Que retenir de l’audition de Jérôme Cahuzac devant la commission parlementaire ? Qu’il a toujours l’intention de finir un livre, qu’il n’a rien signé avec les éditions Laffont, qu’il n’a touché aucun à-valoir (avance sur droits). Pour le reste, alors qu’une commission parlementaire détient les mêmes prérogatives qu’une cour d’assises, Jérôme Cahuzac s’est abrité derrière l’instruction pour ne pas répondre, ou incomplètement, voire, selon Mediapart, mentir à l’occasion.
Je n’ai pas tout suivi, mais de ce que j’ai pu suivre, j’estime que l’aide-mémoire que Mediapart a mis en ligne (un compte rendu succinct après la plupart des questions) est sans doute insuffisant pour combler tous les trous. Mais, finalement, qu’importe…
Or donc, hormis le fait que le livre projeté par l’ancien ministre du Budget du gouvernement Ayrault n’est pas achevé, que les enchères entre éditeurs sont toujours ouvertes, peu d’éléments sont venus éclairer « l’affaire Cahuzac ».
L’ancien ministre, selon mon appréciation, ne s’est pas montré arrogant (des policiers auraient estimé le contraire : sauf à sangloter devant eux en demandant pardon, on est toujours arrogant ou à la limite de l’impertinence, voire de l’outrage). Ni, apparemment, fuyant, puisqu’il a fermement répondu qu’il n’apporterait pas de réponse à certaines questions.
Ainsi du montage financier (compte dit omnibus ou dispositif de trust) qu’il a employé pour ouvrir son compte en Suisse ou le transférer à Singapour. On n’en saura rien, on attendra que la justice le dise (si elle peut obtenir de véritables précisions du parquet suisse).
Finalement, le seul aspect qui ait véritablement retenu mon attention est relatif à l’épisode de la consultation du professeur de droit Ternère au sujet de la vente de l’hippodrome de Compiègne (par Éric Woerth). Cahuzac et Ternère se connaissaient, mais, lorsque le ministère du Budget reçoit d’un syndicat de l’ONF l’annonce qu’il intentait un recours administratif, le ministre penche pour qu’il en soit ainsi, mais par précaution, décide une consultation. On lui souffle le nom du professeur, qui, contrairement à ce à quoi il s’attendait, conclut qu’il ne vaut mieux pas reprocher quoi que ce soit à Éric Woerth. Commentaire de Cahuzac : « les conséquences [d’un tel recours] auraient été d’une complexité administrative redoutable ». Admettons. Mais quand l’opinion veut tirer un trait sur les petits arrangements entre amis du passé afin de contrecarrer l’envie que cela reprenne à l’avenir, politiquement, eh bien, cela vaut bien quelques désagréments procéduraux (ou plutôt procéduriers).
Ce que voulaient entendre les députés de l’opposition, c’était que Hollande et Ayrault (ou Moscovici) avaient couverts Cahuzac. Ils peuvent rester sur leur faim, penser ce qu’ils estimeront utile de communiquer. Mais il n’y a pas eu de faille, pas de preuve formelle d’une collusion ou d’une complaisance outrancière.
Les relations directement intéressées (et rétribuées) de Cahuzac avec l’industrie pharmaceutique auraient cessé en 1998 avec le reliquat de dossiers à traiter, et si deux clubs de rugby du Lot-et-Garonne ont reçu des aides sous formes de parrainages jusqu’en 2002, ce fut de manière transparente. Par ailleurs, ayant eu à connaître de dossiers fiscaux de personnages en vue, Cahuzac n’en a pas retiré un sentiment d’impunité…
Il faut le croire : « on », à Bercy, cache tout aux ministres, et le rapport de l’inspecteur Garnier ne pouvait intéresser ni Woerth, ni ses prédécesseurs ou successeurs. Après tout, c’est possible, vu le sort (non réparé) qui fut réservé à Rémy Garnier par ses supérieurs, un ministre un peu plus pugnace qu’un autre aurait pu se sentir l’envie de faire un peu le ménage dans son ministère.
