Alimentation : la rose a des épines, le kebab n’en a pas

Va-t-on en revenir à cuire des hérissons dans de l’argile, façon méchoui d’agnelet ? Quand j’étais second de patrouille aux Éclaireurs de France, nous y avions bien songé, mais sans réussir à coincer la moindre de ces bestioles. C’était histoire de dire aux parents, qui ne nous épargnaient pas le moindre vieux croûton rassi de pain en nous évoquant la guerre et les tickets d’alimentation, la débrouille pour obtenir de la viande, que, nous aussi, nous avions mangé du hérisson. Drôle de manière pour évoquer les suites du scandale de la viande de cheval, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer principalement le koumiss turc, le lait de jument fermenté… À propos, après les boulettes, ce sont les saucisses Ikea qui sont retirées des rayons. Heureusement qu’Ikea ne fait pas du koumiss, on risquerait de retrouver du lait d’beu dedans. 

D’habitude, quand je tiens un os à ronger, je ne le lâche que lorsqu’il n’y a plus rien à en tirer. Mais, là, avec le scandale de la viande de cheval, je jette l’éponge, et renonce – enfin, provisoirement – à me documenter.
Derniers trucs : Ikea, Panzani (de chez William Saurin via la Roumanie, Windmeijer et Draap Trading, puis Gel Alpes), j’en passe, et pas que des meilleures. Dans un domaine voisin, les bières de Budweiser auraient été coupées à l’eau, moins chère que l’urine de cheval. Et Ikea retire des saucisses de ses rayons.

Le pire scandale n’est pas là, mais dans les additifs des plats cuisinés, contenant des substances à doses isolément « convenables » mais dont on ignore tout des interactions : je ne sais trop si les dilutions homéopathiques constituent des placebos, comme l’estiment nombre de scientifiques…
Mais les mêmes considèrent que très faibles doses et très faibles doses combinées peuvent être détonantes pour la santé et la dégrader.

Or, de petites doses de médicaments combinées, on en retrouve dans la viande de cheval. Pour celle du hérisson de la rurbanité, je ne sais : c’est peut-être beaucoup plus important, vu ce qu’il peut se bouloter de déchets de nos foyers (sans compter les émanations de nos pots d’échappement qu’il respire).

À présent, Gel Alpes, qui avait le même fournisseur chyprio-néerlandais que Spanghero, refuse de nommer d’autres clients que William Saurin et Panzani : ils seraient au moins deux, rapporte l’AFP.

Bref, c’est comme le lait de vache qui, provenant de la même cuve, se fait emballer par des marques génériques et d’autres, plus chères, indifféremment…

Et les döner kebabs donc… La moitié de l’Europe et de la Turquie avale des kebabs allemands (plus grand fournisseur européen) au cheval, au porc, et peut-être quand même aux brebis et moutons de réforme. Les Turcs viennent de le découvrir… Effet bœuf.

Cela m’a permis de découvrir un très intéressant article d’Aylin Öney Tan dans Hurriyet. Cela m’a remémoré le laïus d’un guide d’Istanbul : « non, nous ne sommes pas des Arabes, nous ne parlons pas une variété de l’arabe, &c. ». Il faut croire que la majorité des touristes qu’il remorquait l’ignorait, tout comme le fait qu’en Turquie, comme en Estrémadure, l’hiver, il pèle. Pas frisquet, glacial. À seize ans, je m’étais lancé en routard tendant le pouce sur le trajet vers Katmandou (périple avorté à Qom et Ispahan), et je n’ose vous dire ce que j’avais pu avaler mais c’était plus convenable que le sabot de bœuf sauce arachide de Bouaké, plus tard. Truman Capote affectionnait les allitérations, moi, c’est les digressions, glissons…

Or donc, le Turc, le vrai, descendant des fiers guerriers des steppes d’Asie centrale, est censé boire du koumiss. Ou plutôt ce qui en tient lieu puisqu’il n’y a plus qu’un fournisseur de lait de jument frais, signale Alin Öney Tan. Tout fout le camp, de même que le cheval des assiettes, si ce n’est en kebabs. Le koumiss, le vrai, c’est du lait de jument fermenté : il m’étonnerait bien fort qu’il en soit ainsi dans le parisien Sentier turc (ou Petite Turquie).

