Je voudrais revenir sur mon dernier article sur l’affaire Madoff, en fournissant un complément d’informations sur le montant exorbitant de l’escroquerie du siècle (comme disent certains médias) réalisée par l’ancien président du Nasdaq. En effet, certains m’ont « attaqué » sur des forums du net, avec des propos parfois injurieux, en mettant en doute l’analyse que j’avais faite sur les conséquences financières de la faillite de Madoff.

 

Sans aucun esprit de polémique, j’ai recueilli un maximum d’informations dans la presse, sur le Net, et lors de discussions avec des amis ou journalistes français et américains (dont ma nièce journaliste indépendante à BBC Mundo) qui m’ont permis de rédiger le document qui suit.

Tout d’abord rappelons que Madoff, après avoir prévenu son personnel le 10 décembre et lui avoir annoncé sa fraude et sa faillite, a été arrêté le 11 décembre à New York – accusé d'une fraude pyramidale portant sur 50 milliards de dollars, passant par un montage frauduleux qui consistait à rémunérer un investisseur en portefeuille avec l'argent apporté par un nouvel investisseur. Actuellement, plusieurs enquêtes sont en cours sur les anciens collaborateurs de Madoff et sur le petit cabinet qui auditait ses comptes, ainsi qu'au sein de la SEC (gendarme boursier américain) qui n'a presque pas réagi aux signaux d’alerte répétés sur les irrégularités possibles de la société de Bernard Madoff.

Les « dommages » de l'affaire Madoff sont « limités » et ne concernent « pas le grand public ». La ministre de l’Economie s’est voulue rassurante jeudi 18 décembre. « Ce que je sais aujourd'hui, c'est qu'une toute petite part des encours gérés en France est touchée ou susceptible de l'être par les agissements connus sous le nom de Madoff », a ajouté Christine Lagarde. « Cette toute petite part représente à ma connaissance 0,05% du total des actifs ». « Notre responsabilité aujourd'hui, ça n'est surtout pas d'affoler les épargnants puisque ce ne sont pas des OPCVM grand public qui sont concernés », a poursuivi la ministre.

 

Le scandale Madoff n’est pas une mince affaire comme semble le penser Christine Lagarde. Il suffit pour cela de voir les pertes subies par les intervenants financiers français et tout particulièrement par le fonds Access International dont le principal dirigeant et co-fondateur Thierry de La Villehuchet s’est suicidé. En effet, c’est un français qui est la première victime importante de la faillite du fonds Madoff. Depuis la révélation de l'affaire Madoff, le Français craignait que ses clients n'intentent des actions en justice contre lui. Access International gérait environ 2 milliards d'euros d'actifs pour le compte de clients européens, dont 1,5 milliards étaient investis chez Madoff dans le cadre du fonds Luxalpha déposé chez UBS. Jamais, Thierry de La Villehuchet – qui avait des équipes chez Madoff pour enregistrer ses opérations –,  aurait pensé que Bernard Madoff trafiquait les comptes en communiquant de faux documents.

 

Par ailleurs, au niveau français, l'association SOS Petits Porteurs a déploré mercredi qu'en dépit des instructions de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de nombreux épargnants français ignorent toujours si leurs placements sont concernés par l'affaire Madoff, et a donc demandé à Bercy de publier la liste des fonds exposés. Le 18 décembre, l’AMF a révélé que les épargnants français pourraient perdre 500 millions d'euros à cause de l'affaire Bernard Madoff, accusé d'une escroquerie portant sur environ 50 milliards de dollars. Dernièrement, c’est la Fondation Elie Wiesel pour l'humanité qui a été victime de l’escroc. Elle avait 15,2 millions de dollars en gestion dans la société d'investissement de Bernard Madoff, soit la quasi-totalité des ses avoirs.

