"Il n’y a pas de corrélation directe entre l’espérance de vie et la pénibilité", déclarait le 23 janvier 2008 François-Xavier Clédat, PDG de Spie Batignolles et chef de file de la délégation patronale pour les négociations entre les "partenaires sociaux" sur la pénibilité du travail. Même Xavier Bertrand, le ministre en charge de cette question, s’est offusqué : "Je dois vous dire que j’ai été choqué par ce qui s’est passé la semaine dernière et les déclarations lors d’une réunion entre patronat et syndicats, où visiblement du côté d’un responsable patronal, on remettait en cause le lien entre la pénibilité et l’espérance de vie". Si bien que Clédat faisait timidement machine arrière lors de la réunion suivante : "Nous reconnaissons que la pénibilité a un impact sur certains salariés et nous avons proposé un dispositif pour en tenir compte".

Mais le dispositif en question est si restrictif qu’il tient de la pure provocation : "un passage à mi-temps ou l’exercice d’une mission de tutorat au sein de son entreprise", complété par "une allocation spécifique à la charge de la solidarité nationale" et réservé aux "ouvriers et employés d’exécution" de 58 ans.

Il faudrait aussi qu’ils aient travaillé 40 ans, dont la majeure partie soumis à un facteur de pénibilité, et même à trois facteurs pendant au moins dix ans. Pour mémoire, ceux-ci sont le travail de nuit, répétitif, exposé au bruit intense ou aux vibrations, le port de charges lourdes et la manipulation de produits toxiques. Et comme si cela ne suffisait pas à exclure assez de salariés, le dispositif sera limité à 10 000 salariés par an – de mieux en mieux, des quotas maintenant, c’est une manie en Sarkozie ! – et ne sera accordé qu’après un examen médical personnalisé et l’avis d’une commission qui devront décider s’ "il faut alléger la charge de travail" de ces salariés. "Ils considèrent qu’il faut qu’un médecin examine la personne et lui dise : "ben, vous avez 57 ans, mais votre corps, il a 65 ou 70 ans, et mon pauvre, vous avez peu d’espérance de vie..." Or, les cancers générés par la pénibilité, les problèmes cardiovasculaires ne sont pas liés à l’état de santé de la personne à un instant T", s’est insurgé Jean-Louis Malys (CFDT). "Est-ce qu’ils nous proposent de mourir à temps partiel dans les entreprises ?", a surenchéri Michèle Biaggi (FO).

En résumé, des conditions outrageusement draconiennes complétées par un examen médical et la délibération d’une commission, tout ça pour obtenir un "mi-temps pénibilité" – alors que le mi-temps thérapeutique existe déjà ! – mais surtout pas de départs anticipés à la retraite, au motif qu’ils sont contraires à l’allongement de la durée du travail, dogme patronal absolu. La retraite anticipée des salariés à la santé saccagée par des années de travail est assimilée par Clédat à la création de "nouveaux régimes spéciaux". Que les salariés se tuent à la tâche toujours plus longtemps, pour le bénéfice exclusif de leur entreprise ! Notons aussi que le MEDEF refuse de financer son dispositif, souhaité "à la charge de la solidarité nationale" : "Pour s’acquitter de leur gratitude envers des travailleurs "cassés" d’avoir longuement contribué au bon fonctionnement de leurs entreprises, une fois de plus l’Etat a bon dos et, pour leur éviter de se piquer les doigts avec les oursins qu’ils ont dans les poches, les employeurs ont l’habitude de se défausser sur lui alors que, le reste du temps, ils déplorent le "trop d’état" dans la société française !", vitupère Actu Chômage.

La position patronale est d’autant plus inadmissible que les études scientifiques sont très claires, la plus récente ayant été publiée par l’Institut national d’études démographiques en janvier 2008, sous le titre de La "double peine" des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte (triple peine en fait, si l’on ajoute que leur travail et donc leur retraite sont moins bien payés !). Ses résultats se passent de commentaires : "à 35 ans, la différence d’espérance de vie entre les cadres supérieurs et les ouvriers est de six ans", résume Actu Chômage. Et non seulement ils vivent moins longtemps, mais ils vivent plus mal les années qu’il leur reste : "Les cadres masculins* vivront 34 années des 47 qu’il leur reste sans souffrir d’incapacité contre 24 ans pour les ouvriers, soit un écart de dix ans." En conclusion, le medef requinsPlumonaute avisé que vous êtes aura noté plus haut l’expression "partenaires sociaux" entre guillemets.

C’est qu’il faut en finir avec la novlangue  : le MEDEF n’est certainement pas le "partenaire" des organisations de défense des salariés et la lutte des classes n’est pas morte. Au contraire : fort du soutien gouvernemental de l’Union pour la Mainmise Patronale (voir par exemple la loi sur la durée du travail, qui touche même les cadres), le MEDEF avance ses pions, jour après jour, pour accélérer la destruction de toutes les protections dont bénéficient les travailleurs et démanteler le droit du travail.

Dans ce sens, parlons plutôt d’ennemis sociaux, cette fois sans guillemets ! En l’espèce, ayant fait capoter les négociations sur la pénibilité par leur immorale intransigeance et faisant porter, toute honte bue, l’échec sur les syndicats ("Nous avons pris acte des propos des organisations syndicales qui conduisent à la fin de cette négociation", a annoncé Clédat mercredi 16 juillet, signifiant le terme de trois ans de tentatives d’accord consciencieusement sabotées par la patronat !), le MEDEF s’en remet au gouvernement pour légiférer. Dans un sens qui sera immanquablement défavorable aux salariés.

Débordés par les contre-réformes menées volontairement à un rythme soutenu et tous azimuts, l’ensemble des progressistes de ce pays doivent plus que jamais s’unir pour faire reculer ce pouvoir antisocial et mentir Sarkozy qui déclare : "Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit", lui faire rentrer ces propos dans la gorge et effacer cet insupportable sourire d’autosatisfaction permanente de son visage. Une seule réponse possible : avec le nouveau Conseil national de la résistance, collectif citoyen, grève générale pour le 10 novembre 2008 ! 

 

 

* : "Chez les femmes, l’écart d’espérance de vie entre cadres supérieures et ouvrières est moins important que chez les hommes, avec deux ans en moyenne. Pour l’incapacité de type I, la différence est de huit ans avec 35 ans sans incapacité pour les cadres supérieures, contre 27 ans pour les ouvrières."