Communication de crise
Voyez un peu comment une partie de la presse britannique traite des sommets européens, des mouvements des marchés, des communiqués des agences de notation. C’est de l’instantané, du direct, du live, tout au long de la journée. Tout s’emmêle, la hiérarchie de l’info ne dépendant que de l’immédiateté. C’est aussi une multiplication des « à côtés » que les chroniqueurs insèrent, les estimant significatifs. Aujourd’hui, à l’instant d’écrire ces lignes, la Hongrie relègue Lagarde, dépassée par Fitch Ratings, les taux à dix ans, &c. Les chiffres et ratios du Portugal succèdent à ceux du Footsie, du Dax, et d’autres indices boursiers. À quelques heures ou minutes près, des politiques nous disent tout et son contraire, de même que « les marchés », les réels décideurs, de fait.
En fin de journée, les spécialistes découpent, organisent. Le spécialisé bourse fait de la bourse, le correspondant à Bruxelles fait de la politique européenne, celui des affaires intérieures du national, et quelques éditorialistes, selon le principe voulant qu’un seul angle doit dominer, qu’un seul message doit passer, font de l’éditorial. Ce qui se conçoit bien s’énonce de plus en plus clairement et se comprend, sur l’instant, assez aisément… Jusqu’au lendemain, où tout change… tout est chamboulé.
Rendre cohérent
C’est en fait au lectorat de se fonder, si ce n’est une opinion, du moins une impression. En général, le lectorat tend à se conforter dans une opinion, une perception préexistante aux événements ou évolutions. Nous n’aimons guère renier ce que nous avons admis, nous contredire, évoluer.
La presse fait de plus en plus songer à ce que considérait Emma Goldman en 1940 : « L’État, le gouvernement, quels qu’en soient la forme, le caractère, qu’il soit autoritaire ou constitutionnel, monarchique ou républicain fasciste, nazi ou bolchevik, est de par sa nature même conservateur, statique, intolérant et opposé au changement. S’il évolue parfois positivement c’est que, soumis à des pressions suffisamment fortes, il est obligé d’opérer le changement qu’on lui impose, pacifiquement parfois, brutalement le plus souvent… ». Remplacez État par presse… ou analyse économique.
Or, l’information est devenue un tel patchwork que la classifier, l’organiser, de manière si rigoureuse, revient à créer une fiction, une falsification ad hoc du réel. Qui saurait encore vraiment expliquer les mouvements de capitaux, sinon de manière fort parcellaire, voire orientée ?
Mais quand « les experts » sont dans le pot au noir, ils agissent trop souvent tels des commandants de bord dans la plus épouvantable tempête : il faut prendre une option, faire croire à l’équipage qu’il découle d’une expérience (souvent inexistante), d’un raisonnement. La presse devrait relire Conrad…
Un peuple, une nation, n’est pas un équipage, un ensemble hiérarchisé qui réagit aux ordres venus de la passerelle. Rendre cohérent, c’est d’abord confronter. Par nature, la presse privilégie la synthèse, parfois au point de se passer de l’analyse approfondie. Jusqu’au lendemain ou surlendemain ou à jamais, l’analyse superficielle suffit pour sortir un produit… aisément assimilable.
Évacuer la contradiction
En s’infantilisant ainsi, la presse finit par infantiliser le lectorat. La contradiction s’organise en pour ou contre (un éditorial pour, un autre contre, voire, quand même, un indécis, forcément moins attractif, généralement passe-partout).
Au contraire, peut-être conviendrait-il d’en revenir, mais non inclusivement et non exclusivement, soit, aussi, à d’autres formes d’appréhension, de manières, non de voir, mais de faire… pressentir.
Ah, m’objectera-t-on, le format (pour ne pas dire crûment le formatage) ne le permet pas ? Tiens donc. Affranchie en partie du support papier, la presse ne pourrait-elle en revenir à ce qui faisait l’attrait des chroniques d’un Éric Blair (G. Orwell) ? C’était long, avec des revirements, des changements de perspective, des incidentes et d’insolites rapprochements ou apparentements.
