Le président de la banque centrale allemande, la Bundesbank, Jens Weidmann, a critiqué publiquement hier dimanche l’assouplissement accordé la France pour parvenir à équilibrer (enfin, à réduire le déséquilibre) de son budget, dont le déficit devrait être réduit à 3 %. On serait tenter de lui donner raison s’il détaillait, au risque de se voir reprocher une ingérence, les moyens par lesquels il estime que le gouvernement Ayrault serait susceptible de serrer les boulons. Mais là, une fois de plus, il n’annonce pas clairement la couleur du fond de sa pensée.
La semaine dernière, Paris a obtenu de « Bruxelles » (en fait de Berlin, car ce sont encore les États forts, ou en bonne santé, qui donnent le ton, non point le Parlement européen ou leurs faux nez), que l’objectif de réduction du déficit budgétaire français à 3 % du PIB soit reporté à 2015.
Dans un entretien avec le dominical Bild am Sonntag, le président de la Buba (Bundesbank), Jens Weidmann, a critiqué tant cette décision donnant un sursis supplémentaire de deux ans à la France que celle de la BCE (Banque centrale européenne) de conserver son taux directeur à un très bas niveau (il a baissé de 0,75 à 0,50 %, un malheureux demi-point, son plus bas étiage).
Pour lui, et ce n’est pas faux, alors que les pays baltes espèrent un jour rejoindre la zone euro, Allemagne et France « ont une responsabilité particulière, en tant que poids lourds de la zone euro, dans le respect des nouvelles règles de réduction des déficits mises en place l’an dernier. ». Assurément. Mais il n’est pas allé jusqu’à déclarer qu’il fallait réduire la voilure et le poids de l’encadrement de la Banque de France, par exemple, ni qu’il conviendrait de licencier un peu moins à la base dans les banques, et un peu davantage au sommet.
Il admet « une certaine flexibilité » dans l’application des règles européennes pour des pays ayant vraiment fait (en fait faire à d’autres que les gouvernants, en général) des efforts pour contenir leur déficit, mais ne parviennent pas – du fait par exemple de moindres rentrées fiscales dues à l’austérité imposée au plus grand nombre – à y parvenir autant que souhaité.
Cela me rappelle le cas de la Roumanie, obtenant un prêt du FMI contre le respect d’un objectif de réduction de son déficit. Comment la présidence roumaine, et sa majorité d’alors devenue minorité, ont-ils interprété la consigne ? En sabrant dans les retraites, les émoluments des « budgétaires » (fonctionnaires et assimilés), en augmentant fortement la TVA – les prix à la consommation sont à présent ceux de l’Italie, en tout cas pour le panier de la ménagère – et en ne touchant surtout pas à un taux d’imposition sur le revenu direct, fort bas, et absolument pas progressif. Du coup, les universités se dépeuplent, si ce n’est encore le pays (les Roumaines et Roumains n’ont pas trop la cote en Allemagne, moins que les Espagnols, Italiens et Portugais, voire même les Grecs, que les régions allemandes débauchent et attirent par des facilités diverses).
Il est fort vrai que les taux d’intérêts très bas (alignés sur ceux de la BCE), contribuent à « réduire la pression pour s’attaquer aux racines de la crise », qu’ils spolient de fait les investisseurs et surtout les épargnants, et que la maîtrise des dépenses publiques reste une nécessité… à condition que les investissements soient de vrais investissements, ne génèrent pas en différé des coûts de fonctionnement peu supportables, et ne soient pas uniquement des cadeaux au secteur privé.
Pour Weidmann, que l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, la Slovénie, mais aussi la France, puissent emprunter à des taux raisonnables (en fait très peu rémunérateurs, ce qui bénéficie aussi grandement à la vertueuse Allemagne), comporte le risque de l’épée de Damoclès des marchés n’incite pas à des efforts supplémentaires. Ce n’est pas tout à fait faux.
Effectivement, si faisant cavalier seul, la France explosait son déficit pour relancer la croissance, il faudrait que la BCE sacrifie encore davantage les, mettons, pays des saints Paul (de Tarse, de Léon, Cordou ou Chypre), pour favoriser la « fille aînée de l’église » ou celui des Jacques ou des Gilles (de Wallonie). Sinon, la sanction des marchés ne tarderait pas à se manifester, d’autant que la France a renoncé à émettre des bons du Trésor public.
Pour Berlin, la France traîne à se réformer dans le sens d’un cran de plus vers la droite à la ceinture. Il est reproché de n’avoir joué que sur la pression fiscale, et pas du tout ou trop peu sur les salaires, les retraites, voire la dévolution d’hôpitaux au secteur privé… Même pour l’Espagne, où le chômage réel est encore plus féroce que l’officiel, l’Allemagne considère que la dérégulation des salaires et conditions d’emploi n’est pas assez forte. Sauf que, dans les faits, les Allemands n’appliquent en réalité qu’aux étrangers (ou encore aux Allemands de l’Est), considérés tels des intérimaires, sauf s’ils sont indispensables (dans les hôpitaux, par exemple), la fameuse flexibilité des conditions de travail et rémunérations qu’ils préconisent.
