Interview d’un géopolitologue : comprendre notre monde

Guy Millière, professeur d'université français, trois fois docteurs, a été conseiller du Président Ronald Reagan

DRZZ :  John McCain sera la nominé républicain. Comment voyez-vous ce candidat ? Va-t-il rompre avec la doctrine Bush ou la poursuivre ?

 MILLIERE : En termes de politique étrangère, John McCain est un homme aux convictions claires, porteur d'une grande lucidité et de l'autorité que donne l'expérience. Il poursuivra la politique de lutte contre le terrorisme et l'islamisme enclenchée par Bush. Pour ce qui concerne l'Irak, il a été partisan de la stratégie de "surge" mise en oeuvre par le général Petraeus longtemps avant que le général Petraeus ne soit en charge des opérations, et il s'est montré sceptique d'emblée envers la stratégie antécédente qui s'est, de fait, montrée gravement inefficace. Pour ce qui concerne l'Iran, ses déclarations sont aussi fermes, sinon plus, que celles de Bush. C'est un ami d'Israël, quelqu'un qui n'a cessé d'être sceptique face à l'évolution de la Chine et de la Russie. Si, comme je le pense, John McCain succède à Bush, on peut s'attendre à une poursuite et à un approfondissement de la doctrine Bush, oui, n'en déplaise à nombre de commentateurs européens. Pour ce qui concerne la politique intérieure, j'ai pu me montrer plus réticent vis-à-vis de McCain, mais il est aujourd'hui, dans l'ensemble, bien entouré puisqu'on trouve parmi ses conseillers économiques des gens tels que Phil Gramm et Jack Kemp, partisans de la déréglementation, du libre change et des baisses d'impôts au temps de Reagan.


 
DRZZ : Comment percevez-vous son probable opposant, Barack Obama ?

MILLIERE : Je perçois Barack Obama comme une part croissante des Américains devrait peu à peu le percevoir: comme un homme très à gauche qui se cache sous un discours centriste et unificateur, comme un ancien agitateur social qui utilise ses talents verbaux pour séduire, comme un démagogue habile qui tente de se présenter comme l'incarnation de l'espoir, comme une sorte de socialiste archaïque qui se présente comme l'incarnation d'un renouveau. Enlevez à Obama l'onctuosité du prêcheur ou du gourou, et vous trouvez un discours assez nettement pacifiste et défaitiste à la Jimmy Carter, des propositions de politique intérieure  reposant sur la hausse des taxes et des impôts et sur un accroissement de la redistribution. Obama a séduit l'électorat noir, les jeunes à qui il s'est présenté comme l'apôtre du changement, les bourgeois bohèmes de gauche qui veulent se prouver à eux-mêmes que les Etats-Unis ne sont pas racistes  et qui rêvent d'une Amérique qui ressemblerait davantage à l'Europe en termes de diplomatie et de systèmes sociaux. Obama aura beaucoup de mal à séduire les hispaniques, les classes moyennes inférieures, les employés, les femmes de milieu modeste qui constituent l'électorat de Hillary Clinton. Trente pour cent de ceux qui se déclarent aujourd'hui prêts à voter pour Hillary Clinton disent qu'ils voteraient pour McCain si Obama est le candidat. Je pense, en supplément, que des personnages douteux qui hantent le passé d'Obama vont surgir peu à peu: le pasteur Wright n'est que le premier d'une liste bien plus longue. 

 
DRZZ : L'Iran a encore annoncé l'installation de nouvelles centrifugeuses. Quel est, d'après vous, le futur du dossier iranien ? Se dirige-t-on vers des frappes en 2009 ?

