Ivre, il tire, blesse trois personnes : un an de prison… un jour, ou… jamais

Cela n’arrive vraiment qu’en France car, le changement, c’est maintenant, et il faut croire que la magistrature est de plus en plus sévère. Un type, complètement ivre, ne relevant pas de la cellule de dégrisement mais du séjour hospitalier, accompagné d’un complice, interpelle un groupe de jeunes gens, les provoque, et finit par tirer. Résultat immédiat : un blessé léger, un autre plus sévèrement touché, un troisième estropié. En différé : un an de prison ferme et deux assortis de sursis, cinq ans après (pour une affaire relevant de la comparution immédiate), et le condamné fait appel, donc sort libre du tribunal. Remarquez, en Afrique du sud, il aurait été promu et décoré. Explication ? Il s’agit d’un policier.

L’affaire remonte à fin mai 2008, voici presque cinq ans. Deux types sérieusement éméchés, et même bien davantage pour le plus saoul qu’il faudra relever et traîner, balbutiant, écumant, dans le VSAB des pompiers, remontent le faubourg Saint-Denis, à Paris. Arrivés à hauteur du débouché du passage des Petites-Écuries, ils avisent un groupe de jeunes s’apprêtant à regagner leurs logis. Invectives, insultes. Les jeunes, d’une vingtaine d’années, constatent l’état des hommes, totalement ivres, paraissant la quarantaine, et répliquent verbalement, dédaigneusement, en attendant que les deux types se lassent et poursuivent leur virée nocturne.

Oui, mais en fait, il s’agissait de deux policiers hors service. Il y aura trois blessés, dont un très légèrement, mais un autre se déplace encore, cinq ans après, sur béquilles. Et que croyez-vous qu’il advint ? Eh bien, pour tir avec arme, avec intention au minimum de blesser, au bout de très, très longues investigations, le tribunal correctionnel de Paris ne condamne que le tireur, à un an de prison (et deux autres assortis de sursis), et encore, en outrepassant les réquisitions du parquet, dont la mansuétude a choqué les juges. Le condamné, dont le nom est tu dans la presse, pour ne pas faire de peine au petit cœur de l’auteur de France, orange mécanique, a interjeté aussitôt appel. Il avait pu « s’enfuir » (en fait tituber pour se faire prendre rapidement, laissant son collègue totalement effondré sur les lieux, qui avait eu cependant le réflexe de sortir son arme et d’en enlever le chargeur plein pour montrer que ce n’était pas lui qui avait tiré).

Tout d’abord, même si l’équipe policière, et les pompiers appelés au secours par les blessés ou leurs jeunes camarades, constatent que les deux hommes sont ivres, le tireur ne pouvant plus qu’ânonner, et git hébété, et comprennent la situation, il sera tenté de faire poursuivre pour violence deux des victimes. La presse gobe dans un premier temps la version officielle, fait état d’une rixe, avant de faire totalement machine arrière en recueillant, à froid, de très nombreux témoignages, tous concordants, de seniors du quartier. Car dans un premier temps, ceux des jeunes sont systématiquement mis en doute.

Les deux jeunes ont été relaxés, conformément aux réquisitions du parquet qui n’a pu nier l’évidence. Mais la presse, comme par exemple le gratuit Métro, évoque encore ce jour une « rixe ». En fait, il suffisait de reprendre les archives du 30 mai 2008, pour se rendre compte que les policiers avaient provoqué les jeunes, ce que les équipes de télévision et la presse écrite d’alors ont fini par admettre.
À l’époque, dans Le Post (.fr), devenu l’Huffington, je titrai : « désinformation de rigueur ». J’avais retracé le parcours des policiers depuis le bar du Prado (jouxtant le passage du Prado, bar qui depuis vient de changer de propriétaire-gérant). Le tireur éructe qu’il est, lui, « blanc » (en fait, noir de chez Noir tellement il est imbibé). Les jeunes sont des Tunisiens, qui, aidé par d’autres survenus en voiture, ceintureront le tireur. Il est indemne et selon des témoignages de seniors du quartier attirés par le bruit, absolument pas blessé.
Dans un premier temps, il sera communiqué à la presse que des « jeunes de Bagneux » ont blessé un policier, et « grièvement », s’il vous plait. Les jeunes ont été gardés à vue pour leur empêcher tout contact avec la presse. Puis les jeunes et leurs amis, du quartier, témoignent devant les caméras. Les policiers leur répétaient, « alors, c’est qui les boss ici ? ». On tentera de les accuser de vol d’arme sur la personne du tireur.

