Ah, que voilà un livre qu’il est bon à remanier ! Soit à reprendre en main, relire. L’auteur, Éric Poindron, l’a retravaillé, tel un enfant de laboureur (et il en rapporta davantage, dirait Jean de la Fontaine). Votre propre trésor d’imagination affleurera « dedans » cet Étrange questionnaire.

Car d’écrire, j’en ai soupé (chichement ou, ma foi, convenablement rétribué), je n’ai pas participé – répondu – à ce Questionnaire. Lequel vous invite à le faire, je vous redirai plus loin pourquoi. Oh, et puis, non, ici même : car j’avais déjà, naguère, chroniqué ce L’Étrange questionnaire d’Éric Poindron ou le livre qu’il vous faudra en partie écrire (ou dessiner). Mais je l’ai soigneusement lu, et partant partiellement relu. Car ce qui vient de paraître au Castor astral est loin d’être la réédition dite revue et simplement augmentée du précédent ouvrage sorti par les éditions Les Venterniers (tirage épuisé, retirage improbable, la nouvelle version est une coédition). Notez qu’il n’est pas rare que divers éditeurs publient – hors réédition – des livres ou romans à titre rigoureusement identique. Il en est ainsi deux Au bout du monde, l’un d’un auteur dont j’avais retrouvé, circa 1990, le nom et l’éditeur (devenus inconnus même de Google), l’autre de Tom Corraghessan Boyle, que je voulais titrer (en vf) Aux diables vauverts, et même un titre de nouvelle, une pièce de théâtre. Et je ne vous mentionne qu’à peine les Le Bout du monde, de Marc Victor (Lattes éd.), ou de Maxence Trièves (éds du Mot Passant) et nullement les multiples variations livresques ajoutant un poil de ceci, un crin de cela (La Maison au… ; La Source au… ; Escales au… ; &c.). J’exclus d’ailleurs Au Bout du monde ou la passion du reportage de Dan Mitrecey (Cerf volant éd.), puisque le « ou la passion… » n’est pas sous-titre. Cela pour vous dire deux choses. Qu’onc ne vit deux titres identiques tant longs chez deux éditeurs – mais que l’auteur soit unique, à savoir Éric Poindron en personne, signant à même le titre comme à même le ciel et le sol réunis à l’horizon, autorise cet autoplagiat – et ce, surtout, à moins d’un an de délai. Je ne me calque pas (en redites et sur), mais m’inspire de, nuance, cet ouvrage étonnamment questionnant en ceci qu’il abonde en multiples références à d’autres livres d’auteurs proches ou lointains dans le temps et l’espace. D’où le « érudit » de ce « fantasque, érudit, malicieux, inclassable », de Jérôme Leroy (Prix Renaudot) et du bandeau orange portant au revers cette appréciation de Philippe Chauché (de La Cause littéraire) : « même en cherchant bien, aucun livre publié en ces temps ne ressemble à cet étrange questionnaire ». Paradoxe, car pourtant, pourtant, cet aimable questionnaire vous ressemblera, à vous, forcément vous, et je ne vous réexpliquerai pas pourquoi infra, il sera de vous-même. Ce serait verbiage puisque le titre est suffisamment explicite. La seconde explication étant superflue, je vous renvoie aux diverses critiques de la première parution, et vous en dispense volontiers. Déjà, je vous barbe jusqu’aux confins des finisterres avec mes Au bout… (à bout) dont transparaît la ficelle, mais pour la bonne cause : c’est, à l’inverse, pour souligner que les multiples références livresques de Poindron sont surprenantes et, ô joie, distrayantes.

