Nombriliste, la presse française. La nuit dernière, l’agence Chine nouvelle adresse une quasi-fin de non-recevoir aux demandes d’aides européennes, mais cela semble être passé inaperçu. En revanche, quand Jacques Delors se confie au Daily Telegraph, tout le monde ou presque reprend. Sans voir que l’éditorial de Peter Oborne, du même Telegraph, fait surtout cas des pressions d’Obama sur David Cameron pour que le Royaume-Uni joue le jeu européen. Et c’est quand même autrement plus important que les non-infos de Delors…
Certes Xinhua (Chine nouvelle), comme Le Figaro Madame, traite de sujets aussi importants que « les stars féminines chinoises à la quarantaine qui garde (sic) encore sa (bis) beauté » (encore que, grammaticalement, cela se conçoive). Mais sans nonobstant reléguer au second ou troisième plan le fait qu’aux yeux de la Chine, l’euro a perdu ses attraits.
Au temps pour le Fonds spécial européen qui ne fait guère recette dans les pays émergents (ou plutôt ceux d’entre eux ayant déjà émergé, tel le Brésil). Pour certains pays, il s’agit d’une crise de confiance dans la cohésion européenne : d’accord pour prêter, si les 17 ou les 27 parlent d’une seule voix. Pour la Chine, c’est un peu la même chose, avec, en sus, des problèmes internes : « La Chine ne peut pas secourir d’autres pays avec ses réserves en devises étrangères », titrait Xinhua la nuit dernière.
Plus BCE que moi…
Pas besoin d’être sinologue (même pas de s’y croire, tel Raffarin) pour savoir que la diplomatie chinoise emploie souvent des voies contournées pour exprimer l’opinion de ses dirigeants. Hormis sur Formose (Taïwan) et le Tibet, sujets de politique intérieure, les dirigeants chinois interviennent très peu sans langue de bois ou sans passer par la bande.
Là, c’est une certaine Madame Fu, qualifiée de « haute diplomate », qui est mise à contribution. La Chine a suffisamment « importé » de valeurs européennes, en fait acquis des entreprises qu’elle contrôlera, à son gré. Pour le reste, c’est justement « fù » (ou fou, ou fei, bref, niet) car il serait dang (licencieux, immodéré, &c.) de procéder autrement. Madame veto s’est exprimée.
C’est devant le Forum Lanting (une sorte de groupe de réflexion chinois) que Madame Fu a clairement dit que la Chine participe aux efforts internationaux pour sauver l’Europe d’une manière « saine », soit en préservant ses intérêts car « les réserves en devises étrangères ne sont pas des recettes fiscales ou de l’argent dont peut disposer le Premier ministre ou le ministre des Finances. ». Transposez : moi, Angela Merkel, je ne peux pas disposer des fonds de la Banque centrale européenne (BCE) dont « les réserves ne sont pas gérées de cette façon » (propos de Madame Fu à propos des réserves chinoises qui ne peuvent pas non plus être entamées pour secourir l’économie intérieure qui a aussi besoin de liquidités). En Chine, le crédit se fait aussi rare.
Delors se répète
Renonçant à briguer la magistrature suprême (1994), Jacques Delors n’avait pas dit qu’il ne se sentait pas en mesure, devenu président français, de mener la tâche essentielle à ses yeux, soit convaincre les autres chefs d’États européens d’appliquer la politique européenne nécessaire et plus que souhaitable. Ce n’est pas d’ailleurs ce qu’il a confié au Telegraph, mais cela revient un peu au même.
La crise de l’Euro reflète tout simplement la crise de l’Occident ? « Oui, c’est cela », conclut-il à l’adresse de Charles Moore.
L’harmonisation fiscale (et non pas seulement la prétendue « fiscal union » qu’on veut nous vendre), les problèmes de l’emploi et de la protection sociale devaient précéder l’adoption de l’euro, estime Jacques Delors. À présent, les marchés sont « minés par l’incertitude », la leur, mais aussi celle des dirigeants européens, peu capables de s’entendre car dépourvus de vision réelle, autre que les vues, justement, des marchés.
Alors qu’à la chute du mur de Berlin, Kohl, Mitterrand, George Bush Sr, et Gorbatchev ont su réagir avec promptitude et sang froid, ni Sarkozy, ni Merkel, ni d’autres, n’ont su mettre en œuvre à temps « l’optimisme de la volonté » cher à Gramsci (le marxiste italien). La « cacophonie des déclarations » a miné la confiance des marchés, des fonds de pension, des investisseurs, a poursuivi Delors.