 

MONTANT CONNU OU ESTIME DES ESCROQUERIES DE MADOFF

       Access International : 2 milliards de dollars (1,5 milliards d’euros) ;

       OPCVM françaises : 0,7 milliard de dollars (500 millions d’euros). Seuls 8% des quelque 500 millions d'euros de pertes potentielles des fonds (OPCVM) français exposés à la fraude Madoff concernent le « grand public » d’après l’Autorité des marchés financiers.

       Crédit Mutuel-CIC : 126 millions de dollars (90 millions d’euros)

       BNP Paribas : 490 millions de dollars (350 millions d’euros)

       Natixis (filiale Caisse d’épargne et Banques populaires) : 630 millions de dollars (450 millions d’euros)

       Fortis : 1,4 milliards de dollars (1 milliard d’euros)

       Dexia (banque franco-belge) : 230 millions de dollars (85 + 78 millions d’euros respectivement pour la banque et ses clients fortunés).

       Société Générale : moins de 15 millions de dollars (10 millions d’euros)

       Banco de Santander (1ère banque espagnole et 2ème banque européenne) : 3,3 milliards de dollars (2,33 milliards d’euros pour les clients de son fonds spéculatif Optimal et 17 millions en compte propre)

       BBVA (autre grande banque espagnole) : 420 millions de dollars (300 millions d’euros)

       M&B Capital Advisor (gérant de fortunes espagnoles) : 700 millions de dollars

       HSBC (Royaume Uni) : 1 milliard de dollars

       Fonds Man Group (Royaume Uni): 360 millions de dollars

       Royal Bank of Scotland (Royaume Uni) : 616 millions de dollars (440 millions d’euros)

       Unicrédito (Italie) : 105 millions de dollars (75 millions d’euros)

       Nomura Holdings (Japon) : 315 millions de dollars (27,5 milliards de Yen)

       Fairfield Greenwich Group (du milliardaire W. Noel) : 7,5 milliards de dollars

       Les Institutions financières et institutionnels coréens : 96 millions de dollars

Passons aux particuliers, fondations ou diverses organisations :

       La fondation Elie Wiesel pour l'humanité : 15,2 millions de dollars (10,8 millions d'euros). Déclaration de la fondation : « Nous vous écrivons pour vous informer que la Fondation Elie Wiesel pour l'humanité avait 15,2 millions de dollars (10,8 millions d'euros) en gestion dans la société d'investissement de Bernard Madoff. Cela représente la quasi-totalité des avoirs de la Fondation ».

       New York University (NYU) : 24 millions de dollars (perdus chez Gabriel Capital et Ariel Fund).

       Liliane Bettencourt (une des premières fortunes mondiales, propriétaire de L’Oréal) : une partie de ces 22,9 milliards de dollars ? retenons 30 % dans notre calcul.

       Jewish Federation de Los Angeles : 6,4 millions de dollars       Jewish Community Foundation : 18 millions

       D’autres associations caritatives de la communauté juive, impliquées dans la culture et le cinéma, sont très touchées par ce scandale…

       Richard Spring, de Boca Raton (Floride) : 11 millions de dollars (95% de sa fortune)

       Steven Spielberg : 3,1 milliards (ruiné car investi en grande majorité chez Madoff d’après le Wall Street Journal)

       Selon la presse boursière américaine, on devrait découvrir parmi la centaine de personnes privées ayant financé ce système frauduleux, une poignée d'autres grands noms hollywoodiens (Premiere.fr, 26/12/08)

       Parmi les autres stars affectées par l'affaire Madoff, on compte Jeffrey Katzenberg, le partenaire de Steven Spielberg dans DreamWorks Animation SKG, qui aurait aussi perdu des millions dans l'affaire. Arpad Busson, le fiancé d'Uma Thurman, aurait lui, investi près de 230 millions de dollars (Yahoo actualités, 18/12/08).

Et le comble, la plus haute autorité du sport international touchée par l’affaire Madoff

       CIO (Comité International Olympique) : 5 millions de dollars (d’après le Wall Street Journal). Ce qui a été confirmé par Richard Carrion, président de la commission des finances de l'institution).