Mais il ne m’étonnerait guère que chez l’ami Marmout (le nom de son établissement n’est pas mémorable, mais il jouxte l’école du Faubourg-Saint-Denis), et même au Kibélé (rue de l’Échiquier, bien plus classieux), du cheval ait fini, à l’insu du plein gré des patrons, dans mes assiettes.

Les « vrais » Turcs, ceux d’avant, faisaient griller leurs steaks de cheval au bout ferré du cirit (le javelot du cavalier) ou les mâchaient boucanés. Alors, pourquoi ne pas en garnir sucuk (saucisse), pastirma (viande sèchée) ou lahmacun (ou autre variante de « pizza » à la viande) ? 

La réponse est simple : même les janissaires de toutes provenances étaient supposés respecter les préceptes alimentaires et culinaires islamiques. Le cheval ayant été présumé haram pour ne pas heurter juifs et chrétiens arabes convertis de fraîche date à l’islam par Mahomet et consorts, c’est foutu…

À quoi cela tient ? C’est comme le poisson pas frais du tout qui a dû faire des ravages stomacaux ou pires chez nos aïeux contraints de faire maigre le vendredi et les jours de carême. Tandis que faire avaler à des Bretons que dans le sanglier ou le cochon, tout n’est pas bon, c’était mission apostolique impossible. Un apôtre oriental s’y serait cassé les dents.

Chez moi, idem pour les évangélistes du slow food. Le fast fooder que je demeure (hors logis inclus), sauf si c’est vraiment délicieux, délectable, considère que se nourrir est une perte de temps (de lecture, de conversation). On peut donc me faire avaler n’importe quoi (mais j’abhorre le hamburger autre que servi dans un pain traditionnel croustillant, quasiment introuvable) avec pour rare exception la brandade à la patate douce. Le sucre l’emporte trop sur le salé du bacalhau et encore davantage s’il est fresco. Même pour la commémoration de la Révolution des œillets, aucun bacalhoeiro ne m’en fera jamais plus avaler. Mais le bacalhau à Alsaciana (eh si, voir la recette sur le site de l’Acadamia do Bacalhau), parfait !

J’en suis à me demander si hors boudin blanc certifié de Rethel, du cheval ne s’est pas insinué un peu partout. Y compris dans le steak haché de bébé phoque. Peut-être pas dans les boulettes de poulet d’Ikea, mais à ce prix (39 kronor à Stockholm, plus de cinq euros), ils pourraient en mettre une lichette, j’estime.

« C’est de la merde ! », clamait Coffe. Voilà donc qu’à Oldenburg, on en trouve dans les œufs des poules censées être certifiées « bio ». 150 élevages du nord de l’Allemagne sont concernés. Une bonne cinquantaine dans trois autres États allemands, au Pays-Bas et en Belgique.

En Afrique du Sud, dans la viande bovine, on a trouvé de tout : âne, buffle, chèvre, &c.

Là, hier, au Portugal, près de 80 tonnes de préparations au bœuf saisies car contenant des viandes de chevaux et 19 000 retraits des rayons. Mais des trucs aux cochenilles, au sulfate d’ammonium, aux larves de moucherons, au dioxyde de silicone, de titanium, à la cellulose de bois, à l’azobisformamide, &c., on en conserve tout plein, tout plein en étals, et c’est parfaitement légal, il n’y a même pas tromperie d’étiquetage (sauf que tout cela peut se nommer diversement). Pas d’épine, ni de cactus, mais quelques os quand même dedans.

Il n’y a pas qu’en France que des Sarkozy ont taillé dans les budgets et les personnels des autorités contrôlant l’alimentation : en Écosse aussi où les contrôleurs chargés des viandes ont été remerciés à raison d’un sur deux et le budget de la FSA réduit encore une fois de dix pour cent.

En France, croyez-le bien fort, seule, unique en son genre, Spanghero est fautive. 

