On l’attendait, il n’a guère tardé. Selon un sondage Ifop pour La Lettre de l’opinion de ce jour, 67 % des Français « se sont déclarés favorables à l’intervention militaire française au Mali ». À comparer avec le sondage du même Ifop pour L’Humanité du 1er juillet 2011 selon lequel 51 % des Français désapprouvaient l’intervention de l’Otan en Libye.

Je reviens par ailleurs (ce jour même sur Come4News) sur les interprétations diverses que l’on peut faire des termes islamistes, djihadistes, terroristes.
Aussi sur le singulier distinguo qu’opère, pour Nice-Matin, Bernard-Henri Lévy entre résistants tchétchènes et terroristes maliens.
Peut-être serait-il bon de dire, écrire et redire que tous les musulmans tchétchènes ne sont pas des résistants (il en est même de très alignés sur Moscou), et que parmi les résistants, il se trouve des djihadistes.
À l’inverse, tous les musulmans du nord du Mali, même s’ils prônent une forme de charia, ne sont pas forcément des djihadistes.
Mais les amalgames rapides sont faits, d’où, sans doute, les sondages. En tout cas le premier sondage, dont les résultats sont favorables à l’intervention militaire française au Mali. Jusqu’à nouvelle donne ?

Divers facteurs ont influé sur le retournement d’opinion à l’endroit de l’intervention de l’Otan (et en particulier française et britannique) en Libye.

Le coût en était un, l’implication du Qatar et de groupes salafistes radicaux aussi, et qu’on le veuille ou non, le fait que des bavures inévitables (les morts de petits-enfants de Kadhafi sous les frappes en sont l’exemple le plus flagrant, mais d’autres n’étaient absolument pas à exclure), un troisième, sans compter les suivants (ou ultérieurs pressentis).

Adhésion évolutive

Il y a une, des différences. Cette fois, « 41 % sont plutôt favorables », « 23 % plutôt pas favorables ».
Le fait que la France supporte l’essentiel du coût des opérations, ne soit appuyée que de loin par deux puissances occidentales seulement (Royaume-Uni, États-Unis), et sans doute aussi l’implication du Qatar, conduit à émettre des opinions moins tranchées. L’évolution sera aussi fonction du type de frappes et de la nature des victimes. Sans doute aussi du succès ou des échecs des opérations (des localités sont reprises par des combattants adverses aux forces armées maliennes).

La formulation de la question a pu aussi influer : « êtes-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable ou pas du tout favorable à cette intervention militaire française ? ». Selon les titres de presse commanditaires, les instituts, du temps de la présidence Sarkozy, les questions (ou leur présentation) étaient parfois beaucoup plus tranchées. Nous avions aussi pour adversaire désigné un dictateur symbolique et non pas trois ou quatre composantes parfois antagonistes, en tout cas différenciées.

Une presse plus circonspecte

Autre différence, les articles ayant pour thème les dangers de l’intervention insistaient déjà, du temps du conflit en Libye, sur de possibles mesures de rétorsion du régime kadhafiste, lequel n’en évoquait que l’éventualité. Là, Aqmi et le Mujao détiennent des otages, invoquent des attaques ou attentats sur le sol français. Il n’est pas encore fait foi à la présumée répression des forces armées maliennes contre les Peuls (ce dont Abou Khaïtama, du Mujao, fait état). Il est encore peu question du Conseil transitoire de l’État de l’Azawad. Ce que peut relater la presse algérienne n’attire pas déjà prioritairement l’attention.

Et puis, Nations Presse (.info), organe du Front national, fait déjà état d’une impréparation « le commandement français a sous-estimé à la fois la préparation et l’entraînement des groupes islamistes, de même que leur équipement dont une grande partie semble tout droit sorti des stocks de l’ancienne armée de Kadhafi laissés à l’abandon par l’OTAN après la chute du guide libyen. ». Comme pour le mariage pour tous, le FN risque de livrer des messages contradictoires, en fonction, peut-être, de l’évolution des sondages, de divergences internes.

