Sur sur les plateaux de télévision et dans les studios d’enregistrement, Edwy Plenel avait laissé sa rédaction traiter de l’affaire Cahuzac sans prendre la plume sur Mediapart. Cette fois, il ne prend plus de gants. « Nous assistons à la prise en otage d’une majorité, d’un gouvernement et d’un président de la République par le combat personnel d’un homme contre une information qu’il nie alors qu’il sait, pertinemment, qu’elle est vraie. ». Diantre ! Justifiant la position de son titre, au terme d’une enquête de plusieurs mois, il enfonce le clou, avec une allusion implicite à l’affaire Lamblin : le montant du compte en Suisse « ne provenait pas d’un héritage, et par conséquent la question de l’origine des fonds qui l’ont alimenté reste entière ». « Beurk ! » répond Élizabeth Lévy dans Causeur : cette chasse au dahut Cahuzac est indécente, et les moyens employés par Mediapart, dégoûtants, auraient du faire « hurler la profession ».

Mediapart, outre ce qu’il a déjà pu publier sur l’existence présumée d’un compte en Suisse de Jérôme Cahuzac (voir nos précédents articles), détiendrait « la date précise » de la clôture du compte, « au tout début de l’année 2010 ». En fait d’élément nouveau, c’est peu.

Et la photo de Cahuzac ouvrant son compte ?
Eh oui. Faisons-nous l’avocat du diable, en parfaite mauvaise foi, pour traiter de ce nouvel élément totalement hors contexte, en faisant fi de tous les autres éléments. Marc D., gestionnaire d’un compte à l’UBS, passé à Singapour (et Marc D. et le compte, selon Paris-Match) qui pourrait être attribué à un certain Cahuzac (Jérôme, vraiment ? après tout, dans l’affaire Clearstream II, le nom de Sarkozy avait pu, un temps, désigner tout autant un certain Pal qu’un Nicolas, et des Sarkozy, ou Sarközy, il en est d’autres), constate la fermeture du dit compte. Et alors, s’il y avait erreur sur la personne ?

Mais l’essentiel n’est pas – ou plus – tout à fait là. Il est effectivement étonnant de voir Apathie se dire convaincu de la véracité, de la totale crédibilité de Mediapart, accusant implicitement le titre de ne pas réclamer assez fort la démission du ministre, tandis que nombre d’autres commentateurs font le procès d’une rédaction. On en serait presque au point où faute de pouvoir produire une photo de Cahuzac signée par deux témoins au moment d’ouvrir son compte (s’il existe, s’il existe), Mediapart aurait bafoué toutes les règles de la profession.

Là, Edwy Plenel, qui ne les nomme pas, dérape en ne précisant pas trop de qui il peut s’agir :
« Des preuves, des preuves, des preuves ! ne cesse de réclamer à Mediapart une meute inspirée par les mêmes mercenaires de la communication qui entourent, sous la droite comme sous la gauche, les milieux où se croisent pouvoir politique et intérêt financier. ». Mais, c’est quasiment du Denis Robert ! Lequel s’est vu opposer le même traitement. Peut-être aussi parce que celles et ceux qui ont lâché Denis Robert avaient le même réflexe : « la vérité leur fait peur ».
Mais, comme la fort bien démontré Edwy Plenel lors de l’affaire Clearstream I, toutes celles, tous ceux qui s’étaient montrés circonspects ne faisaient pas partie d’une « meute » et savaient aussi à quoi s’en tenir, au moins confusément, sur les « mercenaires de la communication ». Les journalistes de Sud-Ouest, que vante implicitement Edwy Plenel, ont certes conforté l’enquête de Mediapart, mais, que l’on sache, l’édito de soutien explicite, formel, confraternel, se fait encore attendre.

Justement, Sud-Ouest revient sur l’affaire ce jour. Michel Gonelle (UMP) dément être le détenteur initial de l’enregistrement : « je n’ai absolument rien à voir avec cette affaire ». Avocat et conseil de l’ancien inspecteur des impôts Rémy Garnier, Michel Gonelle « conteste la version de Mediapart [le] présentant comme une possible source de l’enregistrement diffusé par ce media ». C’est assez peu élégant car il n’a sauté aux yeux de personne que Mediapart aurait insidieusement orienté son lectorat vers cette voie.
Mais Sud-Ouest le laisse s’exprimer, sans le forcer à donner des précisions, à étayer cette semi-accusation. Eh oui, c’est ainsi : Gonelle est une source encore durable de Sud-Ouest, pour d’autres affaires, nul besoin de le cuisiner outre mesure.

