Après avoir décortiqué l’élection puis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Charles Duchêne, avec Larme à gauche, balise les débuts de la présidence Hollande et du gouvernement Ayrault. Ce huitième essai, pamphlet mesuré, calibré, en laisse présager d’autres… si le PS aux manettes, comme le fait Obama aux États-Unis, se retrouvait à promettre que le réel changement ne pourrait intervenir qu’au cours d’un second mandat présidentiel.
Charles Duchêne, dit Charly, pourrait faire une très fiable Madame Soleil sondagière, ou, pour le moins, songeuse fort bien inspirée. Très clairvoyant, mais ne se prétendant nullement voyant, il avait de fait prédit les résultats des élections depuis 2007 au largement plus près du réel que les instituts de sondage. Ce qui ne lui confère pas vraiment une crédibilité assurée pour celles à venir mais démontre qu’il sait réfléchir.
Dans son Larme à gauche (éds BTF Concept), il se situe en partisan d’une gauche non doctrinaire, lucide (il avait voté Bayrou en 2007, par calcul antisarkozyste, il a voté Mélenchon en 2012, considérant faible le risque d’un second quinquennat). Il s’en explique fort bien, mais, vraiment, peu importe et même peu lui importe : son prosélytisme est de raison, de convictions, mais nullement propagandiste. Serait-il de droite – et nombre de personnes se définissant ainsi reconnaissent son honnêteté intellectuelle – que celles et ceux qui le lisent, livre, ou plutôt essai, après livre, prendraient aussi plaisir à sa conversation dénuée de sectarisme.
Le paradoxe subsiste puisqu’il s’affirme durablement antisarkozyste forcené. Ce que s’avouent, en leur for intérieur ou dans l’intimité, maints électeurs passés, voire futurs, de Nicolas Sarkozy. Charly a le mérite d’une franchise, amplement documentée, que la recherche d’un siège, ou d’un poste, ne permet pas.
Comment peut-on être aussi corseté dans la détestation (argumentée amplement) d’un individu et avoir pourtant l’oreille de ceux qui l’ont élu ? Question de style et de pédagogie.
Larme à gauche s’ouvre sur une préfiguration de ce qu’aurait pu être les débuts d’un second quinquennat d’un Sarkozy réélu. C’est bien sûr mené au pas de charge, excluant une éventuelle prudente chiraquisation temporaire du formidable animal politique que reste l’ombre tutélaire de la base UMP. Charly embraye sur… le marché de l’automobile : le pays conduit son destin en charentaises, comme ses automobiles, dont les prix sont mis sous perfusion. C’est pour mieux filer la métaphore et enclencher la vitesse essentielle, celle de l’emploi, sans négliger l’intermédiaire de la fiscalité.
Renouer le dialogue
Les mordus de la prose charlienne goûtent ses longues digressions, qui s’attardent sur son vécu d’auteur-éditeur-commis voyageur de ses ouvrages, et je ne lui en veux guère de satisfaire leurs appétits. Cela vaut respiration dans l’analyse des chiffres (et des mensonges éhontés répercutés sans pouffer ni piper par maints médias) et des postures prises par nos politiques pour la galerie. Décryptage et désintoxication sont les deux pis du meilleur de Charly.
Soulagé, mais non abusé, par l’arrivée du PS à l’Élysée et à la majorité des deux chambres, en sus des présidences de régions, Charly en vient à ce qui lui fournit matière à son titre. Non pas les couacs gouvernementaux, ni les divergences intrinsèques s’exprimant dans les coulisses. À rien, ou très peu, ne sert de les disséquer quand l’inflexion fondamentale, celle qui tenterait une réelle ébauche de rééquilibrage de la répartition des biens et profits manque à l’appel. La presse majoritaire (en diffusion) s’en tient aux ratés de com’, se disqualifiant trop souvent à en faire ses choux étiques, faute de savoir, pouvoir ou vouloir, jouer ce qu’elle proclame être son rôle : éclairer, rendre plus conscient et donc plus responsable.
Avec un PS qui comptera peut-être bientôt plus d’élus et de collaborateurs d’élus que de militants de base – ce qui sera peut-être bientôt le cas de l’UMP lorsque l’effet charisme de Sarkozy s’estompera – il est assez normal que cet entre-soi entraîne une désaffection allant bien au-delà du présumé « peuple de gauche ». Soit de la population, y compris celle à peu près bien disposée à l’égard du pouvoir socialiste. C’est ce que pointe Charles Duchêne. Il ne votera pas Marine Le Pen du seul fait qu’elle promettra encore de supprimer le permis de conduire à points, même si, à force, du fait des kilomètres parcourus, des radars destinés à ne faire que du pognon, la tentation soit grande. Mais il résume : « la droite donne de la main droite et reprend de la gauche, la gauche, c’est le contraire. ».
