Sahel : désastre sarkoyen, demi-échec hollandiste

Un auditeur-prospecteur agissant en tant que conseil pour des entreprises chinoises désireuses de s’implanter en Afrique du nord ou sahélienne vient de publier Sahelistan, au cœur du nouveau djihad (Seuil éd.). Pour Samuel Laurent, « Sarkozy a été d’une irresponsabilité folle » en Libye et Hollande n’a fait que retarder l’échéance en intervenant au nord du Mali. Inquiétant.

Rue89, et non pas seulement Pierre Haski, son fondateur, a quelque peu manqué le coche en publiant l’entretien de ce dernier avec Samuel Laurent, auteur de Sahelistan, de la Libye au Mali, au cœur du nouveau djihad, que publie le Seuil. Ne serait-ce qu’un petit encadré sur l’actualité la plus récente en Libye n’aurait pas été malvenu.

On y apprendrait que le gouvernement libyen se targue d’être soudain devenu efficace contre les milices, Aqmi ou les antennes d’Al Quaïda, en déterminant qu’une explosion à Benghazi aurait été accidentelle et non criminelle, que divers véhicules piégés et des dépôts d’explosifs ont été neutralisés en fin de semaine dernière. Ce qui n’a pas empêché, samedi dernier, une nouvelle explosion à Benghazi, visant une église désertée après qu’elle avait été incendiée, deux autres à Tripoli ayant pour cibles des véhicules blindés ou de police, ou que des milices de Misrata aient tiré dans le tas de manifestants de Tawergha, des réfugiés autorisés à le faire par le gouvernement et sous surveillance de la Croix Rouge. Le bilan n’intéresse pas la presse française : seulement deux blessés légers, les deux à Tripoli.

Il est en revanche normal que Rue89 n’ait pas fait état de l’entretien entre Lawrence Freeman et un journaliste de l’iranienne anglophone Press TV. Il n’a été mis en ligne que voici deux heures, postérieurement à celui d’Haski avec Laurent. Mais Freeman, de l’Executive Intelligence Review de Boston, dit à peu près ce qu’écrit Laurent, à ceci près qu’il n’établit pas trop de distinguo entre Al Quaïda et Aqmi et dit crument que la première organisation « contrôle pratiquement le pays ; nous avons créé un monstre qui nous échappe, à moins que cela aurait l’objectif ». Bien, l’idée est bien sûr de recommander que la même erreur ne soit pas reproduite en Syrie, ce qui sert les thèses iraniennes, n’en soyons pas tout à fait dupes.

Mais les faits sont têtus et c’est la seconde fois en un semestre que le terminal pétrolier de Zueitina doit cesser sa production : il a été encore envahi par des manifestants. De ceux qui s’opposent aux milices ou de ceux qui les confortent, on ne sait. À Bani Walid, il est tenté de mettre fin à la corruption de la direction de l’hôpital, à la suite d’une longue grève du personnel.

On s’aperçoit aussi que Gebril (ou Mahmoud Jibril), l’alibi de Bernard-Henri Lévy, et d’Ali Zeidan, a dupé tout le monde et a été lui-même dupé après avoir assuré qu’une alternative crédible au régime de Kadhafi n’était pas illusoire : Gebril est – provisoirement ? – aux poubelles de l’histoire libyenne, semble-t-il, et ses assurances passent pour ce qu’elles étaient : un bon bluff. Formellement, il reste un personnage influent de l’Alliance des forces nationales, qui avait remporté le plus de sièges aux dernières législatives de juillet 2012.

Alors que, sous mandat international avant l’indépendance retrouvée, la Libye était divisée en trois grandes entités (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan), le pays est encore plus « éclaté » à présent.