Arrangements entre adversaires

Ce qui n’empêche pas Sud-Ouest d’estimer que Cahuzac s’est retrouvé candidat PS aux législatives de Villeneuve « avec la quasi-bénédiction du maire RPR », soit Gonelle, qui « veut un candidat PS fort (…) pour tuer l’UDF », les centristes d’alors. Comme le dit Plenel, on ne veut pas voir parfois la réalité, soit les tractations en sous-main entre adversaires (tu m’envoies un tocard contre moi, je t’expédie un nullos contre toi aux prochaines élections) et les luttes fratricides entre supposés alliés (UDF et RPR étaient loin d’être partout à couteaux tirés, et tiens, récemment, hier, dans le Val-de-Marne, l’UMP soutenait plus ou moins un candidat UDI alors qu’un UMP se présentait contre lui).

Que voulez-vous, parfois, trop souvent, la presse, sans céder aux sirènes des « mercenaires de la communication » en est parfois réduite à laisser le lectorat lire entre ses lignes, à laisser entendre ou supputer, sans trop s’avancer. Avis aux médialogues et journalistes impétrants des écoles, allez donc fouiner dans les archives de Sud-Ouest de l’époque : je parierai presque que ces choses-là n’ont pas été aussi clairement dites qu’à présent que Michel Gonelle n’est plus maire. Mais je suis prêt à rectifier s’il m’était prouvé le contraire.

Si cet épisode ne vous évoque pas les aménités croisées de Woerth et Cahuzac, c’est que vous êtes mûrs pour vous abonner à Causeur (voir infra).

E. Plenel enfonce encore le clou. La procédure en diffamation ? « Elle nous promet un procès dans un ou deux ans, s’il a lieu (…) pas d’enquête sur le fond, juste de la procédure (…) détournement de procédure qui fait de cette contre-attaque judiciaire un simple pare-feu de communication. ».

Démocratie malade

Bon, on a compris, Mediapart est sûr de son fait. Le reste de la presse doit feindre de laisser planer une dose de doute, pour de multiples raisons. Serait-ce que s’aliéner Jérôme Cahuzac, que de l’attaquer frontalement, exposerait à se voir soupçonné de jusqu’au-boutisme, de jouer au justicier, de se croire encore à l’époque des Albert Londres ou des Joseph Pultizer ? Comme l’exprimait hier Marcel Amont, mieux vaut être « has been » que « has never been », mais pas vraiment dans la presse. Pour durer et bien passer entre les gouttes, mieux vaut n’avoir jamais été, ou avoir été en sachant se faire pardonner…

J’ai moi-même usé (parfois abusé) de l’argument éculé selon lequel se faire attaquer sur sa droite, sa gauche, par devant, par derrière, &c., est une preuve d’indépendance. C’est assez faible. Edwy Plenel a recours à ce passage quasi-obligé de l’argumentation ; mais, en fait, indépendance et absence de parti-pris ne sont pas toujours synonymes.

Plus intéressant est ce qu’Edwy Plenel révèle du positionnement éditorial de Mediapart, qu’on devinait en consultant régulièrement, sur le site, les dénonciations du dénuement, de l’extrême pauvreté, et les exposés sur les moyens, utopiques en l’état des choses ou non, de réduire la « fracture sociale » à défaut de rêver au Grand Soir.

L’attitude de Jérôme Cahuzac, et d’une large partie de la caste politique, de droite, de gauche, &c. (tiens, au fait, Mélenchon observe tellement de recul sur cette affaire qu’il s’abstient totalement d’y mettre son grain de sel), serait, pour Edwy Plenel, un déni de démocratie.

Il aurait fallu « soit que le principal intéressé reconnaisse les faits et s’en excuse, avant d’en tirer les conséquences pour son poste gouvernemental » (mais non forcément démissionner), « soit que le Premier ministre décide de s’en séparer » (faute d’acte de contrition sincère de l’intéressé). Sinon, le gouvernement prête le flanc au sentiment qu’il serait « solidaire des actes qui font l’objet du débat. ».

Mediapart « misérabiliste »

Plus intéressante encore est cette considération : « ce qui se confirme à cette occasion, c’est la place centrale prise par l’argent privé dans la vie publique, au détriment de l’intérêt général. ». Car, aussi, « la communication des puissants l’emporte sur l’information des citoyens, dans une spirale de dépolitisation dont l’esprit public est la première victime. ».