Charles de Courson dira une fois « merci de votre non-réponse ». Il aurait pu reprendre la formule comme au théâtre de boulevard, Cahuzac en a maintes fois fourni l’occasion. Dan Israel, de Mediapart (pour son lectorat), précisera que le compte en Suisse avait été ouvert chez UBS en 1992, transféré chez Reyl en 1998, puis en 2009 à Singapour. Cela ne semble plus éclairer vraiment les faits.
Outre ceux d’omission, plus lourds, les mensonges de l’interrogé sont véniels. Non, il n’a pas utilisé Stéphane Fouks, d’Euro RSCG, autrefois conseil de DSK. C’est faux, réaffirme Fabrice Arfi, de Mediapart, mais, bof. Antoine Cahuzac avait bien des responsabilités chez HSBC en 2009 ; son frère soutient à tort que non, mais après tout, on lui a peut-être menti à l’insu de son plein gré.
Sur son affaire d’emploi non-déclaré d’une employée de maison étrangère, il a pu s’embrouiller, mais c’est quand même secondaire de savoir si c’est Michel Gonelle ou Alain Merly qui lui a cherché des poux dans la tête.
Cahuzac a cherché à minimiser le travail d’enquête de Mediapart, estimant que c’est le parquet de Paris qui a finalement eu raison de lui (en tant que ministre). Oui, mais sans Mediapart, même prétendant détenir plus de billes qu’il n’en possédait (ce qu’il reste à démontrer), foin de parquet, partant, point de… Suisse.
Il est étonnant, comme l’a relevé un député, que l’affaire n’ait pas éclaté plus tôt, quand Cahuzac briguait une mairie, la députation, ou se faisait nommer président de la commission des finances de l’Assemblée (à mon humble avis, avec l’assentiment de Sarkozy, qui aurait pu opposer un veto, qui aurait ou non été accepté, tout comme Jospin admettait ceux de Chirac, même s’il n’y était pas toujours tenu). Réponse : c’est arrivé « au moment où cela doit faire le plus mal ». M’moui… Cela n’aurait pas pu faire frémir Sarkozy. Auparavant, qui aurait vraiment pu estimer que Cahuzac serait vraiment l’une des étoiles montantes du PS, destiné automatiquement à devenir ministre en cas d’alternance ? Les voyantes que consulteraient les caciques de l’UMP ?
Petit point d’orgue avant l’accord final : puisque la police scientifique estime à soixante pour cent que la voix de l’enregistrement de Gonelle est bien la voix de Cahuzac, ce dernier veut bien admettre, à 40 % de doute, que ce soit possible, voire exact. Je doute très fort que l’identité d’un éventuel imitateur (pas Thierry le Luron, peut-être Patrick Sébastien, un autre…) soit révélée lors d’une audience en justice. Mais peut-être que, s’il existe, arrivé au grand âge, l’un d’eux, farceur, se targuera de cette indélicatesse, dans un livre de mémoires. Avis aux éditeurs : soufflez l’idée au nègre (ou à l’auteur).
La curiosité m’est venue, après rédaction des lignes supra, de constater ce que ma corporation a pu tirer de cette audience. Selon Le Figaro, « visiblement fatigué (…) [il] semblait parfois proche de la rupture ». Ah bon ?
C’est Durand-Souffland, le chroniqueur judiciaire, qui s’y est collé, ou quelqu’un·e vise-t-il/elle sa succession ? Un tel « ambiançage » est toujours bienvenu en compte rendu d’audience (histoire de laisser respirer la copie, de ménager une transition, ou parce que cela se justifie), mais cela ne m’a guère sauté aux yeux (et oreilles).
Libération embraye avec ce braquet : « il est arrivé (…) en deux roues (sic). ». Sans doute en deux-roues et un seul morceau. Tandis que Le Fig’ s’abstient de mentionner le nom des député·e·s (sauf celui de Courson), histoire d’alléger, Libération en balance deux (un PS, une UMP). C’est gentil. Cela vaut bien un verre à la buvette de l’AN.