Pour Samuel Laurent, qui se fait comptable du chaos libyen, aux viols, massacres, exactions, s’ajoute un génocide larvé des « tribus noires » d’un pays où Aqmi est dominant au sud, Al Qaeda dominante au nord-est. « C’est une nation en lambeaux, disloquée et plus fragile que jamais, pleine de violence et de dangers, qu’on nous cache depuis maintenant des mois. ». De plus, pour lui, le raid des partisans de Mokhtar Belmokhtar (présumé mort au Mali) contre la raffinerie d’Al Amenas en Algérie, a été fomenté depuis la Libye avec l’appui de la katiba 315. Et beaucoup de gens le savaient, encore davantage ne peuvent qu’en être convaincus à présent.

Quant à l’attentat contre l’ambassade de France à Tripoli, elle proviendrait de la milice Ansa el Charia, de Derna, près de Benghazi, et non d’Aqmi. 

Pour Samuel Laurent, et officieusement bien d’autres, le bilan du chef de guerre Sarkozy est un désastre total, une débâcle complète… sauf à épouser la thèse que c’était ce que désiraient vraiment les États-Unis, le Royaume-Uni, avec un pantin ou complice activé pour prendre les devants et la jouer pour la galerie. Une thèse que ne partage pas Samuel Laurent, du moins qu’il n’exprime pas, sauf quant à la qualification d’ouvreur de la boîte de Pandore.

Semi-échec ou demi-succès temporaire de la décision de François Hollande d’intervenir au nord du Mali ? On laissera à l’avenir le soin de vérifier si le flacon est à moitié plein ou à moitié vide, mais pour l’auteur de Sahelistan, le temps gagné est une illusion. 

Sarkozy n’a pas laissé le choix à Hollande : intervenir s’imposait pour éviter qu’un califat s’empare du sud du Mali, soit déplacer le problème et renvoyer la patate chaude à l’Algérie, au Maroc et à une Tunisie instable. « Le Mali est une opération largement inutile. En nettoyant le nord du Mali, on a renforcé les positions de ces mêmes islamistes dans le sud de la Libye et même en Tunisie, en Mauritanie, au Niger, jusqu’à poser un risque pour le Maroc. ».

Vision pessimiste, qui sera ou non démentie par la suite des événements.

Ce qui est sûr c’est que les islamistes au pouvoir (précaire ? allez savoir) en Tunisie se voient contraints de contrer des salafistes et djihadistes, et certains de leurs partisans mus par l’intérêt de la survie ou de l’affairisme (carrément mafieux ou non), sans qu’on soit sûr de qui pourrait l’emporter : le risque que la Tunisie tourne à la Libye semble grand.

Au Mali, on constate en tout cas que les populations (ou plutôt les familles influentes) arabes de l’Azawad, opposés au Touaregs du MNLA, restent actifs, armés, &c. Le MAA est l’une des composantes au nord, avec les Ifoghas qui forment le noyau du tout nouveau Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad, les Shongaïs et les autres Tourages du MNLA. Tout cela reste fragile.

Succès quand même avec la reddition de Senda Ould Boumama, d’Ansar Dine, qui serait à présent à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Il aurait préféré se livrer aux Algériens, mais il aurait été victime d’une tentative d’attentat. Succès douteux, avec l’information selon laquelle le Mujao tenterait, comme en Turquie après accord, le PKK, de négocier avec l’armée malienne afin de pouvoir se réfugier au Burkina ou au Niger. En laissant au Mali leurs otages algériens ? On ne sait encore. 

Les Tchadiens sont rentrés à N’Djamena, histoire peut-être de contribuer à liquider ce qui reste de l’opposition à Idriss Déby, qui a les mains libres : l’opération victorieuse au Mali semble avoir eu l’heur de plaire à la population au-delà de ses soutiens, et qui, dans la communauté internationale, lui chercherait encore des poux dans la tête dans l’immédiat ?