C’est là qu’intervient la référence à Pulitzer qui soulignait constamment « le mal causé aux pauvres par l’avidité des riches ». Un peu comme le faisait le Libération de Serge July avant que ce dernier se sente, de par ses revenus, ses habitudes, ses fréquentations, son train de vie, que n’avait pas trop fort à lui envier E. Plenel au Monde, puis-je estimer, largement enclin à cesser de tomber dans le « misérabilisme&bnsp;» forcément « populiste ».

« Faisons en sorte de ne jamais avoir, à Washington, un gouvernement qui s’appuie sur des millionnaires et qui ignore la volonté de millions d’hommes et de femmes, » écrivait Pulitzer. La suite l’aurait beaucoup déçu, tant à Paris, Londres, Berlin, qu’à Washington et… Moscou ou Pékin.

Mediapart, rempart contre « la ploutocratie », ne vit pas sur un grand pied, ne peut mener grand train. « Faut-il que notre démocratie soit affaiblie pour qu’un journal fidèle à cet idéal soit vu, au choix, comme une menace ou comme une exception. ». C’est la conclusion d’E. Plenel. Rien de vraiment nouveau pourtant sous le soleil.  

Mais c’est rafraîchissant de lire ce type de prose ailleurs que dans Politis, pour ne citer qu’un titre.

Solution simple ?

Hormis Sud-Ouest, forcément cauteleux sans trop recourir aux conditionnels de circonstance, peu de titres sont venus conforter, ne serait-ce qu’à la marge, Mediapart. Exception faite, pour le plus notoirement dubitatif quant aux dénégations du ministre, de Lyon Capitale. Didier Maïsto y développe l’argument que l’accord de Berne permettrait à Ayrault ou à Moscovici de demander à un homologue suisse de dire « si le citoyen Cahuzac a, oui ou non, détenu un compte à l’UBS. ». Ce qu’aurait pu d’ailleurs faire Cahuzac lui-même, en le demandant officiellement, ou de manière privée, directement à l’UBS. 

Le Temps (.ch) avait aussi titré : « Une solution : délier l’UBS du secret bancaire ». Alexis Favre avait contacté les services du ministre français du Budget qui « n’ont pas non plus été en mesure de répondre à la question ». Conclusion de l’article sur une citation d’un banquier X qui pourrait être d’UBS : « si Jérôme Cahuzac avait adressé une telle demande à la banque, je vous garantis que cela se saurait déjà. ». Rue89 avait embrayé…

Solution simple ou simpliste, illusoire ? On verra… L’argument fait son petit chemin. L’Express s’inscrit en faux, citant un « spécialiste du droit suisse qui souhaite garder l’anonymat », lequel considère que « le secret bancaire n’est pas là pour protéger l’intéressé ». Alexis Favre, de l’helvète Le Temps, aurait donc tout faux.

À l’inverse, nous avons l’ami Luc Rosenzweig (ancien du Monde, que j’avais amicalement fréquenté un temps, et que je salue au passage) dans Causeur. Lequel conclut : « si Jérôme Cahuzac est un menteur, mettons que je n’ai rien dit ». Salutaire prudence après avoir employé « calomniateurs », « corbeaux à carte de presse », « sbires d’Edwy Plenel », « petit jeu de massacre à sens unique ». Je tiens à préciser que Luc n’était nullement chauve lorsque nous fîmes connaissance et que je ne le soupçonne absolument pas d’avoir eu besoin de ristourne pour des implants capillaires. Mettons que « on peut le voir comme cela » (la voir, cette affaire Cahuzac, ou affaire Mediapart).

Pourvu qu’on tire d’autres coups…

Élisabeth Lévy, du même Causeur, va beaucoup plus loin. « Peu m’importe, comme citoyenne et comme journaliste, que ce compte ait ou non existé. ». Qu’il puisse exister encore à Singapour, c’est idem ?
« On croyait être allé assez loin dans la dégueulasserie avec l’espionnage de Liliane Bettencourt par son majordome (…) avec le document sonore diffusé par Mediapart, on franchit une étape dans l’ignominie sous couvert de transparence. ». Conclusion : « parfois, l’ignorance est un droit de l’homme ! ».
C’est admissible : perso, en tant que citoyen et journaliste, les ballets bleus, les ballets roses, Dutroux, Saville, cela m’en touche une sans remuer l’autre, n’est-il pas ? En tant que grand-père, euh…
En tant que journaliste et citoyen, le crash boursier d’Eurotunnel, hein ! En tant que tout petit actionnaire ayant placé du pognon « Méhaignerie » dans l’affaire, histoire de bénéficier d’une ristourne fiscale légale quand j’avais encore un salaire convenable, euh…
Vous voyez où je veux en venir. À mon populisme crasse, de très bas étage, qui fait que je préférerais des radars préventifs que punitifs pour pallier le manque à gagner du fisc du fait de l’évasion fiscale. Honte, honte, honte sur moi ! L’important, c’est de tirer son coup, qu’importe la vérole !