Vous allez voir que le scandale de la viande va servir de prétexte pour faire grimper tous les prix alimentaires. Déjà pour couvrir les dépenses publicitaires : chacun va vouloir clamer que, de tout temps ou à présent, il n’y a pas ou plus la moindre épine dedans.

Le plus cocasse est rapporté par le quotidien australien Curaçao Chronicle. Sur l’île de la convalescence (ou de la cure médicale, en portugais), sous le vent antillais, on a aussi trouvé de la viande de cheval (provenant peut-être des anciens colonisateurs néerlandais).

Je prédis un franc regain de succès à Food, Inc., le film américain de Robert Kenner, un documentaire à la Moore. Présenté à Deauville fin 2009, plus d’une dizaine de fois nominé, ayant emporté quatre trophées aux États-Unis ou au Canada, il laisse entendre que le secteur agroalimentaire vaut bien celui du tabac.

Bientôt, comme à Istanbul, le boucher du coin de la rue aura un écran, et une caméra branchée en permanence sur l’élevage qui le fournit. Cela ne présentera aucune réelle garantie, mais le prix du dispositif se répercutera sur les prix. Avec les dix firmes multinationales qui fournissent près du cinquième de l’alimentation globale, attendez-vous à une débauche de réclames, de spots, d’affiches, affichettes, placards, et messages sur les réseaux sociaux.

Vous allez aussi payer les contrôles exigés à présent par les pays importateurs. Le Qatar vient de décréter que tout produit carné provenant de l’Union européenne devra être certifié. Le Supreme Council of Health ne se contentera pas du certificat établi dans le pays d’origine. Cet émirat risque d’être fort rapidement imité par d’autres. La Russie, vient de découvrir des saucisses au cheval. Elle n’attendait que cela pour freiner ses importations de viandes. Cela tombe bien pour Poutine, les saucisses de porc incriminées venaient d’Autriche.

L’Alliance des unions de consommateurs suisses (italiens, romands, allemands) vient de porter plainte sans attendre les résultats des tests de l’Office fédéral de la santé publique (UFSP).  En Italie, c’est à présent la chaîne Eurochef qui retire ses Lasagne all’Emiliana. Les Italiens s’inquiètent maintenant pour le lait, les œufs, les poissons (du poisson gavé de Prozac, comme au Royaume-Uni, se demande-t-on).

La filiale espagnole de McDonald’s, qui assure n’avoir que du vacuno dans ses restaurants se félicite d’avoir aussi lancé 25 McCafé, des établissements du type Starbucks. Car même si la traçabilité est assurée, le hamburger commence à faire moins recette. En Espagne, c’est la marque La Cocinera, après Buitoni (Nestlé aussi) qui est désormais affectée par le scandale de la viande de cheval. Nestlé, dont le directeur de la filiale est Bernard Meunier, y a révélé le nom de son fournisseur, Servocar, sis à Casarrubios de Monte (près de Tolède). Servocar a protesté. Elle avait procédé à des contrôles volontaires sans rien déceler. Elle insiste aussi sur le fait qu’elle collabore de longue date avec les autorités sanitaires a n’a reçu aucun avertissement.

Veaux, vaches, cochons, couvées…

Mais où va donc aussi toute la viande de cheval mexicaine ? Les exportations mexicaines ont cru de plus de 40 % sur les onze premiers mois de l’année 2012. Premier importateur, la Russie, puis la Belgique et la Hollande, ensuite la Suisse, la France, le Japon et le Royaume-Uni. Comme les États-Unis n’abattent plus les chevaux depuis 2007, le Mexique en importe près de 60 000 de son voisin. Mais selon un responsable du ministère mexicain de l’Agriculture, il s’agirait surtout « de chevaux sauvages capturés en pleine nature ». Un peu comme ceux du delta du Danube, en Roumanie. Le Mexique abat plus 100 000 chevaux par an, soit le sixième du cheptel. C’est le troisième pays après les É.-U. et la Chine pour le nombre de chevaux
Déjà, entre 2003 et 2010, les exportations mexicaines avaient augmenté de 41 %. L’an dernier, en onze mois, 13 000 tonnes de res ont été exportées vers une vingtaine de pays.