L’une des différences entre les interventions en Libye et au Mali sera sans doute qu’une partie de la presse francophone ne se sentira pas directement impliquée. La Suisse ne doit pas détenir beaucoup d’avoirs maliens, la Belgique ne participe pas, et l’appui éventuel du Canada restera discret jusqu’à nouvel ordre. S’il existait bien un presse anglophone libyenne, la presse malienne a largement recours au français. La presse africaine francophone peut aussi plus librement rendre compte des opérations, y compris depuis les villes du nord du Mali (soit, par exemple, depuis Gao). Les sites maliens, comme Mali Actu (.net) sont difficilement accessibles, mais leurs articles sont répercutés.

Un autre facteur entre aussi en jeu : qui tient vraiment les rênes à Bamako ? Sanogo ? On le dit soit tirant les ficelles, soit marginalisé ? Il y a-t-il en présence surtout « des groupes plus ethnocentrés que religieux », comme l’affirme le site Strategica 51 ?

Diverses forces en présence des deux côtés

Ajoutons que le mouvement Boko Haram, djihadiste nigérian, connu pour ses exactions et attaques contre des églises et des populations chrétiennes, appuie désormais plus ouvertement Aqmi. Ansaru, autre groupe nigérian, serait aussi de la partie. Ce groupe cible aussi les chrétiens et les « occidentaux » en général. Mais de même les musulmans trop « tièdes ». Les Touaregs peuvent, en partie, se retourner. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad se dit prêt à « appuyer l’armée française ». Il n’est pas que des extrémistes religieux particulièrement virulents au nord du Mali. Ni que des Touarègs Ifoghas (plutôt proches d’Ançar Eddine). Le MNLA donne des gages à la France pour éviter que l’armée malienne soit tentée de se livrer à un nettoyage indiscriminé (donc de populations civiles touarègues). 

La fiction d’un nord uni contre un sud uni, ou encore d’un peuple aspirant tout entier aux libertés démocratiques contre une dictature, ne peut être transposée au Mali. La Libye (et l’Irak) ou même la Syrie ont, de ce point de vue, changé l’appréhension des conflits.   

Il faut aussi prendre en compte que la mission sera ardue. Selon Mathieu Guidère, universitaire genevois, la Russie, peut-être soucieuse de ne pas voir la France s’impliquer en Syrie, aurait fourni des équipements sophistiqués via des canaux officieux. Il met en doute que l’hélicoptère de combat endommagé, dont le pilote a été tué, l’ait été par des armes légères uniquement. Alors qu’en Libye, y compris dans la capitale et des villes majoritairement kadhafistes, des renseignements pouvaient être obtenus, ce n’est pas forcément le cas au nord du Mali : l’aviation française a de nouveau bombardé à Douentza, mais c’était une coquille vide, selon des témoins locaux qui n’ont pu être joints qu’après coup.

Des revers prévisibles

Pour une partie de l’opinion internationale, la situation au Mali découle de celle instaurée en Libye. Il est aussi relevé que c’est un officier malien formé aux États-Unis qui renversé le gouvernement malien après qu’une partie de l’armée – formée par les troupes étasuniennes – ait vendu ses armes aux insurgés du Nord. Il est remarqué que l’opération en Somalie aurait provoqué des morts civiles (dont deux femmes et un enfant), aurait bénéficié d’un appui aérien des États-Unis, et il est redouté qu’il en soit de même au Mali.

La France et les pays africains voisins pourront-ils longtemps rester les seuls fers de lance de l’offensive, sans appuis extérieurs renforcés ? Laurent Fabius commence à en douter.

C’est dire si un premier sondage ne fera pas « le printemps » du gouvernement à propos de l’intervention au Mali.
Après les évolutions des situations en Libye et Irak, ce n’est plus envisageable de la même manière.

De plus, cette fois, il n’est pas question de cataloguer tous les civils (voire groupes armés) dans le camp d’une dictature ou d’une nébuleuse « terroriste » du simple qu’ils cohabitent (ou la subissent, voire en subiraient une autre à l’avenir). Les instituts de sondage vont sans doute devoir affiner davantage leurs questions, souvent trop simplistes.