Si on additionne ces quelques données parcellaires et provisoires, on atteint déjà la coquette somme de 30 milliards de dollars. Alors comment peut-on croire que les pertes de Madoff se limitent à 50 milliards de dollars alors que nous ne disposons d’aucune donnée ou de très peu d’informations sur l’Amérique du Nord (USA et Canada), l’Amérique du Sud (rien !), l’Asie (rien !), l’Allemagne (rien !), la Suisse (pas de précisions sur Crédit Suisse et UBS !!), le Luxembourg (paradis fiscal pour le FMI !), les Pays-Bas (rien !), et la France (pas de précisions d’Axa et Groupama, du Crédit Agricole, etc.).

 

 

De même à l’exception des pertes de quelques milliardaires (Liliane Bettencourt, Spielberg, ou quelques personnalités richissimes), nous ne disposons d’aucune donnée sur les 1000 autres milliardaires, sachant que les personnes les plus riches de la planète traitent directement avec des personnages comme Bernard Madoff (comme ils le faisaient avec George Soros), par l’intermédiaire d’un mandataire ou gestionnaire privé, sans passer par les banques, les fonds d’investissements ou les fonds de fonds.

 

Mais, reprenons le témoignage de Madoff lui-même. Le mercredi 10 décembre 2008, s'adressant à son personnel, Madoff a reconnu qu’il avait monté une société parallèle frauduleuse. L'homme d'affaires de 70 ans a déclaré qu'il « était fini, n'avait plus rien… et qu'il se rendrait aux autorités après avoir utilisé les 200-300 millions de dollars qui lui restaient – dans une société distincte – pour solder ses dettes envers certains salariés, sa famille et ses amis » (Le Point.fr du 12/12/08).

Ce qui signifie que les rares actifs qu’il possédait au moment où il a été déclaré en faillite ne valaient plus rien. Cela explique pourquoi juste quelques gros clients « avertis » et qui voulaient récupérer leur argent, ont pu le faire déclarer en faillite. Son actif composé en partie de produits dérivés et d’Hedge Funds, étant pratiquement égal à zéro, il ne pouvait plus rembourser ne serait-ce qu’une toute petite partie des énormes dépôts faits par ses clients depuis des décennies clients. Le poste dettes (dépôts) du Fond Madoff devait être si important que le moindre investisseur qui réclamait immédiatement le rachat de ses parts (à fortiori des gros clients) obligeait Bernard Madoff à se mettre sous la loi américaine des faillites. Le problème c’est qu’on ne connaît pas le montant des dettes (c’est-à-dire le montant des dépôts faits chez Madoff) ni son exposition sur les marchés optionnels et à terme, qui accroîtrait d’autant plus ses pertes.

On ne peut donc que s’offusquer lorsqu’on entend Madame Lagarde (la ministre des « causes perdues ») déclarer : « Ce que je sais aujourd'hui, c'est qu'une toute petite part des encours gérés en France est touchée ou susceptible de l'être par les agissements connus sous le nom de Madoff (…) Cette toute petite part représente à ma connaissance 0,05% du total des actifs (…) Notre responsabilité aujourd'hui, ça n'est surtout pas d'affoler les épargnants puisque ce ne sont pas des OPCVM grand public qui sont concernés ».

Madame le Ministre devrait retourner à l’Université et reprendre ses cours d’économie financière, car il est impossible actuellement d’être affirmatif sur les dommages collatéraux de l’affaire Madoff, sauf les estimer à partir des différentes données en notre possession. En effet, les fonds d’investissement sont de plus en plus des fonds de fonds ou investissent dans d’autres fonds, qui eux aussi investissent dans d’autres fonds, en passant par des sicav luxembourgeoises ou autres OPCVM, et qui finalement après plusieurs étapes et des tours de passe-passe, se retrouvent à investir dans des paradis fiscaux par le biais de sociétés offshore inconnues de quiconque.