Miscellanées et autres calembredaines

Parlons donc d’autres choses – que de la trame, ou l’ossature en creux, du Questionnaire (à vous de remplir le blanc des pages par vos réponses ou d’autres considérations ou crobars) – qui ne sont ni plus, ni moins essentielles que le susdit, mettons, squelette. Mais quand même… Ce bis repetita placent, qui appelle un ter, lope plus que phone, comporte cette fois 60 questions (dont trois numérotées 26, donc total 62), et surtout de nouveaux chapitres, des illustrations, soit 40 pages de mieux. Avec, en sus, des bonus dedans les nouvelles pages, des références qui peuvent induire vos réponses ou les détourner de leur version initiale. Chauché dixit (voir supra), ce livre est à nul autre pareil ; ajoutons qu’il résiste à la description au débotté. Le prière d’insérer, reproduit (mais différent de celui de l’édition antérieure) en quatrième de couverture, ébrèche plutôt bien l’obstacle : cherchez, et trouvez-le ! Évoquons d’abord la couverture campant l’écrivain en pied et posture d’auteur ésotérique. De quoi attiser votre curiosité et sans doute la convoitise de vos connaissances. Placez le livre bien en vue (munissez d’une chaînette ou d’un fin filin ce filon littéraire, heureusement exempt de trop fréquentes allitérations – Poindron n’est pas Truman Capote, je le place ici différemment en nouvelle allusion aux siennes, d’auteurs, qui auraient justifié un index – car il est d’un format aisément escamotable). Succès garanti. De quoi fournir un réel agrément conversationnel lors d’un dîner en ville languissant. Ce n’est guère plus onéreux (14,90 euros) qu’un coussin péteur, mais l’effet en sera plus durable et bien moins malséant. Quoique… Oscar Wilde et son « les questions ne sont jamais indiscrètes ; les réponses le sont parfois » peuvent revenir hanter votre salon (ou cuisine à l’américaine). Tout impétrant écrivain, auteures incluses, sera tenté·e de transformer ce questionnaire en keepsake à jalousement préserver ou offrir à, aux aimé·e·s. Parfait aussi, au gré des indices dans les réponses, pour présager d’une rupture : c’est vous faire subodorer la versatilité de cette rareté.  Quant au style, il est à la fois fort divergeant de et fort similaire à celui de l’auteur de Comme un bal de fantômes, honoré d’un « meilleur recueil poétique de l’année » (en cours toujours, fin 2017) par un jury de 150 votants l’ayant auparavant sélectionné finaliste parmi 16 concurrents (sur une centaine d’entrants). Cet auteur, c’est Poindron, Éric, ici en mode bibliographique, idem, quoi, qu’Éric Poindron. Celui aussi, strictement un et indivisible, de pas moins de huit livres à paraître en 2018, dont un Je me souviens de Reims (ouvrage collectif au titre explicite, rien à voir avec le fameux Babylone, nue parmi les bananiers, de René Ehni, qui ne traite ni de Ninive, ni de monocotylédones). Un autre titre (encore incertain) retracera le périple d’un animal passant encore à l’époque pour relevant de la cryptozoologie. J’ai nommé Zafara (?, Soudan-1845, Paris), inspiratrice de décors et bibelots dits « à la girafe », qu’immortalisa Brascassat, Langlumé et tant d’autres artistes et illustrateurs, ainsi qu’un taxidermiste qui n’était pas Delalande (Després, peut-être… à moins que ce ne fut Duterrail). Poindron fut aussi un surprenant voyageur, sur les traces humaines de Stevenson et asiniennes de Modestine, aux doux yeux de mulâtresse. Et son Belles Étoiles, avec Stevenson dans les Cévennes reparaîtra, non plus chez Flammarion mais en autre demeure. Mais revenons à notre interrogatif ovin (au si significatif palindrome, ovni, mais en terreau littéraire le v peut prêter à confusion : objet volé non identifiable si vous ne marquez pas votre exemplaire d’un ex-libris). Poindron se livre écrivain-écrivant, cheminant et trottinant, à grands pas, plus volens (à nous, que du bien) que nolens, mais son introspection à la vulpine (de Renard, Jules) éclaire toute la gent de lettres en son for intérieur, tant antérieure que postérieure (à, par exemple, Raymond Queneau). Profond dans l’acte et la démarche (idem, car la lecture remémore et anticipe, l’imagination se remémore et projette), il nous la met – en scène et même en selle – l’écriture. Il consigne d’ailleurs une mini-anthologie, intitulée « aveux, paradoxes & spicilèges aux allures d’incitation à l’écriture », de mots d’écrivains célèbres ou obscurs, agrémentée d’un florilège de considérations de son cru (voire d’un feint double, à l’Ajar-Gary) sur les dessus et dessous de ce à quoi je mets fin provisoire : écrire, décrire, réécrire et se récrier pour (et tout contre) l’écriture. Juste une chute valant esquive : dans Poindron, il y a « poindre » (et non du moindre, que du meilleur).