Mais, c’est vrai : finalement, sans presse, on serait sans doute plus serein. Cocus complaisants, ne voulant rien savoir, rien entendre. Tenez, l’Holocauste, la Shoah, on nous a bassiné avec tout cela et on en serait venu à éprouver on ne sait quelle mauvaise conscience, inutilement, n’est-il point, Chère Élisabeth ? Staline, Hitler, Franco, Pol Pot… chacun ses soucis, chacun dans son pré, les vaches seront bien gardées !

Je propose d’ailleurs d’aller beaucoup plus loin. Pour la cohésion gouvernementale, il conviendrait que tous les ministres logent au même endroit, par exemple dans un petit village de Belgique, proche de la frontière, où Gérard Depardieu vient d’élire domicile. Un héliport, et hop, ils se rassembleraient pour embarquer (en rangs par deux, pas de retardataire), le Premier ministre comptant les troupes et réceptionnant les mots d’absence. Pour éviter de telles regrettables affaires, tout ministre serait exonéré d’impôt et obtiendrait le remboursement de la TVA.

Circulez, rien à voir…

Mais trêve de billevesées. Ainsi donc, en France, deux conceptions apparemment opposées du journalisme subsisteraient, avec des nuances, puisque, à son tour, Paris-Match conclut : « Jérôme Cahuzac n’a pas lancé les procédures qui le laveraient de tout soupçon : demander à UBS d’attester qu’il n’a jamais possédé de compte dans leur établissement (…) réclamer une vraie enquête judiciaire permettant de dire si cette affaire est, oui ou non, une manipulation politique. »
Et non « médiatique », soulignerai-je.

Mais du côté de Causeur, qu’il y aurait pu avoir une manipulation politique (ou financière, ou d’intérêts divers activant Mediapart, ce dont Edwy Plenel se défend en soutenant que l’histoire n’a pas été versée toute chaude sur son bureau), ou non, qu’importe ? Ce serait trop « beurk ! » de s’y attarder ?

« Comme à Causeur, nous aimons la polémique, la politique et la France, nous préfèrerions que l’affrontement entre les camps qui se disputent nos suffrages ait aussi un peu l’allure d’une bataille d’idées, » écrivait Élizabeth Lévy.

Mais pourquoi donc ? N’y a-t-il pas mieux à faire ? Et puis, à quoi cela sert-il ? Et pourquoi donc voter ? Lire, même ! Débattre ? Quel intérêt ? Tiens, si c’est pour qu’ensuite, ils risquent de lire Mediapart ou Causeur, autant ne pas apprendre à lire à ses enfants !

Vite, un Mediapart de déférence !

Tiens, au fait, pourquoi donc lire Didier Le Menestrel, de la Financière de l’Échiquier, le gestionnaire de la fortune de Jérôme Cahuzac (selon sa déclaration d’intérêts) ?

Lequel gestionnaire, dans un éditorial, résumait : « Le contribuable, comme le prisonnier, ne cherche qu’à minimiser sa peine maximale en fonction de la règle imposée. Surtaxer tel ou tel type de revenu entraînera donc l’érosion brutale dudit revenu en fonction de l’adaptation des “victimes”. Ce faisant, l’État n’aura fait qu’augmenter la sanction individuelle tout en réduisant l’intérêt collectif. ».
Surtaxer ? Pourquoi ne pas tout simplement éviter de taxer ?

Mais bof, pourquoi donc se poser des questions de la sorte ? Un Cahuzac remplace un Woerth qui sera remplacé par un autre Cahuzac qui sera… Mediapart ne le présente évidemment pas ainsi. Mais au final, c’est presque l’argument de Causeur : pourquoi donc chercher des poux dans la tête des uns ou des autres ? Autant plutôt s’attarder à la coupe de leurs costumes, au luisant de leurs chaussures, et encore, si on a du temps à perdre.
Mais sans acharnement, hein ! Ce serait déplacé et « le plus dégoûtant, c’est que les moyens employés par Mediapart n’aient pas fait hurler la profession. ». Il fallait poser poliment la question à J. Cahuzac et se satisfaire de sa réponse, en s’excusant d’avoir osé le déranger.