C’est ce sentiment qui gagne, même si l’actuel gouvernement bénéficie encore d’un petit bénéfice de doute : cela aurait pu être encore pire ; une impression qui n’intéresse pas les sondeurs. Mais il suffirait de peu pour que le futur électorat soit tenté de passer l’arme à gauche. Délaisser les urnes peut conduire à porter en joue ou à se laisser déporter à une morne désespérance.
Le député PS Thierry Mandon considère que « le corps électoral central est plus réduit qu’avant » et que ce qu’il en reste se radicalise, tant à gauche qu’à droite. Bon constat.
Faire le tri
C’est un peu aussi la conclusion de Charly. Lequel, hors la question des traités européens, aborde très peu la politique étrangère. De ce point de vue, sur le problème de la Palestine, Hollande paraît très en retrait par rapport à Sarkozy dont les gesticulations n’ont pas fait bouger les lignes d’un millimètre. L’ultra-droite israélienne (en subsiste-t-il une autre ?) aurait cependant tort de s’en gargariser. Mais hors du cercle restreint des pro-Palestiniens militants, qui s’en soucie vraiment ?
En fait, le PS a très peu de marge de manœuvre pour faire des cadeaux aux classes populaires et aux classes moyennes qui n’ont absolument pas profité des années Sarkozy. Mais il pourrait au moins tenter, sinon de conserver leur confiance, au moins de ne pas susciter leur hostilité. Soit de faire en sorte que la dégradation des niveaux de vie, inéluctable, sauf à vouloir renoncer à honorer la dette (ou plutôt les dettes publiques, celles des régions et territorialités incluses), soit moins péniblement ressentie par les pauvres et les appauvris du quinquennat précédent.
Les électrices et électeurs censés, qui voient bien les quelques rares dérives que suscitent le vote des étrangers, par exemple en Belgique ou au Royaume-Uni, mais constatent que cela ne modifie en rien fondamentalement, n’ont que faire des polémiques sociétales. De même ont-ils compris que faire payer à la collectivité 100 000 euros par an et par emploi dans la restauration (le fabuleux résultat de la baisse de la TVA : 30 000 emplois présumés), alors que le prix du repas a au mieux stagné – un temps –, au pire augmenté – durablement –, élément que relève Charly, c’est un dispendieux arrangement électoral catégoriel. Ils consentent à l’allègement des charges sur les TPE et les PME qui ne délocaliseront pas et ne se font aucune illusion : cela ne se répercutera pas le moins du monde sur les tarifs à la consommation. Réduire de manière indifférenciée le coût du travail de 8 % (pour les salaires compris entre 1,6 et 2,5 smics) pour toutes les entreprises investissant dans la création de nouveaux produits ou processus, comme le suggère Montebourg, conduira à des innovations bidon, des études de mercatique tarifaire, suivies ou non d’effets. Cela peut générer des profits, nullement automatiquement des emplois, sauf peut-être dans des officines dont les prestations camoufleraient de fausses-vraies factures.
À la halle
Naguère, les élus UMP n’osaient plus sortir sur les marchés, sauf ceux des beaux arrondissements ou des quartiers chics. Désormais, c’est presque la même chose pour les élus PS. Charles Duchêne ne les invective pas, mais leur fait remonter ce que les moins sectaires de leurs électeurs souhaitent leur faire savoir. Les autres, beaucoup d’autres, s’y reconnaîtront aussi, car leurs préoccupations réelles sont communes. Larme à gauche reflète la perception que le foutage de gueule du public se poursuit, que les mêmes arguments concoctés par des agences de com’ sont servis à peu près à l’identique. Ce livre vaut tous les coûteux sondages d’opinion destinés à jauger l’appréciation de la politique gouvernementale. Mais peut-être, son prix, qui n’est que de dix euros, le disqualifie-t-il aux yeux des membres des cabinets ministériels. Tout comme le fait que sa lecture prend moins de temps qu’un déjeuner à une bonne table entre conseillers, fonctionnaires et sous-traitants issus des mêmes moules… à se gaufrer.
Duchêne, Charles, Larme à gauche, BTF Concept, oct. 2012, 200 pages, 10 €.