Je répugne très fortement à pomper Mediapart, mais en écho à mon récent article en rubrique politique (intitulé « Un coup pour rien ? »), je serais fort tenté de reproduire mot à mot l’article fort éclairant « Cahuzac et Giscard, une bruyante stéréo » du très talentueux Antoine Perraud…
Même « coup du mépris », relève cet ancien de France Culture et de Télérama formé à la presse anglophone et auteur de La Barbarie journalistique. Je vais me contenter de plagier : qu’il le considère tel un hommage sans doute plus sincère que la révérence de J. Cahuzac à l’opposition.

Tribune libre. Comme l’intitulé de la rubrique l’indique, il s’agit de libres propos. Pour un décryptage des derniers en date de Jérôme Cahuzac, reportez-vous plutôt à « Mediapart contre Cahuzac : un coup pour rien ? ». L’article d’Antoine Perraud, dont l’envoi est une citation d’un poète trop peu présent dans les anthologies, Maurice Rollinat († 1903) – ah, que cela rafraîchit, de telles entrées en matière – s’apparente aussi à la tribune, à l’éditorial.

Revenant sur l’intervention de Jérôme Cahuzac sur Europe nº 1, ce dimanche matin, A. Perraud revient sur cette phrase-clef : l’important commande et il convient de « s’efforcer de ne pas passer trop de temps sur le vulgaire et l’accessoire. ». L’enfer est dans les détails, l’accessoire, et sans entrer dans ces considérations, ce dont presque toute la presse ne lui a pas tenu rigueur, le ministre a réfuté en bloc et en détail son histoire de présumé compte en Suisse transféré à Singapour.
Que l’on souffre que je sois ici grossier, davantage que vulgaire (ou l’inverse, ce sera selon).

En novembre 1979, cornaqué par un Jean-Pierre Elkabbach dans le rôle du clown blanc inspirant la réplique, VGE (dit d’Estaing), à propos de l’histoire des diamants de Bokassa, révélée par Le Canard enchaîné, avait eu ce mot : « il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison ». Fort bien envoyé ; Perraud paraphrase et développe :
« La curée me renforce (). Mon silence altier de patricien romain sous les outrages signale ma puissance muette. Je suis aux affaires, géant confronté aux altissimes défis, tandis que les nains clabaudent sur telle affaire supposée, prétendue, agitée, infondée, inventée. ».
Désolé, j’aurais pu le tourner autrement, histoire de ne pas pomper intégralement (employant sommitales provocations) mais ce simiesque (voire cimmérien) exercice eut été dérisoire.

Le « crédit de compétence » évoqué à l’époque par Bernard Rideau, le spin doctor avant l’heure de VGE, est donc repris à son compte par J. Cahuzac.

Si les coups tordus des chiraquiens n’avaient contrecarré l’ambition, « si la loyauté mafieuse avait fonctionné », les médias auraient gobé l’argumentation, poursuit A. Perraud. 

Conclusion : « Est-il seulement possible, chuchotent avec constance les sommets embourbés, que notre façon si moderne, si étudiée, si millimétrée, de conduire les affaires publiques (antonyme tant elles sont aussi privées !), se heurte à un contre-pouvoir doublement ringard : le journalisme indépendant et démocratique ?.. ». C’est bien là toute la question.

Là où le raisonnement pêche, c’est que ce journalisme là, fort peu incarné par ceux qui craignent le chômage, les brimades, ou la stagnation de leur carrière décidés par les patrons de presse, ressurgit peut-être trop tard. En tout cas, pour l’instant, je le constate (ailleurs que dans les commentaires des articles sur la question de Mediapart, de quelques rares sites de titres divers, et encore sont-elles quasi-minoritaires, ces réactions parfois rageuses du lectorat), l’opinion ne suit guère. 

Cahuzac-Armstrong, même combat ? Coups pour rien que les articles jetant la suspicion sur le coureur cycliste ? La presse est certes un relai d’opinion, mais non point un chef de file, et Edwy Plenel, sauf peut-être s’il se ralliait des partisans en quête de postes après un succès électif, n’a rien d’un Jaurès. Lequel alimentait certes sa tribune de La Dépêche de Toulouse, mais, bien qu’adjoint au maire local, ancien député, eut bien besoin de l’appui de Clémenceau lors des grèves des mineurs de Carmaux (par la suite, le « Tigre » devint briseur de grèves).