Si nous tenons à nos valeurs occidentales, à notre conception de la démocratie, à notre leadership (ici, primauté décisionnaire directionnelle et pas suprématie de fait), « nous ne pouvons dicter au président chinois ce qu’il doit faire », souligne Delors.
Grand marchandage
Le Grand Bargain, selon l’expression de Peter Oborne (redchef du Telegraph), qui s’entame enfin, n’implique pas que l’Europe. « Je peux révéler que M. Cameron est soumis à d’incessantes pressions appuyées en coulisses de la part du président Obama (…) et de son ministre des Finances, Timothy Geigthner, pour que le Royaume-Uni appuie de tout son poids », et se rallie aux préconisations de l’Allemagne et de la France. C’est à une situation pire que celle de la crise des années 1930 qu’il faut envisager de faire face, a dit sans ambages Sir Mervyn King (gouverneur de la Banque d’Angleterre, voir nos précédents articles…). Soit 90 % de valeur évaporée, puis une guerre généralisée.
Peter Oborne rappelle que le Bundestag examinait voici deux semaines le collectif budgétaire irlandais, qui ne sera approuvé (ou rejeté) par le parlement irlandais qu’en janvier.
Ce n’est hélas que cela, la fameuse « union fiscale ». Pas du tout l’harmonisation des fiscalités souhaitée par Delors (et d’autres), pas vraiment une intervention économique concertée. Équilibrez vos budgets. Comment ? Demerdensiezich avec vos électorats respectifs, faites payer les pauvres ou les riches, faites des coupes d’Europe, du monde, des Jeux olympiques, ou réindustrialisez, mais sans fausser les règles de la concurrence. Vos tambouilles locales, ce n’est pas le problème. Il faut réduire le ratio dette/PIB de l’Europe en son entièreté (75 %, contre 95 % pour les É.-U., qui se refusent à abonder le FMI), selon l’intime conviction des divers dirigeants auxquels il ne sera pas demandé les moyens par lesquels ils se seront convaincus.
La seule vision avouée, ce serait de faire en sorte que les marchés considèrent la Grèce comme la Corrèze, le Portugal telle la Haute-Marne, ou plutôt l’Espagne telle le Land du Brandebourg (ex-RDA), soit en tant que parties intégrantes d’une Union européenne enfin solide. Vision proclamée n’est pas conviction intrinsèque.
En fait, certains pays européens se retrouvent sur un siège éjectable. Parce que les sanctions envisagées, s’ils se départiraient d’une rigueur exténuante, pourraient être insupportables.
Réindustrialiser, certes. Mais une croissance à la soviétique, avec primat à l’électrification, au prix des déportations en Sibérie, des famines en Ukraine, est-ce envisageable en Thessalonique, dans l’Alentejo ou l’Andalousie, en Corse, à La Réunion ?
Une croissance retrouvée qui n’améliorerait, encore une fois, que les conditions de vie des plus nantis, au prix de la dégradation, déjà constatée, de celles de tous les autres, c’est un peu ce que prônent encore Sarkozy, Merkel, et consorts. Sans doute moins pour sauver l’Europe dans son ensemble que leurs propres modes de vie.
Protectorats et dominions
La rigueur, oui, nous ne pourrons que nous y résoudre. Mais partagée, et accompagnée. Si les seules recettes postales rentables (que ce soit pour La Poste ou la Deutsche Post, entreprises devenues privées) étaient celles de Tulle et Brive-la-Gaillarde et que toutes les autres corréziennes, déficitaires, devaient être fermées, ce serait comme s’il n’y avait qu’une seule poste à Lusaka pour toute la Zambie (le colonialisme a été souvent une charge plus qu’un profit, estimait Raymond Cartier, auquel fut attribuée la phrase « la Corrèze avant le Zambèze »).
Faire de pays européens des protectorats ou des dominions devenus trop peu rentables, voués à une indépendance forcée, c’est aussi, en germe, le risque du Grand marchandage tel qu’il nous est présenté. Nous assisterions à un néo-colonialisme européen, le « marché intérieur » de l’Europe débordant des pays restés dans l’Union, mais aux mains des seuls intérêts privés dominants.
C’est là, bien sûr « grossir le trait ». Mais n’a-t-on pas déjà, progressivement, fait progresser le pouvoir d’achat global en détériorant les conditions d’existence de celles et ceux qui n’ont pas eu recours au crédit, les uns, endettés, se voyant à présent sommés de rembourser ou d’être expulsés par des banques renflouées par les États, les autres, à l’épargne érodée, sommés d’apporter leur cote part à la préservation des mêmes intérêts, par leurs contributions directes ou indirectes ?