Samuel Laurent a répondu aussi longuement aux questions de Philippe Chableau, d’Ouest-France. Il précise qu’Oubari, au sud-est de la Libye, est devenu le nouveau sanctuaire djihadiste. Une zone qu’il estime impénétrable, incontrôlable. Les Touaregs du cru aurait repris le contrôle du transit des drogues, mais laisseraient le champ libre aux djihadistes pour se reconstituer en force armée.
Philippe Chableau, fort de ses liens avec les services militaires français, peut sans doute admettre que nombre de djihadistes du Mali ont pu se replier, la nasse n’ayant pas été assez étroite. D’autres seraient encore au Mali, tentant de se faire oublier.

Cela étant, Samuel Laurent a un livre à promouvoir. Gonfler une menace est un bon argument pour susciter davantage d’intérêt. De loin, on peut le voir ainsi : 300 ou 400, voire un demi-millier ou le double de combattants, ce n’est pas une armée. Mais il faut aussi comprendre que ce n’est justement pas une armée, mais qu’elle peut quand même recruter. Il n’y a pas non plus d’armée constituée luttant contre celle du régime syrien. Et pourtant…
Les « bonnes feuilles » du livre sont sur Atlantico. Elles ne portent pas sur la région d’Oubari, mais sur Tripoli, et le contraste entre l’enclave du CNT et la misère ou quasi-misère de ce qui l’entoure. De quoi alimenter bien des révoltes canalisables sous couvert d’idéal religieux. Ajoutez à cela la corruption qui peut faciliter des contacts et des appuis à divers niveaux de la chaîne des autorités.

En Mauritanie, Riadh Ould Ahmed al-Hadi énonce sans détours que « le personnel militaire doit être plus immunisé en termes d’idéologie et de doctrine au vue de l’influence de l’idéologie radicale ». Pour le moment, les tentatives d’infiltration ont été rares et fort peu ont réussi. Mais dans d’autres pays, qui sait ?

En sus, une offensive contre Boko Haram se renforce au Nigeria. Elle semble fructueuse mais se fait aux dépens, aussi, des populations. Il ne peut être exclu que, s’ils se retiraient, les Boko Haram tenteraient aussi de rejoindre la Libye. Selon la Voix de la Russie, Boko Haram se retirerait du Nigeria… durablement ou pour revenir après la fin des opérations militaires, on ne saurait le prédire.

0n verra si Samuel Laurent passera à la postérité tel un Cassandre ou pas. Mais qu’on n’espère pas ne plus entendre parler du Sahelistan. Et ce ne sera pas pour les succès ou les défaites de son équipe de football.

 

 

 

 

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Sahel : désastre sarkoyen, demi-échec hollandiste »

  1. Un contre-argument veut que la situation en Libye était intenable avant l’intervention de l’Otan (enfin, d’une partie de…). Pas tellement sûr. Pas vraiment davantage qu’en Algérie, en tout cas.

    L’autre contre-argument est que, entre intervenir au Mali et s’en désintéresser, il fallait éviter le pire (ce qui n’est pas tout à fait démenti par l’auteur du livre).

    Il semble, en Syrie, que la guerre entre groupes rebelles (dont les islamistes) et Kurdes ait commencé pour prendre le contrôle des puits de pétrole de l’est du pays. Les islamistes pillent les parties qu’ils contrôlent pour financer des recrutements (mais rétablissent un semblant d’approvisionnement, donc les populations tolèrent). Cela pourrait faire retomber la tension au Sahelistan (au moins un temps, puisque les plus aguerris et belliqueux pourront mieux s’enrichir en Syrie).

  2. sarkoyan, sarkoy, czarkoy, zarkoy , kzarkoy , kahsar, Khazars …
    où es-tu mini petite zoury !!!

  3. « J’ADOUBE-LE-DESASTRE:qui ne fait que commencé,les apprenties sorcier,ou,les néo-con sauce sarkoziene…le genie de (b.h.l.) bien que le blog-press.come4news à étè le premier a planchez sur les anomalies averés…rien a rajouté sur les turpitudes de l’ere sarko.???

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