Le Brexit s’appliquera-t-il ? L’éventuel départ britannique a d’ores et déjà des répercussions pour les Suisses. Car l’UE semble ne pas vouloir transiger sur la libre circulation des personnes dans ses négociations avec la Confédération helvétique dont le terme doit intervenir en février prochain. De plus, l’ambassadeur étasunien au Royaume-Uni a levé quelques illusions : le lien privilégié subsiste, mais le Royaume-Uni pourra difficilement passer avant l’Union européenne dans les négociations commerciales en cours.
Si le prochain gouvernement britannique invoque l’article 50 du traité de Lisbonne dès le 10 septembre (la nomination de sa ou de son nouveau Premier ministre est prévue le 9), ou plus tard, si ce n’est jamais, le Brexit pèse déjà sur la Suisse. Négocier, pour le Royaume-Uni, s’étalerait sur deux ans (ou un peu moins, ou davantage), mais pour la Suisse, la date butoir est dans huit mois : février 2017.
Comme les pays de l’Espace économique européen (Norvège, Islande…) et d’autres pays tiers, la Suisse a obtenu des droits et souscrit des obligations découlant d’un accord avec l’UE. Ce dernier est de moindre portée : plus faible contribution au budget de l’UE, préférence nationale pour l’accès au marché du travail provisoirement maintenue. Mais la libre circulation des personnes est redevenue désormais le point crucial des négociations helvético-européennes qui se poursuivront cet été, avec pour échéance février 2017.
L’UE n’a guère envie d’offrir un argument aux Britanniques lors de futures négociations. Les Suisses vont tenter d’obtenir, comme l’a réussi le Royaume-Uni de David Cameron, une dérogation sur le versement différé des aides sociales aux ressortissants de l’UE ou de l’EEE. Mais la Suisse se trouve dans une position plus difficile encore : elle exporte près de 56 % de ses biens et services vers les pays de l’EEE. Un relèvement des droits de douane, s’ajoutant au renchérissement constant du franc suisse, plus que jamais valeur refuge après la chute de la livre, minerait l’économie helvète.
La position de l’UE face à la Suisse s’est déjà durcie après le référendum d’initiative populaire « contre l’immigration massive ». C’était en février 2014, et pratiquement du jour au lendemain, l’UE a supprimé ses aides à la recherche scientifique (de même aux chercheurs et entreprises innovantes suisses), sabré le programme Erasmus. Depuis, des arrangements sont certes intervenus, notamment parce que la Suisse, qui s’y refusait jusqu’alors, a concédé, début mars 2016, un accord permettant un libre accès à son marché du travail pour les Croates. Mais, ce dimanche dans The Guardian, les universitaires suisses ont lancé un avertissement à leurs homologues britanniques. Non seulement des programmes de recherches seront affectés, mais les universités peineront à attirer des étudiants étrangers, et les entreprises à embaucher les chercheurs dont elles ont besoin.
Un député écossais favorable au Brexit avait hasardé que les universités pourraient appliquer des droits de scolarité supérieurs aux actuels pour les étudiantes et étudiants étrangers de l’UE et des pays associés. Encore faudrait-il que les candidatures restent au même niveau. Non seulement on peut fortement en douter pour le premier cycle, mais encore davantage pour les études (post-) doctorales.
Car ne plus obtenir de bourses du Conseil européen de la Recherche ne représente pas qu’un manque à gagner immédiat. Le C.E.R. est aussi un atout de poids sur un cv.
L’autre avertissement de poids reçu par les Britanniques émane de l’ambassadeur des États-Unis à Londres. Certes, le lien privilégié entre les deux pays ne sera pas rompu. Mais si le Royaume-Uni espère précéder l’Union européenne pour la signature d’un accord transatlantique, il risque d’être fort déçu. Les É.-U. vont privilégier les négociations avec l’UE sur le Tafta.
De plus, ce dimanche, au forum économique d’Aix-en-Provence, Christine Lagarde, directrice du FMI, n’a pas mâché ses mots. Elle a suggéré que la sortie du Royaume-Uni était une chance pour l’Europe : « peut-être qu’il y a des choses qu’il faut envisager puisque les Britanniques ne vont pas s’asseoir à la table [commune aux 27]. ». Le Royaume-Uni, doté d’un veto, a bloqué nombre d’initiatives… Lors de ce forum, Pierre Moscovici, commissaire aux Affaires économiques, a de nouveau appelé à un renforcement du plan d’investissement européen et à la nomination d’un « ministre des Finances pour la zone euro ». De telles perspectives déplairont fortement à tout futur Premier ministre britannique, qui ne pourra sans doute plus s’y opposer (car s’il peut toujours user d’un veto tant que l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne n’est pas demandé, cela reste possible… au risque de pousser l’UE à dégainer l’article 7 sous un prétexte quelconque afin d’expulser le Royaume-Uni du club).