Pas plus que la concurrence, Le Monde ne signe pas : elles ou ils se sont peut-être relayé·e·s. Là de même la voix aurait été « régulièrement bloquée par l’émotion ». M’moui… J’ai dû rater des épisodes. Admettons. Le Monde fait état du cocasse « Allo Bernard ? » (d’Ayrault, auquel on ne sait qui a passé le combiné, après avoir composé le numéro de Cahuzac, et non pas celui de Cazeneuve). Pour moi, c’est un peu du remplissage, mais bon… En d’autres temps, je m’en serai aussi servi… Le « bouc émissaire idéal de toutes les turpides politiques » reste une source, pour des affaires ultérieures, le concernant ou non. Pas pour moi, donc, je me suis abstenu d’appuyer sur cette pédale (non, non… pas d’envie de faire du deux-roues en compagnie de Jérôme…).
Dommage que France-Soir n’existe plus. Du temps de Lazareff, on aurait eu droit à du pathos servi chaud. Par exemple sur la manière avec laquelle Cahuzac joint l’extrémité de ses doigts réunis. Non, non, ce n’est pas un signe secret maçonnique, du genre « À moi, les amis de la Veuve ». Cahuzac, à l’inverse de Hollande, ne soigne pas sa gestuelle.
Finalement, même si c’est partiel et partial, le choix de la photo Reuters par La Tribune, vachard, carrément impertinent (quoique… question pertinence… cela se discute), vaut vraiment le coup d’œil. Le plan est inutilement large (j’ai recadré). La coupe sous le menton, discutable, trop serrée (là, je ne peux rien faire : pas le temps de solliciter Reuters). Pas mal du tout, cette capture d’écran du tweet du permanent du Spiegel : « Cahuzac maîtrise toujours ce genre de politifrançais enseigné dans les universités d’élite qui vous permet de formuler élégamment sans rien dire ». C’est en anglais, mais j’adapte : les universités sont bien sûr de grandes écoles, et il s’agit du langage préfectoral. Franchement, hormis le placement des guillemets et l’absence d’italiques pour les citations authentiques, chapeau, La Tribune (ce n’est pas non plus signé, dommage). En plus, des liens hypertextes renvoient en interne ou externe. Sur la forme et le fond, c’est fort bien mené. Et c’est là… Je ne vous retiens pas : allez voir.
Charles de Courson, par après, a déclaré que Cahuzac avait menti, en pensée, en action et en omission. Bof… D’accord, « c’est quand même un peu bizarre qu’on reste pendant trois mois dans une situation et que personne ne se parle » (allusion à divers membres du gouvernement). Ben oui. Sauf que, quand même, tout cela relève un tantinet de la politique politicienne et que la bonne marche de l’État ne se réduit pas aux affaires ; il y a aussi les courantes, celles à traiter à moyen terme et long terme. On ne va pas se plaindre que les ministres ne se soient pas réunis en séances de crise sur séances de concertation sur le cas Cahuzac, en laissant les dossiers en souffrance.
Mardi prochain, la commission entendra Pierre Condamin-Gerbier, le lanceur d’alerte, sur le tard, de la banque Reyl. Personnage controversé, un tantinet affabulateur pour les uns, rancunier pour les autres, et parfaitement sincère pour les troisièmes. Va-t-il balancer d’autres noms ? J’en doute très, très fort. Pas plus que de la volonté de la commission de divulguer tous les noms des évadés fiscaux que détient Bercy. Ah, mânes de Saint-Just, de Fouquier-Tinville, de Bousquet, Papon, Jean-Edern Hallier… D’accord, c’est de l’humour de très mauvais goût. D’un autre côté, Cahuzac s’est retenu de traiter Plenel de corbeau. Belle retenue… Il le pensait très fort.