La peine judiciaire, pour laquelle il a été fait appel, a quand été assortie d’une sanction administrative. Le tireur devra changer de métier, et ne retrouvera un permis de port d’arme, histoire de récidiver, que dans cinq ans. Son complice a peut-être, allé savoir, rejoindre les réintégrés par Manuel Valls de la Bac nord de Marseille.

Certes, le tireur était si aviné qu’il ne pouvait vraiment viser correctement. Eh bien, ce fut plaidé telle une circonstance atténuante par son avocate. Il aurait peut-être tiré en l’air. Plusieurs fois ? Car il y a eu aussi un blessé grave aux reins. Selon Me Clarisse Serre, avocate de l’une des victimes, l’ex-policier (à moins qu’il soit attendu que l’affaire passe en appel, dans quelques longues années, allez savoir…) n’a exprimé ni regrets, ni excuses.

Cette sanction est vraiment trop sévère. Pourtant, un autre policier ivre, qui avait tué un motard en infraction à Plougatran (22), en faisant demi-tour au volant de sa voiture de service, a été relaxé par le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc voici quelques jours. Les faits remontent à septembre 2010. Au moment des faits, le policier avait un taux d’alcoolémie proche de 0,80 g qui, bizarrement, retombera à 0,56 tandis que la vitesse de l’engin du motard grimpait en proportion inverse.

En Martinique, en début d’année, un policier invente le vol à main armée de sa voiture et sa séquestration. Reconnu coupable d’escroquerie à l’assurance, il vient d’écoper de six mois de prison avec sursis.

Reconnaissons une avancée qui finira peut-être, comme dans le cas des badges des policiers et des récépissés d’interpellation, par confirmer l’expression « un pas en avant, deux pas en arrière ». Il est question de fondre l’IGS et l’IGPN et que les simples citoyens puissent saisir directement la fameuse « police des polices ». Mais Manuel Valls en discutera longuement avec les syndicats de policiers. Lesquels craignent, sans le moindre humour, que l’IGPN n’ait pas « la capacité de tout traiter ». C’est Nicolas Comte, du syndicat Unité-SGP qui le dit tout crûment. Voudrait-il dire que les affaires visant des policiers soient minorées ?

En 2012, il y a eu près de 1 380 affaires traitées soit par l’IGS, soit par l’IGPN. Pas question de renforcer les maigres effectifs (210 policiers) ni de faire enquêter par les gendarmes sur les policiers, sauf exceptions rarissimes. Mais un bilan annuel sera publié. Enfin, c’est annoncé…

On veut bien tout admettre, notamment que le métier de policier soit difficile. Que, provoqués, policières ou policiers puissent perdre leur sang-froid. Que, apeurés, ils tirent, et commettent des erreurs (et non des « bavures »). &c.

Mais quand on voit un major de la sûreté urbaine de Lille et deux informaticiens de la préfecture du Nord placés sous contrôle judiciaire depuis la mi-avril et encourir théoriquement dix ans de prison pour avoir assisté un réseau de malfaiteurs internationaux, l’excuse des conditions difficiles d’exercice d’un métier dangereux tombe.
Dans l’affaire de l’assassinat de Me Antoine Sollacaro en Corse, un CRS serait – le conditionnel s’impose, de même quant à son implication dans une affaire de stupéfiants – impliqué. Il a cependant été rapidement libéré de sa garde à vue et son implication n’est pas évidente, semble-t-il. Mais s’il n’avait que facilité, à son insu, un tel règlement de comptes, saura-t-on jamais ?

Quant aux bavures qui entraînent la mort, Me Stéphane Maugendre estime : « il faudrait des magistrats qui ne s’occupent que de cela et qui n’auraient pas besoin des mêmes policiers le lendemain dans leurs enquêtes. ». Fermez le ban. On a tout compris. L’ancien avocat Rafik Chekkat estime : « c’est presque un lieu commun de parler d’impunité ».