Blair-Orwell ne répugnait pas à inclure de longues citations (par ex., dans Editorial to Polemic, où il est question tant de Pouchkine que d’économie politique, sur près de huit pages de mon édition Penguin, et c’est écrit petit), à faire partager sa perplexité, à s’apostropher lui-même, s’interroger, se remettre en question. Il réussissait surtout à donner le goût de s’informer davantage, ailleurs, et à retourner aux sources, aux fondamentaux.
Mais qui a fait la poule ou l’œuf ? Je ne sais. J’avance que la presse, en général, part de plus en plus du principe que ce qui sera lu (et vendu) ne peut plus être que ce qui se lit et se vend, que ce qui s’assimile telle une potion de saveur uniforme, telle un yaourt qui contient peut-être des fruits dedans, mais d’une seule nature, ou alors, en mixture indéfinissable.
Que font donc les plus inventifs cuisiniers ? Ils expérimentent, ce que la presse ne fait pratiquement plus (où se loge donc, par rapport aux années 1970, l’expérimentation dans, par ex., Libération ?). Parfois, ce qui leur va convient, parfois pas, mais ils ne renoncent pas à former le goût.
Assumé foutraque
Emma Goldman concluait ainsi L’Individu, la société et l’État : « L’homme aspire à se libérer de toutes les formes d’autorité et de pouvoir et ce ne sont pas les discours fracassants qui l’empêcheront de briser éternellement ses chaînes. Les efforts de l’homme doivent se poursuivre et ils se poursuivront. ». Ce qui impose un effort. Celui de s’impliquer et non pas de se contenter d’idées prémâchées, en particulier de celles qui assoupissent, voire consolent.
Il est peut-être temps d’agiter la mer d’une presse trop convenue pour que le lecteur-capitaine se retrouve à devoir opter vraiment pour lui-même, quitte à ce qu’il choisisse le mauvais cap. La houle enfle, les vents sont tournants, les temps sont chaotiques et mouvants, et en rendre compte implique d’autres attitudes que les actuelles. Pour mon compte, c’est une conviction. J’opte. Quitte à échouer dans une crique isolée d’une île peu fréquentée. Quelque(s) Vendredi s’y trouveront peut-être.
Je m’illusionne peut-être moi-même, mais écrire foutraque me semble confusément plus… honnête. De nuit, dans l’œil du cyclone, peut-être est-il plus salutaire d’abandonner le navire d’une forme de presse qui, optant toujours et encore, au jugé, pour le moindre risque, leurre le plus gros de l’équipage. À chacun ses convictions ou son obstination. Et puis, ma ration patchwork, composée de bric et de broc, me satisfait mieux que d’autres, dont celles d’avant… Bon appétit à qui veut en goûter, pour les autres, eh bien, il est d’autres gamelles…
Un contre-pouvoir qui se calque sur le pouvoir est-il un véritable contre-pouvoir ? C’est peut-être la réflexion que devrait entreprendre une presse qui scinde trop souvent à l’emporte-pièce plus qu’elle ne synthétise, sans laisser apercevoir le moindre phare.
P.-S. – Il semble que, depuis, le commentaire en question ait été supprimé ou ait disparu. Ce n’est évidemment pas de mon fait.
[b]Du patchwork au hachis parmentier ?[/b]
Ouf ! Suis pas arrivé jusqu’au bout ! C’est pas qu’il écrit mal le Jeff (même plutôt bien et avec humour), mais il s’éparpille tellement que j’en ai le tournis !
Tiens, il n’a pas commenté son article ?
Allez Jeff, fais pas la gueule Jeff, ce n’est rien, viens à la maison Jeff, viens, je t’expliquerai… 🙂 🙂 🙂
bon je vois que mon post d’hier est encor en détention (provisoire?) sourions…
– écrit au fil de l’eau, sur le prompteur de mon sourire, il me sera difficile de te le retranscrire..; dommage !
Mais la modération nous permet à nouveau, depuis ce matin, d’expirer ce que nous inspirons de si en là Minos Ré sous Ventoline , cantabilé ma non troupeau, para cantar el présente ¡aqui mismo! como un minestrelo.
foutraquement tienne Tombeur
(- pas dit foutralement…) euh…vie_d_amant
sourire
…