L'actualité a parfois des coïncidences troublantes, qui interpellent quelque peu la conscience citoyenne. Elle nous en apporte ces jours-ci une nouvelle preuve…

Irréductible auditrice de la radio publique qui est la source principale de mon information nationale et internationale, je découvre simultanément dans la même journée, que s'ouvre, (enfin, après trente ans !),  le premier procès  d'un responsable du passé sinistre des Kmers rouges, et que l'Argentine retentit  de plus en plus fortement des cris et des actions de « l'escrache » des H.I.J.O.S.

Je voudrais essayer de vous faire comprendre aujourd'hui pourquoi le rapprochement dans l'actualité de ces deux  informations m'a semblé important et nécessaire à partager.


 

Arrêté et emprisonné depuis 1999, l'ancien dignitaire du régime de Pol Pot, responsable de la sinistre prison S21 située au cœur même de Phnom penh,  surnommé Douch et de son vrai nom Kaing Guek Eav, comparaît enfin ces jours-ci  devant les juges du  Tribunal parrainé par l'ONU ( les « Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens »). il encourt une peine de réclusion à perpétuité pour les accusations retenues contre lui : crimes de guerre, crimes contre l'humanité, tortures et meurtres. Il a reconnu sa culpabilité contrairement à ses co-accusés, et a demandé pardon à ses victimes…

Professeur de mathématique, donc « homme ordinaire » possédant un travail, un foyer, des enfants, il fut le directeur de ce centre pendant 3 ans et responsable de la disparition dans des conditions effroyables d'au moins 12 380 adultes et enfants.

Son incarcération, puis sa comparution et son jugement  par une cour que l'on espère indépendante et efficace  sont une chance pour le Cambodge et les survivants du génocide perpétré par le régime totalitaire de Pol Pot… Son procès devrait servir à mieux comprendre ce qui s'est réellement passé au Cambodge au cours de ces années noires, l'idéologie du régime, le pourquoi des massacres collectifs. C'est un acte pédagogique  destiné à favoriser la réconciliation nationale  tout en réhabilitant la mémoire des victimes innocentes. Et même si l'accusé est un bouc émissaire et que les débats ne débouchent pas sur le jugement des autres responsables, aujourd'hui âgés et malades,  le peuple cambodgien et la communauté internationale tout entière se devaient d'accomplir ce devoir de mémoire  qui honore  notre humanité toute entière.

L'Argentine : là encore s'accomplit un devoir de mémoire.

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Ancien président  du pays de 1976 à 1981, après un putsch militaire qui mit en place un régime de répression destiné à éliminer toute opposition politique, l'ex-général Videla ( 82 ans)  fut condamné à la prison à perpétuité en 1985 et a bénéficié en 1990 d'une grâce présidentielle de Carlos Menem. Il était pourtant poursuivi pour l'enlèvement  de 500 enfants, retirés par la force à leurs parents, opposants politiques, incarcérés ou exécutés, pour être confiés sous identités d'emprunt à des couples proches du régime. Il fut également gravement mis en cause pour l'enlèvement de nombreux étrangers comme responsable du plan Condor, mis au point par les dictatures d'Amérique latine pour se débarrasser  des opposants politiques de leurs régimes avec l'aide vraisemblable d'éléments de la CIA. … Justice, justice où es-tu ???

Le sort des « disparus » est en quelque sorte un crime parfait puisqu'il ne peut  donner lieu à réparation morale ou matérielle. Ce crime demeurerait donc la plupart du temps impuni et donc source  d'insatisfaction profonde pour la société et les proches  de tous ceux qui, militants, syndicalistes, révolutionnaires, voulaient se battre pour un monde plus juste et un changement de société en profondeur.

C'est à partir de ce constat que des associations se sont constituées, réunissant les familles et  les amis  de ces innombrables disparus ainsi que tous ceux et celles qui ne veulent pas que soit oublié leur mémoire. Le mouvement H.I.J.O.S rassemble pour sa part les enfants des disparus et pratique avec persévérance une forme de mémoire subversive appelée «  l'escrache ». Le trop célèbre Général vient heureusement de faire les frais de cette nouvelle forme d'action .

En effet, les descendants des victimes du pouvoir militaire ont choisi de lutter contre l'oubli et le silence d'une société hypocrite se satisfaisant de l'amnistie décrétée par le pouvoir en place dans les années 90 . Leur démarche est très originale : elle consiste à faire condamner « socialement » les anciens tortionnaires en les désignant visiblement à la population ;

Après une enquête approfondie sur les personnes suspectes d'actes de barbarie, ils s'installent dans le quartier où réside leur prochain « escraché », contactent le voisinage, exposent leurs griefs et l'action qu'ils envisagent. Le jour venu, les habitants du quartier sont invités devant le domicile du suspect où, à grand renfort de peinture rouge, de pas sur le sol, de slogans  « assassins » rythmés par le sons des tambours  on stigmatise l'action passée du tortionnaire, lequel reste à jamais marqué par la honte de cet ostracisme social….Nouvelle forme de justice concrète qui n'a rien à voir avec la justice habituelle, cette action militante marque une volonté citoyenne : le refus de cohabiter avec les assassins , même si ceux-ci ont été absous par la remise en normalité de la société. Elle marque également le refus de la peur trop longtemps présente dans la vie des victimes , ainsi que la volonté d'expression  de toute une population trop longtemps muselée..

On retrouve donc dans ces deux exemples la montée en puissance d'un désir profond d'humanité retrouvée, de prise en  main par les victimes  ou les descendants de celles-ci de leur propre destin …

Alors, faisons nôtre l'idée exprimée l'autre jour dans l'article de notre rédacteur Nicanor : ouvrons les yeux sur le monde, prenons le temps et la peine  de regarder, d'analyser, de comprendre  ce qui se passe sur notre planète et chacun à notre façon, devenons les acteurs de notre destin et non plus ceux qui ralent mais subissent sans broncher. Suivons l'exemple venu d'ailleurs, du Cambodge, de l'Argentine  et de partout…

mais qu'au moins toutes ces initiatives, ces démarches contre l'oubli et la normalisation  servent à nous faire réfléchir sur le passé, le présent et le futur de notre humanité !!!