Depuis 1971, un peu plus de 200 policiers ont trouvé la mort lors  de véritables interventions. Contre 18 décès en 2012, du fait de « bavures » (admettons-le, involontaires ou par manque de formation ; la volonté de donner la mort n’étant pas établie). Alors, on veut bien que, dans une histoire de manquement à la procédure ayant facilité la mort par noyade d’un homme en état d’ivresse, trois policiers soient condamnés avec sursis : il n’y avait eu pas la moindre violence sur cet homme, remis sur un banc au lieu d’être emmené en cellule de dégrisement. L’erreur d’appréciation est humaine, la famille de la victime n’a pas voulu, en partie civile, accabler les fonctionnaires.

Mais on admet plus mal qu’un état d’ivresse qui pourrait, pour d’autres, être considéré circonstance aggravante devienne, pour des policiers, circonstance atténuante. Il ne s’agit pas d’accabler : tant mieux si cet homme peut se refaire une vie, tant mieux s’il s’en sort ; mais imaginez qu’un type saoul, disposant d’un port d’armes, mais non policier, blesse trois policiers… Quelles seraient les réactions des policiers, que diraient-ils de la justice ? Quelles seraient les réactions de la classe politique, gauche et droite confondues ? Et que se serait-il passé si, au lieu de jeunes tunisiens, il s’était agi de pipeules en goguette, quelque peu débraillés ? Comment la presse aurait-elle traité l’affaire ?

Surtout on se demande si, après avoir été « couvert » (par réflexe conditionné ?) par sa hiérarchie, qui divulguait des informations farfelues à la presse, ce policier n’a pas été « lâché » car devenu indéfendable.

Terminons par une remarque ambigüe. Selon Nadège Guidou, auteure de Malaise dans la police, ce sont les policières ou policiers « qui ont une haute image de leur métier » et le sens de la vocation qui finissent le plus souvent démotivés, déprimés. Notamment du fait du manque de reconnaissance de la part des citoyens (ou de leur hiérarchie). Saluons-les. Mais le moins qu’on puisse dire est que leurs deux collègues ne leur auront pas rendu service. Nadège Guidou classe l’alcoolisation au nombre des « stratégies de défense collectives ». C’est sans doute à prendre en compte. Mais pas au point de transformer des agressés en agresseurs. Surtout alors que les deux policiers n’ont pas fait état de leurs fonctions. Ils ont été pris pour deux olibrius avinés… ou des clochards.

Un témoin, qui avait failli prendre une balle, avait assez bien résumé : « ce n’est pas une bavure (…) c’est une agression, un tentative de meurtre. ». Il faut croire que non… Dernièrement, début mars, un homme a été condamné par la cour d’assises de la Charente-Maritime, à Saintes, pour ce chef d’accusation alors qu’il avait porté un coup de coup de couteau sous l’emprise de l’alcool : quinze ans de réclusion. Le 30 mars, tentative sans préméditation : 13 ans dans les Côtes-d’Armor. Pour avoir foncé en voiture sur des policiers, condamnation à Lure fin mars : 15 ans. Là, l’affaire a été opportunément correctionnalisée.

Notons qu’un complice encourt la même peine. Il n’a pas été du tout, semble-t-il, établi, que le second policier ait tenté de raisonner le condamné.

La peine maximale encourue devant un tribunal correctionnel est de dix ans.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Ivre, il tire, blesse trois personnes : un an de prison… un jour, ou… jamais »

  1. Là, à Plymouth, c’est une vraie bavure due à la totale incompétence et à l’absence de formation.
    Un type de 32 ans menace de s’immoler par le feu. Il s’est aspergé d’essence.
    Et que fait un policier pour le maîtriser ? Il utilise un Taser.
    Le gars est mort brûlé atrocement.
    Ils sont recrutés comment ? Même moi, j’aurais été assez curieux pour m’intéresser au fonctionnement de mon arme.
    Ce n’est pas le problème des Taser. Mais de la formation, du niveau de recrutement des policiers.
    Pas une question de règlement : le cas était signalé dans les manuels.
    Mais de jugeotte.

    Par ailleurs, tu as un gars qui ne respecte pas les consignes de sécurité, par exemple dans le BTP. Tu es l’employeur, tu te fais condamner.
    Mais si c’est un policier, ben, tu montes en grade.
    Elles sont où les sanctions pour les supérieurs des deux policiers soulographes parisiens ? Eh, Valls, Allô, tu nous reçois ? Non, mais, allô ?

  2. [b]… et une loi infligeant le double de peine aux forces de l’ordre convaincus de crimes et délits ? non ?[/b]

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