MILLIERE : La situation iranienne est très préoccupante. Voici quelques mois, Bush semblait encore déterminé à frapper les installations nucléaires iraniennes. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins sûr. La note des services de renseignement américains sur l'interruption du programme nucléaire militaire iranien divulguée voici quelques semaines l'a été, à l'évidence, pour saborder toute initiative militaire de Bush. L'administration Bush a été, de manière prédominante, sous l'impulsion des néo-conservateurs pendant les trois années qui ont suivi les attentats du 11 septembre. Ensuite, la tendance réaliste a repris du poids: c'est elle qui tient les rênes désormais, et Condoleeza Rice se révèle être la disciple fidèle de Brent Scowcroft. En ces conditions, ce sera sans doute au successeur de Bush de prendre les décisions qui s'imposent. McCain est très clair à ce sujet, je l'ai dit. Avec Obama, on entrerait dans une phase d'apaisement désastreuse qui permettrait à l'Iran de devenir la puissance hégémonique du Proche-Orient, à l'islam radical de ses propager davantage et à une alliance planétaire des régimes autoritaires de se renforcer encore. 

 
DRZZ : Quelle est votre analyse des prochains Jeux Olympiques de Pékin et de la crise tibétaine ?

MILLIERE : Vouloir séparer, comme le font certains, l'esprit du sport et la politique ne fait pas sens. Les Jeux olympiques ont depuis longtemps une signification politique. Adolf Hitler a fait des Jeux de 1936 un événement placé au service de la propagande du nazisme. Les Jeux de Moscou en 1976 étaient eux aussi un événement politique. Les athlètes est allemandes outrageusement dopées n'ont cessé d'être des outils de propagande pour l'Allemagne de l'Est. Lorsque les Jeux ont été confiés à la Chine communiste, le pari était que celle-ci, en avançant vers le développement économique, s'ouvrirait et se démocratiserait toujours davantage et que les Jeux joueraient un rôle dans cette ouverture. Force est de constater que le pari a été perdu. La Chine a continué à se développer économiquement, mais elle ne s'est pas ouverte et ne s'est pas démocratisée. Le régime a aujourd'hui une structure de type fasciste: une économie reposant sur des entrepreneurs bénéficiant du soutien de l'appareil d'Etat, un parti unique régissant l'éducation, l'ordre et la pensée, une armée et une police au service du pouvoir absolu du parti unique, un discours nationaliste teinté de xénophobie disséminé par le parti unique. La crise tibétaine est un révélateur: cela fait des années que le régime chinois détruit la culture tibétaine avec une férocité absolue, mais la férocité s'exerce en fait vis-à-vis de tous ceux qui ne se soumettent pas pleinement aux règles du régime. Participer à la cérémonie d'ouverture, ce serait participer à une opération de propagande en faveur du régime. Les Jeux en eux-mêmes serviront de toutes façons à une opération de propagande. On nous parle de "fierté chinoise" qu'il ne faut pas blesser, du poids économique de la Chine. Il faudrait regarder la réalité en face: les attitudes trop conciliantes vis-à-vis du régime chinois ont assez duré, et une autre politique doit être envisagée. Nous dépendons des exportations de la Chine, mais la Chine dépend de nos achats pour se développer. La Chine finance l'endettement américain, mais si elle cesse de le financer, son économie s'effondre. Les Etats-Unis, dans les conditions présentes, ne semblent, hélas, pas prêts à mettre en place une autre politique. L'Europe semble moins prête encore. Je crains qu'on oublie les Tibétains comme on a oublié les Birmans ou les gens du Darfour, massacrés avec l'aval de la Chine. Nous allons vraisemblablement, selon l'expression de Lénine, vendre une fois de plus la corde censée srvir à nous pendre.


DRZZ : Quels sont vos voeux pour le 60e anniversaire de l'Etat d'Israël ?