Bild dépeint la Kanzlerin Merkel avalant sans façon son litre d’« einen guten Schluck Bier » ou tendant une pièce pour acheter un journal à un SDF. Elle se fait recevoir par le pape François, histoire de parler pauvreté en Europe et dans le monde, bref la joue compassionnel. Bref, la chancelière est sympa, éprouve des émotions humaines, a de temps en temps une pensée (et un petit geste) pour les plus démunis. On repasse des documentaires sur sa prime jeunesse, quant elle était étudiante, pas trop privilégiée, en RDA, à l’est.
Mais, d’un autre côté, Weidmann est parfois présumé de vouloir favoriser un retour au mark, ou du moins à un euro fort, laissant de côté les pays ne pouvant l’assumer. La Buba n’était pas favorable à la création de l’euro.
Melvin Krauss, dans Bloomberg, considère que la Buba reste tentée, dans ses hautes-sphères, par un retour au mark que la chancelière réfute (et l’intéressé aussi, dans le Spiegel). La critique de Weidmann fait suite à un entretien avec le Westdeutsche Allegemeine Zeitung visant aussi la France, et ses plans de soutien à l’emploi : il faut retrouver « des structures économiques saines&nbps;».
En fait, Weidmann considère qu’un pays de l’Eurozone ne doit pas y être maintenu coûte que coûte. En l’état des choses, puisqu’il n’existe pas d’euro-obligations, mais des dettes spécifiques des États (que la BCE tente de ne pas aggraver en les rachetant, ce qui influe sur les taux des prochains emprunts), il n’a pas vraiment tort. Parce que, d’une certaine manière, tout pays de la zone peut se comporter comme les banques qui prennent des risques énormes puis se disent que les contribuables paieront car elles sont trop grosses pour faire faillite.
Certes, avec le cas de Chypre qui a ponctionné les plus gros (mais pas que, plutôt aussi les moyens, dindons de la farce, qui n’ont pas retiré leurs avoirs à temps), il est possible de faire sanctionner les dirigeants par leur électorat. Mais cela pourrait ne pas suffire.
Si tous les pays de l’Union européenne se mettent à réclamer, comme la France et l’Espagne en ont obtenu, des assouplissements, c’est la crédibilité même de la monnaie commune qui s’effondre. Tant qu’il ne s’agit que d’assouplissements estimés raisonnables, cela passera. Mais de plus en plus de justesse à chaque fois qu’un pays s’ajoutera à un autre. C’est là le raisonnement de Weidmann pour lequel la politique monétaire, seule, ne peut, sur le moyen terme, obtenir des investisseurs financiers internationaux qu’ils considèrent ad vitam que le risque de placer de l’argent à des taux de rémunération bas n’empêchera pas des risques plus grands, celui de perdre partie du capital placé.
L’ennui, c’est que la baisse des salaires préconisée ne vise toujours que les mêmes. Il y aura bien, en Allemagne, une hausse des salaires (notamment dans la métallurgie) mais pas du tout globale : il n’y existe toujours pas de salaire minimum contractuel généralisé (tout juste dans le BTP, les soins aux personnes). Le dégraissage ne touche jamais vraiment non plus les banques centrales. Lesquelles n’insistent pas beaucoup pour les activités de banque de dépôt et de banque spéculative soient totalement étanches. Jens Weidmann siège aussi à la BCE mais de même à la BRI (Banque des règlements internationaux). On s’attend donc à ce que l’exemple de l’austérité vienne de très haut, et que, puisque, à la BRI, la Buba est aussi représentée par Andreas Dombret (un américano-allemand), il se dégraisse lui-même en considérant qu’un membre de moins ne serait pas une perte qui ne puisse être compensée par une meilleure productivité. Quant à Dombret, qui cumule les casquettes et les jetons de présence, soyons sûr qu’il en lâcherait de lui-même pour se rendre plus disponible pour l’essentiel.
En fait, le modèle chypriote sera sans doute étendu à toutes les banques à risque. Les déposants paieront, les dirigeants en réchapperont ou non, ou empocheront un parachute doré. En mars dernier, le président de l’Eurogroupe, divers membres de la BCE, le commissariat européen aux Affaires économiques, l’ont confirmé. Sur cela, Jens Weidmann ne dit mot. Comme c’est étrange…
Le chef de file de l’opposition allemande, Bernd Riexigner, à la suite de ces déclarations, a estimé que Jens Weidmann « [i]est un danger pour les relations franco-allemandes[/i] ». « [i]Il n’a jamais été élu et ne peut donner des instructions ou des conseils non sollicités, ni à un gouvernement d’un pays ami, ni à une organisation internationale[/i] ».