A. Perraud se fourvoie – peut-être, car je ne saurais l’établir – car il n’a pas pris l’entière mesure de la composition actuelle de la classe politique. Pierre Bérégovoy était certes issu de milieux populaires, mais c’était lointain, et même Premier ministre, il jouait un second rôle. Ce fut pratiquement, après René Monory (ancien apprenti garagiste, mais dans l’atelier de son père, qui n’était point crève-la-faim), voire Jean-Marie Le Pen (fils d’un patron pêcheur pas trop désargenté), l’un des seuls méritocrates d’influence.

Quant à l’endogamie de la classe médiatique, souvent très (trop) proche des pouvoirs (industriels, financiers, politiques, autres), on gagnera à relire Edwy Plenel et sa tribune du Monde diplomatique, « Le faux procès du journalisme ».
J’en extrais : «  Le journalisme reflète l’idéologie dominante du moment. Mieux encore : que ce n’est pas sur lui qu’il faut compter pour bouleverser l’ordre des choses, mais sur le mouvement réel de la société. Grande découverte ! Et après ? En quoi cette démonstration aux allures de condamnation nous aide-t-elle à penser le journalisme ? À définir les conditions de son utilité sociale et démocratique ? À réfléchir à une pratique citoyenne du métier ? ». C’est évidemment à replacer dans le contexte (toujours en libre accès).

E. Plenel, voici 16 ans (fév. 1998), ne réfutait pas la primauté du mouvement réel de la société. Qu’en dirait-il aujourd’hui, au moment où on ne sait plus trop si la presse dominante précède, avec l’affaire Cahuzac, ou suit une opinion lassée, peut-être, dont une partie considère que la cause (de Mediapart, de J. Cahuzac) est entendue, et que rien n’y fera… Tant bien même cette opinion resterait-elle friande des péripéties (c’est à mon sens encore le cas), qu’en résultera-t-il ?

Voyez Bernard Tapie devenu patron de presse grâce au bon vouloir d’un contribuable qui, certes, renâcle, ronchonne, mais à tout gobé : son excellence proclamée quand la presse l’encensait majoritairement, son ignominie quand la même a compris qu’il n’était plus en cour, en attendant qu’elle sanctionne son retour en grâce.

VGE, Armstrong, Tapie… Il est tant et tant d’autres exemples…

J. Cahuzac a évoqué la confondante vulgarité de la presse (ou des réseaux sociaux ?) : « Je me refuse, au gré des articles plus ou moins bien documentés, plus ou moins bien écrits, plus ou moins vulgaires – certains sont d’une vulgarité confondante –, je me refuse à danser au rythme de ces articles-là. ». Ou stupéfiante.
La grossièreté engourdissante, voire euphorisante, parfois, avec laquelle nous sont vendus (puis soldés) des VGE (et successeurs), des sportifs, des actrices ou acteurs, des capitaines d’industrie, &c., me paraît encore davantage incitatrice à ne pas me livrer au tango. Mais avec Antoine Perraud, quelques pas d’an dro – ou plutôt de dañs plinn – ne me semblent pas incongrus.

Nous devons gober, de la part de Gérard Depardieu, « ceux qui disent du mal du président Poutine ne sont jamais sortis de chez eux ». Prière de l’admettre, même si vous fréquentez celle des autochtones résidant en Russie comme celle de la diaspora (plus largement, celle de l’émigration ex-soviétique, ou celle qui subsiste des descendants de l’ex-tsariste). Gobons donc encore les bonnes paroles de Valéry Giscard, et de ses émules… 

P.-S. – Voilà que Mediapart nous annonce une enquête en six volets sur l’origine de la fortune de Xavier Niel, de Free. Bientôt, ils vont nous refaire aussi le coup de l’opération Pièces jaunes ? C’est quoi cet acharnement antiriches (eh, je n’ai pas du tout écrit « escrocs » ; tout est très certainement légal). 😉