Les conservateurs britanniques continuent de jouer la montre pour retarder l’activation de l’article 50. Theresa May, la favorite pour le poste de Premier ministre, aurait pu devancer la date du 9 septembre pour accéder au 10 Downing Street. Il lui suffisait de céder à l’amicale pression de ses amis parlementaires qui s’activent pour obtenir que les concurrents se retirent. Certains l’ont déjà fait, en sa faveur. Mais Andrea Leadsom, qui pourrait reléguer Michael Gove au rang de figurant après le coup qu’il a porté à Boris Johnson, semble déterminée à rassembler les conservateurs réellement favorables au Brexit. Tout comme Theresa May, elle s’était opposée au Brexit, pour finir par s’y rallier. À présent, elle n’exclut plus, si jamais elle été désignée Premier ministre, d’associer l’Ukip aux négociations avec Bruxelles. Pour le Sunday Telegraph, elle a renchéri sur Theresa May : la réelle émule de Margaret Thatcher, ce sera elle, et non son adversaire. Cela peut aussi plaire à l’électorat de l’Ukip. Mais cela n’ébranle guère les députés et l’électorat conservateur : Theresa May conforte jour après jour sa position de favorite (six électeurs conservateurs sur dix lui seraient favorables, et la majorité des députés qui départagera les deux « finalistes » s’est déjà déclarée pour elle).
Mais qu’elle soit désignée Premier ministre ou non, qu’elle ravisse la place de négociatrice de pointe avec l’UE à Michael Gove ou non, elle pourra difficilement contenter l’Ukip si elle doit se prononcer sur la question des expatriés européens au Royaume-Uni et de leurs homologues britanniques dans l’UE.
Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise (SNP) veut obtenir des garanties pour les 173 000 ressortissants européens en Écosse. Ils sont près de trois millions au Royaume-Uni.
Pour les expatriés britanniques, qui, pour ceux le pouvant, ont déjà demandé en masse la nationalité irlandaise (au point de submerger les services irlandais), la tentation de la double nationalité est forte. La Belgique est aussi assaillie de demandes, les Verts et les sociaux-démocrates allemands ont appelé à une attribution automatique de la double nationalité aux expatriés britanniques partout en Europe. Cela pourrait aussi s’appliquer à de jeunes expatriés, étudiants en particulier, résidant depuis peu dans les pays de l’Union.
Même le seul député de l’Ukip, Douglas Carswell, a signé un appel pour que les ressortissants de l’UE actuellement établis au Royaume-Uni puissent bénéficier de fortes garanties (pour les suivants, ce serait à négocier).
Bref, les partisans du maintien se lamentent, ceux de la sortie de l’Union s’inquiètent vraiment enfin et les deux camps veulent arracher un maximum de concessions à Bruxelles. Qui avertit : tournez donc le regard vers la Suisse…
Tony Blair, dimanche soir sur Sky News, a laissé entendre que la volonté populaire britannique pourrait évoluer. Il préconise qu’avant de se confronter aux négociateurs de l’UE (qui s’y refusent tant que le Brexit ne sera pas acté), des délégués gouvernementaux fassent le tour des popotes des capitales européennes pour estimer « la marge de manœuvre ». Ils pourraient commencer par Berne…
Michael Gove serait-t-il aussi hâbleur que BoJo ? En tout cas, en dépit du fait qu’il ne rassemblerait que dix pour cent de l’électorat conservateur (moins encore si Leadsom le surpassait, comme elle semble le faire), Gove se la joue plus matamore encore que Boris Johnson.
Dans un entretien avec le Sunday Times de ce jour, il se targue de mettre au pas Vladimir Poutine. « Si je devais le rencontrer, il comprendra que je peux être tout ce qu’il imagine, mais pas un dégonflé ». Effectivement, en tant que ministre de l’Éducation, il s’était mis presque tout le monde à dos en se montrant intransigeant. Sauf qu’il avait dû changer de poste, plus contraint qu’autre chose (mais puisqu’il avait été recasé à la Justice, il avait su transiger avec ses convictions).