétition entre athlètes du monde entier, cet été en Chine, peut également y ranimer de ses cendres la flamme de la liberté.
Libération du 28 avril 2008
Par Wicem Souissi, journaliste
Ballon d’essai ou décision déjà prise, le choix par Nicolas Sarkozy de Tunis comme futur siège de l’Union pour la Méditerranée pose, en tout cas, un dilemme aussi révélateur que la désignation de Pékin pour accueillir les prochains Jeux olympiques. Boycotter ou pas ? Faut-il être pour ou contre l’installation d’une institution euroméditerranéenne, et donc des valeurs qu’elle est censée véhiculer, dans un pays qui les foule au pied ? La promiscuité des Jeux d’Athènes avec le régime communiste chinois peut hérisser les bonnes consciences. La collusion, en Tunisie, et de l’idée démocratique européenne et de son contraire peut, elle aussi, choquer.
Les arguments pour s’en offusquer ne manquent d’ailleurs pas. Le président Ben Ali pervertit jusqu’aux raisons mêmes dont il tire sa légitimité de potentat. La sécurité de la société tunisienne et celle des étrangers de passage sont mises à mal par sa manière de combattre l’intégrisme. Sous couvert de tarir les sources de l’extrémisme religieux, son appropriation du discours islamiste basique favorise au contraire fanatisme et terrorisme, exigeant toujours davantage de politique sécuritaire. De surcroît, la corruption, qu’au demeurant il ne combat guère, s’est si bien étendue sous son règne que les injustices qu’elle entraîne sont une bénédiction pour des islamistes en quête d’adeptes. Ce qui rend, là encore, inflationniste le recours à la police.
La perversion de la légitimité démocratique se traduit, elle, par une politique désormais expansionniste. Vingt ans de plébiscite permanent en Tunisie ont fait de Ben Ali un champion reconnu par ses pairs. A sa demande, le dernier sommet de Damas lui a confié la charge de mener, de 2009 à 2014, dans le monde arabe, une action pédagogique ex professo en matière de… respect des droits de l’homme.
Pousser des cris d’orfraie serait à cet égard stérile. En réalité, le président tunisien incarne le choix le meilleur pour représenter l’ensemble des pays arabo-musulmans associés à la concrétisation du projet du président français d’Union pour la Méditerranée, à présent élargie à l’Union européenne sous la pression de la chancelière allemande, Angela Merkel.
Force est cependant de se souvenir que l’épisode de l’organisation par l’ONU du sommet mondial de l’information à Tunis, où la liberté de la presse est sans cesse bafouée, ne milite pas en faveur de la Tunisie, au contraire. Mais c’est oublier que la mascarade onusienne n’avait duré que quelques jours. Cela laissait au régime la marge de man?uvre nécessaire à une gestion de la manifestation, de façon certes arbitraire, mais pas trop coûteuse en retombées négatives. De même que les démocrates de tous horizons qui y ont participé ont eu tout loisir de passer à la trappe la si infinitésimale casserole humanitaire de leur présence sur les lieux.
En revanche, semer en plein Tunis un organisme euroméditerranéen permanent, inscrit dans la durée, est une opportunité sans égale. Introduire au grand jour un cheval de Troie démocratique est l’occasion de cultiver un jardin d’acclimatation des régimes autoritaires à la liberté de leurs concitoyens. Bien entendu, les autorités locales y opposeront toutes les formes de résistances. Mais, pour les hommes et les femmes convaincus de leurs droits de s’exprimer librement, soumis depuis de longues années à une répression bestiale, ce serait plutôt, en comparaison, une sinécure.
Initié à Barcelone au milieu des années 1990, le processus euroméditerranéen devrait ainsi entrer dans une autre logique que celle qui prédomine de nos jours : le volet commercial, qui est sa vocation initiale, serait concrètement contrebalancé par son volet démocratique. L’inscription de ce dernier dans les textes qui régissent les rapports d’une rive à l’autre devrait cesser de constituer une hypocrisie mercantile.
Paradoxalement, un gain précieux en Europe même est également à attendre d’un établissement euroméditerranéen stable en Tunisie. Cet instrument est de nature à réduire le déficit démocratique de l’Union européenne. Domaine réservé des chefs d’Etat et de Bruxelles, la politique étrangère du Vieux Continent devrait bénéficier par la même occasion de son investissement par les députés européens, pour l’heure cantonnés à un rôle mineur à Strasbourg.
La confrontation des deux rivages de la Méditerranée serait ainsi réciproquement productive. Nos ancêtres ne l’ignoraient pas, eux, qui avaient compris que c’est grâce aux forces de frottement que l’étincelle jaillit.
A condition de tenir bon sur les principes, d’être aussi réaliste, la compétition entre athlètes du monde entier, cet été en Chine, peut également y ranimer de ses cendres la flamme de la liberté.
Libération du 28 avril 2008
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