MILLIERE : Je me réjouis, bien sûr, du soixantième anniversaire de l'Etat d'Israël. Je me réjouis de ce que, malgré les violences que les Israéliens ne cessent de subir, Israël soit une démocratie exemplaire dont nombre d' Etats de la région devraient s'inspirer. Je me réjouis aussi des réussites économiques d'Israël, qui est l'un des pays les plus avancés du monde en termes de technologies de pointe. Je regrette qu'Israël soit gouverné aujourd'hui par des gens qui n'ont ni l'envergure, ni la lucidité, ni la détermination requises. Je pense que si Olmert avait un tant soit peu le sens de l'honneur, il aurait démissionné depuis longtemps, dès le lendemain de la désastreuse guerre contre le Hezbollah au moins. Je pense qu'il serait nécessaire qu'un gouvernement israélien parle à nouveau au monde en termes nets et fermes comme le faisaient Shamir ou Begin. Je pense qu'Israël devra tôt ou tard agir comme il se doit face à l'Iran, face à la Syrie, au Hezbollah et au terrorisme palestinien. Je pense qu'un homme d'Etat devrait proposer une réforme du système électoral israélien permettant davantage de stabilité politique. Je pense que cet homme d'Etat devrait dire aux Israéliens qu'à défaut d'être aimés, ils doivent pour le moins montrer qu'ils savent se faire respecter et ne se placent jamais sur le terrain de l'adversaire. Je pense qu'il faudra sortir des illusions délétères d'Oslo et que le plus tôt sera le mieux. Je pense, enfin, qu'Israël a besoin plus que jamais d'un ami à la Maison Blanche. Le moins que je puisse dire est qu'Obama ne serait pas un ami.

DRZZ : Comment jugez-vous Geert Wilders et son film, "Fitna" ?

MILLIERE : "Fitna" est un film relativement simpliste qui juxtapose des versets du Coran et des images d'actes terroristes et de violence qui en constituent l'illustration. Ce film ne mériterait, en soi, pas de débats amples. Il a, cela dit, le mérite de poser la question des conséquences que peut avoir une interprétation littérale du Coran. Cette question doit être posée. On ne peut se contenter du discours dominant en Europe selon lequel l'islam est une religion de paix et les terroristes qui tuent au nom de l'islam juste des terroristes. La façon dont le discours dominant évacue le débat ne peut que susciter une réaction en retour qui conduit certains à rejeter tout l'islam et tous les musulmans et à développer des attitudes xénophobes. C'est pour que le débat ne soit pas évacué que j'ai tenu à faire publier, en France et en langue française, l'ouvrage de Daniel Pipes, L'islam radical à la conquête du monde. C'est pour la même raison, et pour montrer qu'il peut exister un islam ouvert et tolérant que je publie en parallèle Mille et une vies, un livre que j'ai écrit à partir d'entretiens avec un ami récemment disparu, Fereydoun Hoveyda. Fereydoun était Iranien, un Iranien du temps du shah, avant le temps de la république islamique. Le shah, comme Fereydoun, était musulman, ami de l'Occident et de sa culture, ami d'Israël. Il faut écouter ce que des gens comme Fereydoun ont encore à nous dire. 

DRZZ :  Quel est votre avis sur la présidence Sarkozy, en place depuis bientôt une année ?

MILLIERE : 
Mon avis est mitigé. Sur un plan intérieur, je pense qu'il n'y aura pas, en France, de réformes susceptibles de permettre de redresser la France, mais de simples ajustements minimaux qui n'enraieront pas le déclin et engendreront des déceptions. Il aurait fallu agir dès les premières semaines: il est maintenant trop tard. Sur un plan extérieur, il y a eu quelques signes positifs en direction des Etats-Unis, de l'Afghanistan, d'Israel, de l'Otan, et c'est très bien. Le fait que ce soient ces signes positifs qui aient valu à Sarkozy les critiques les plus féroces qu'il ait reçu me semble absolument consternant et reflète à mes yeux l'état culturel et mental préoccupant de ce pays. On doit noter, par ailleurs, qu'une bonne part des décisions se prennent à l'échelle de l'Union Européenne, qui est une structure technocratique et absolutiste. Plusieurs livres sont parus ces derniers mois aux Etats-Unis qui traitent du crépuscule de l'Europe: je dois dire que je partage les analyses développées dans ces livres, en particulier celles de Mark Steyn (America Alone), de Walter Laqueur (The End of Europe), et de Bruce Thornton (Decline and Fall).

DRZZ : Que pensez-vous du blog drzz ?