Quand je lis qu’Obama est actif en coulisses, je me demande si ce n’est pas Goldman Sachs qui est à la manœuvre. Quand la Chine indique qu’elle a suffisamment « importé », traduisez qu’elle a fait les emplettes qui lui paraissaient les plus rentables. Le Brésil, lui, n’a guère envie d’importer des Rafale.
Sarkozy fustige à présent une Europe « qui tolère le dumping fiscal et social entre ses États », après, pendant près de cinq ans, s’en être fort bien accommodé. Il a certes parfois joué la carte européenne, par exemple, pour la franco-belge Dexia, et favorisé les vues de son ami Albert Frère, devenu le premier investisseur individuel du CAC 40.
Quand on veut destiner des pays à devenir les protectorats d’autres pays déjà colonisés par des empires privés, européens ou non (tel celui du canadien Paul Desmarais, autre proche de Sarkozy), la rigueur qui s’impose doit être autrement envisagée par les parlements européens. Étonnamment, les Jacques Delors ne sont guère prolixes sur la question. Bizarrement, en cela, ils ne diffèrent guère des partis populistes européens qu’ils dénoncent. N’y a-t-il vraiment d’autres issues, d’autres voies ? S’il y a des traités européens à renégocier, qu’ils le soient par d’autres dirigeants et d’autres parlements que les actuels.
Tiens, c’était mon 800e article sur [i]Come4News[/i]. J’aurais très certainement préféré traiter d’un sujet plus léger. Ou plus consulté (le filon DSK passe encore, dans la presse généraliste française, avant la zone euro et sa crise, et bien sûr l’Euro 2012, si primordial).
[i]Le Figaro[/i] estime que « [i]la machine syndicale[/i] (…) [i]vit aux crochets des autres[/i] ». Certes, quatre milliards d’euros pour 8 % de syndiqués.
Et la machine politique, donc ! Combien d’électeurs si, pour se rendre aux urnes, il fallait cotiser trimestre après trimestre ?
Et la machine européenne ?
Tiens, Le Figaro mentionne quand même les syndicats patronaux, dont l’UIMM, ou l’Union nationale des professions libérales, ou la FNSEA. Mais l’article s’ouvre sur un voyage au Sénégal de délégués syndicaux de France Télécom (pour se rendre au forum social mondial).
LE GRAND MANEGE DU A TOI A MOI !
ou la contamination des amis du BRAVE NEW WORLD !!!
[img]http://www.bbc.co.uk/news/special/world/11/world_debt/who_owes_whom/img/transparent.gif[/img]
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Eurozone et USA : L’entrelacs de dettes (Graphique interactif, BBC)
http://www.bbc.co.uk/news/business-15748696
[i] »Alors qu’à la chute du mur de Berlin, Kohl, Mitterrand, George Bush Sr, et Gorbatchev ont su réagir avec promptitude et sang froid »[/i] inexact, désolé ce n’a pas été le cas ni de Mitterrand ni de George Bush Sr !
Quant à Delors c’est un enfonceur de portes ouvertes, l’harmonisation fiscale était déjà une évidence dès les prémices de L’Europe !
Vous avez hélas raison d’utiliser l’expression très complexe et intraduisible [i] »Demerdensiezich »[/i], c’est exactement ça, hélas.
Au fond ceux qui votent les lois et leurs services fiscaux se foutent de savoir qui est qui, la seule façon de récupérer le maximum c’est de faire payer ceux qui n’offrent pas de résistance, à savoir: les petits propriétaires (ayant peur de la saisie fiscale de leur petite maison ou appartement, l’employé salarié qui sait que son salaire peut être saisi, et quelques autres, en revanche les gros et puissants revenus font l’inverse ce sont eux qui font chanter le trésor public par le biais du chantage à l’emploi ou de la délocalisation.
[i]Une croissance retrouvée qui n’améliorerait, encore une fois, que les conditions de vie des plus nantis, au prix de la dégradation, déjà constatée, de celles de tous les autres, c’est un peu ce que prônent encore Sarkozy, Merkel, et consorts.[/i] Le mélange d’un rustre et d’une bac+5 me semble incongru.
Quant à Gorbatchev, il s’entend comme larron en foire avec Henri Kissinger:
Brave New World !!!
@Veritas,
Raissa avait beaucoup plus d’influence sur son mari que « dear Henri »