Bref (si j’ose… après toutes ces tonnes et ces lignes), comme le titre Le Figaro (« Les supermarchés européens inondés de viande de cheval »), « Panzani, aussi ». Lequel Panzani est espagnol (groupe Ebro). En France, les contrôles vont s’étendre aux poissons après le scandale des substitutions d’appellations et d’espèces aux États-Unis. Oui, mais sous le quinquennat Sarkozy, le nombre des inspecteurs et contrôleurs avait été réduit de 16 %.

Sciences & Avenir révèle à présent qu’il y avait aussi du porc dans le cheval du bœuf irlandais. Car 23 des 27 steaks analysés contenaient du cochon. Le contrôle aurait découlé d’une opération de routine, assure-t-on.

Serge Papin, patron de Système U, pour BFMTV, a critiqué la Loi de modernisation de l’économie (LME) portée par Christine Lagarde du temps de Sarkozy : « c’est la loi du plus fort (…) elle a tous les travers de la mondialisation », afin de favoriser les multinationales. Nicolas Sarkozy avait été reçu royalement au Mexique.

Chassez le trafiqué…

Et le koumiss, koumys, aïrag, vin de lait, &c., dans tout cela ? Eh bien, il est aussi produit dans le Bitcherland (près de Bitche) français, dans le parc naturel des Vosges du Nord. Une jumenterie avec des haflingers tyroliennes sont traites à partir de trois mois après la naissance des poulains. Environ 32 juments mettent bas chaque année. Aucun poulain ne va directement à l’abattoir… Petit ennui, le koumiss est lyophilisé, vendu en gélules pour… plus de 40 euros la boîte de 45.
Le faire soi-même en laissant fermenter le lait ? Près de 50 euros… le litre (188 € pour une « cure de quinze jours en étuis de 250 ml »). Il faut croire que le naturel a un prix.
Allez, les boulettes, les raviolis, les lasagnes, &c., surgelées ou en conserves, ont encore un bel avenir… à pied, à cheval, ou en voiture depuis le super ou l’hypermarché. Les plats cuisinés ne vont pas tarder à revenir au galop !

La société suisse Rivelta, l’éleveur pyrénéen Jacques Balesta, d’autres producteurs en proposent. Mais cher. Pour trouver du koumis embouteillé, allez voir du côté d’une épicerie bulgare (Baï Ganio à Paris, enseigne au nom de haiduk – bandit – roumain, rue des… Petites-Écuries) ou russe. Vous devriez trouver du koumis en bouteille (aussi dans des épiceries turques, mais le plus souvent au lait de vache). Sachez simplement que je ne saurais vous garantir qu’au lait de jument n’a pas été ajouté d’autre lait (pas de truie, que je sache, cependant).

Ah oui, au fait, aux dernières nouvelles, Ikea retire à présent des saucisses style hot dog ou « wiener » de ses magasins. Tous les magasins pourraient être touchés de par le monde. Les retraits ont débuté ce jour en Grande-Bretagne. Le fournisseur serait aussi suédois.

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Alimentation : la rose a des épines, le kebab n’en a pas »

  1. Au cas où vous n’auriez pas compris : on nous fait bouffer de la merde, avec des tas des substances nocives combinées entre elles, et les gouvernements, à la solde des banques et des industriels, sont complices (voire stipendiés, touchant des bénéfices induits).
    C’est plus clair ainsi ?

  2. vous confondez l’élevage industriel et la faune sauvage (hérisson)

    Le hérisson est une espèce protégée depuis 1981 ce qui interdit sa destruction, capture ou transport.

  3. Pour Paloma :
    Hmm… pour le hérisson, je ne savais pas que c’était une espèce protégée (depuis plus de trois décennies, donc), mais c’était plutôt une métaphore.
    Cela étant, l’élevage n’est pas qu’industriel. Ainsi des sangliers.
    Merci de la précision en tout cas.

    Europe 1 a retrouvé Rémi Arnauld de Sartre, PDG de Toupnot, une entreprise de Lourdes, qui a continué de se fournir auprès de Draap Trading. Draap présentait l’avantage de fournir des quantités importantes. La société dispose encore de 200 tonnes de viande de cheval dans un entrepôt aux Pays-Bas.

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