MILLIERE : Je pense que c'est un excellent blog, dont je partage l'essentiel des positions. C'est un espace de liberté, de salubrité et de lucidité indispensable dans l'espace médiatique francophone. Je lui souhaite longue vie et de nombreux lecteurs. Je serais heureux de voir le blog drzz évoluer vers un journal en ligne du type frontpage magazine aux Etats-Unis. Il faudrait pour cela des synergies et des investissements financiers. Si, en répondant à cet entretien, je peux contribuer au succès du blog, j'en serai heureux.

DRZZ : Serez-vous souvent France 3, dans l'émission "ce soir ou jamais", durant les présidentielles américaines ?

MILLIERE : Je le souhaite. Cela dit, tout dépend de ceux qui font l'émission. Frédéric Taddeï est un homme sympathique, courtois, intelligent et ouvert. Ceux qui préparent l'émission sont eux aussi des gens très bien. C'est une émission qui tranche avec la plupart des autres par son pluralisme. Je pense que cela lui attire des spectateurs toujours plus nombreux. J'espère que cela durera, car c'est une émission nécessaire. J'espère être réinvité. Je ferai, en ce cas, mon possible pour contribuer à un débat animé et réellement contradictoire. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, être minoritaire ne me dérange pas. Etre insulté sur le blog de l'émission ne me dérange pas non plus: il y a des gens qui sont tellement habitués à la pensée unique que, dès qu'ils entendent autre chose, ils tirent sur tout ce qui bouge. En France, une bonne part de la gauche est sectaire, et il en va de même pour une bonne part de la droite. Il faut résister, c'est ce que je tente de faire. Il faut des espaces d'ouverture, "Ce soir ou jamais" est un espace d'ouverture.

DRZZ : Vous publiez deux nouveaux livres. Quel message voulez-vous transmettre dans chacun d'eux ?

MILLIERE : L'un de ces livres est celui dont je parlais plus haut, Mille et une vies. C'est un essai élaboré sur la base d'entretiens avec Fereydoun Hoveyda, un homme extraordinaire 
avec qui j'ai entretenu une relation amicale pendant les dernières années de sa vie. Fereydoun est né en Syrie au début des années 1920. Il a grandi au Liban, a passé son adolescence en Iran. Il a contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la fondation des Cahiers du cinéma. Il a été ambassadeur de l'Iran du shah aux Nations Unies, ami d'Andy Warhol, écrivain français, essayiste américain. Traiter de sa vie m'a permis d'aborder divers thèmes cruciaux: la naissance et l'évolution du nationalisme arabe, le statut de l'islam au Proche-Orient, l'Iran au temps du shah, la révolution khomeyniste, la guerre contre l'islamo-terrorisme, l'évolution politique de l'Europe et des Etats-Unis. Fereydoun était un homme d'une immense culture, l'incarnation par excellence d'un islam éclairé et ouvert.

Le deuxième livre s'appelle Survivre à Auschwitz. Je l'ai écrit par amitié là encore. J'ai rencontré voici quelques années un survivant de la shoah. Je pensais que son témoignage devait être transcrit et rester. Ecrire le livre a été l'occasion pour moi de revenir sur l'antisémitisme, la Seconde Guerre mondiale, la shoah, la naissance d'Israël, et de rétablir sur ces sujets un certain nombre de faits. J'ai ajouté en appendice au livre les principaux articles que j'ai rédigé ces derniers mois pour la Metula News Agency.

Une réflexion sur « Interview d’un géopolitologue : comprendre notre monde »

  1. Livrant au Daily Telegraph l’une de ses critiques les plus acerbes contre les États-Unis, M. Gorbatchev a déclaré que le renforcement actuel des capacités de l’armée américaine était destiné à contenir une résurgence de la Russie.
    En décidant des projets d’extension de l’OTAN dans les pays de l’ancienne Union soviétique, des augmentations de budget militaires et de l’installation du bouclier antimissile en Europe centrale, les États-Unis ont délibérément mis fin aux espoirs d’une paix permanente avec la Russie, juge M. Gorbatchev.

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