J’ai eu l’occasion de collaborer avec les autorités judiciaires sur ce sujet pour détecter via les sites Internet, les fonds dont les comportements et actions étaient « louches » et répréhensibles… c’est la bouteille à l’encre ! Il est très difficile de s’y retrouver et tout le monde ferme les yeux, sauf en l’occurrence les services spécialisés chargés de lutter contre l’économie souterraine. J’ai eu connaissance par certains de mes étudiants (cibles de choix) des pratiques de ces sociétés offshores, qui les avaient appâtés pendant des mois avec de substantiels profits, avant de disparaître sans donner signe de vie au grand désespoir des étudiants et de certains employés ou cadres trop crédules qui y avaient investi toutes leurs économies dans l’espoir d’un gain facile.

Madame Christine Lagarde devrait savoir que ces chaînes sont tellement longues qu’on ne sait jamais où est le dernier maillon. Il n’y a pas de traçabilité au-delà du premier échelon. Un exemple emprunté à l’alimentation le montre parfaitement. On connaît très bien d’où proviennent les sauces tomates qu l’on achète en hypermarché ou ailleurs. Mais, on ne sait absolument pas, sauf enquêter comme l’ont fait des journalistes, d’où viennent les ingrédients qui ont servi à fabriquer lesdites sauces tomates. Et, en l’occurrence on découvre avec effroi que 70 à 80 % (et parfois plus) de ces produits sont produits en Chine (ou en Asie) dans des conditions et dans un environnement en infraction avec les règles sanitaires et d’hygiène les plus élémentaires, ce qui explique certaines intoxications dont sont parfois victimes les consommateurs.

Il est donc quasiment impossible de connaître la provenance de certains produits alimentaires ou… financiers lorsqu’on sait qu’il faudrait dix fois plus de policiers ou de douaniers pour éventer toutes les combines qui pullulent dans les sphères du commerce ou de la finance.

Aujourd’hui 26 décembre, nous ne connaissons que la partie émergée de l’Iceberg Madoff. Chaque jour donne lieu à de nouvelles révélations et à des plaintes contre les gérants irresponsables et incompétents. Aux Etats-Unis les actions en justice contre Madoff se multiplient, parfois sous forme de « class action » (actions collectives), des procédures destinées à représenter tous les investisseurs lésés par l’ex-patron du Nasdaq ou ses acolytes. C’est le cas des fonds Tremont Group Holding et Oppenheimer Acquisition Corp., liés à la compagnie d'assurances Massachusetts Mutual Life Insurance qui ont été assignées lundi 22 décembre. Certains cas sont symptomatiques de la diversité des situations crées par Madoff :

– La prestigieuse New York University (NYU), qui a perdu 24 millions de dollars dans l'affaire, a intenté mardi un procès contre les fonds new-yorkais Gabriel Capital et Ariel Fund, du financier Ezra Merkin.

– Une New-Yorkaise de 61 ans, Phyllis Molchatsky, qui a perdu près de 2 millions de dollars investis chez Madoff, a, elle, déposé une plainte administrative contre la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américain. Elle lui réclame 1,7 millions de dollars, pour avoir manqué à sa mission de détecter la fraude. À travers la SEC, c'est tout simplement la responsabilité de l'État américain qui est visée…

Et la liste risque de s'allonger au fil des jours » (« Avalanche de procès dans l'affaire Madoff, Le Figaro.fr, 26/12/08). Le quotidien avait déjà expliqué le 16 décembre que la construction de Madoff s’était écroulée suite au krach de 2008, « d’où la crainte que d'autres escrocs du même type soient bientôt exposés à leur tour ». Un très bon article du Monde montre que Madoff avait des relais parmi les fonds d’investissements, les Feeder fund, « une structure qui recueille des capitaux auprès de banques, des hedge funds ou des associations philanthropiques pour les confier à un gestionnaire. » des fonds (souvent des sociétés offshores ou extraterritoriales) qui sont domiciliés au Luxembourg ou dans des paradis fiscaux (indétectables) : http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/12/24/les-feeder-funds-a-la-fois-victimes-et-complices-de-l-escroquerie-madoff_1134671_3234.html