En titrant, sur Come4News, « les 343 salauds manifestes », je ne m’étais guère montré voyant ou prévisionniste d’exception : c’était fort prévisible. Nicolas Bedos semble n’avoir pas eu cette prescience, donc il négocie une marche arrière. En s’enfonçant encore davantage, mais, cette fois,  en dévoilant (malgré lui ?) l’ignominie de qui promeut la proposition de pénalisation des clients de la prostitution.

Le sémillant Nicolas Bedos a signé dans Elle un billet intitulé « Mea culpa d’un (ex)salaud ». Il a cru, sans doute comme toutes les signataires de l’appel initial des personnalités disant (à raison raisonnée, le prétendant peut-être) s’être faites avorter, ne rien risquer.
Il totalement faux de dire que celles qui ont donné le coup de grâce à la loi pénalisant l’avortement aient risqué quoi que ce soit.
Mais l’historiographie a fait de ce manifeste d’alors ce qu’un Sarkozy prétendant tapoter contre le mur de Berlin a tenté d’avancer : sublime acte de courage au risque d’être torturé par la Stasi pour l’un (on se gondole), rafle et risque de détention immédiate pour Nicole Muchnik et consortes dans les geôles de Raymond Marcellin avant la déportation vers celles du generalissimo Francisco Franco.

Il n’y aura, par la suite, que les soutiens des Comités de soldats à être incarcérés, mais il ne s’agissait guère de personnalités de premier plan, et surtout, aucune, aucun n’était marqué à droite.

Falsifications et rappels du réel

Oui, pourtant, comme le consigne Bedos fils dans Elle, Élizabeth Lévy, de Causeur, « a aussi la vertu rare de mettre le doigt là où d’autres auraient trop peur de se prendre un coup de jus ». Hélas, elle n’a pas mis le doigt sur le fait que la future police des mœurs emploiera, sous gouvernement socialiste, des méthodes propres à la Securitate et à la Stasi, avant de, sous gouvernement Droite forte (ou dure) ou Front national, se faire vraiment l’équivalent de la Stasi ou de la Securitate.

On reproche souvent à qui soutient cette proposition de loi pénalisant les « clients prostitueurs » de ne savoir rien des réalités, sauf bien sûr, d’être férus (voir aussi congrus) de celles qui les arrangent.

Je n’ai pas eu directement à faire avec la Securitate (enfin, si, mais je ne risquais que très peu) ou avec la Stasi mais il se trouve qu’indirectement, j’en savais assez de proches et de parents…

J’établirai ultérieurement tout ce que cette loi, si elle était adoptée, aura de liberticide pour non seulement les clients des prostitué·e·s mais aussi tout dissident, tout opposant, tout responsable politique à quelque niveau que ce soit, avec pour alternative de céder au chantage ou d’être de plus en plus lourdement, publiquement, sanctionné.

Pour lors, j’écris, redis, tout comme Françoise Gil dans Le Monde, que les chiffres avancés par les auteur·e·s et les soutiens de la PPL quant au nombre des prostituées étrangères en activité en France métropolitaine (pour l’ensemble de l’outre-mer, je ne m’avance pas) sont totalement bidonnés, totalement exagérés.

Toutes prostitueuses, tous prostitueurs

Et non, si je ne me suis pas grimé en prostituée ghanéenne pour battre le pavé, je n’ignore pas  non plus tout à fait les réalités. Une rescapée ukrainienne, I***, vendue par la police grecque avec la complicité de membres de l’administration pénitentiaire grecque, à un réseau international, m’honore encore de son amitié. Elle fut soumise à l’abattage, livrée à une clientèle d’immigrés employés par des patrons grecs de l’agro-alimentaire. Elle ne recommande cette activité à personne. Mais, en France, devenue barmaid ou serveuse (et non pas du tout en bars à bouchon), elle a aussi fréquenté des ex-Soviétiques, devenues prostituées parfaitement indépendantes en France.

J’ai aussi connu un « prostitueur » : un logisticien de Médecins sans Frontières en Arménie qui a facilité le passage vers l’Europe d’une jeune « Madame » (en fait, la conciliatrice des professionnel·le·s de l’Intourist de la capitale). Il ne risquait rien, mais en France, il aurait risqué d’être qualifié de proxénète, d’être pénalisé. Presque tout le monde approchant un·e prostitué·e (de fait pestiféré·e) peut être qualifié de souteneur ou de maquerelle, alors, demain, de simple prostitueur, de prostitueuse occasionnelle, ce sera vraiment tout le monde.

Ni Joseph Kessel, ni Alphonse Boudard, ou même Lucien Bodard, ne sont targués d’être des experts sérieux de l’activité prostitutionnelle. Mais ils revendiquaient des points de vue sur la question.

Je ne reprocherai pas à Nicolas Bedos d’en avoir un, pas davantage qu’à Patrick Sébastien ou tout autre en sachant quand même un peu sur ce qu’ils évoquent ou dont ils dissertent. Aussi, pourquoi donc disqualifier Nicolas Bedos lorsqu’il mentionne « les nombreux témoignages de prostituées qui défendent leur droit à vendre leur corps. ».

Hélas, il ajoute : « Figurez-vous qu’il y en a même qui prétendent “aimer cela” ! C’est sinistre, mais c’est vrai. ». Il est peut-être sinistre de le prétendre, mais non seulement il est des personnes ayant quitté le trottoir qui sont retournées volontairement au tapin et oui, disent « aimer cela » (en tout cas davantage qu’autre chose d’accessible ; pour l’inaccessible, soit super-gagnante au loto, elles préféreraient sans doute).

Sinistre, et osant rester senestre ?

En plus, et ce n’est aucunement sinistre, figurez-vous, Nicolas Bedos, que de (plutôt très) rares non seulement aiment cela mais en tirent à l’occasion – selon une régularité diverse et variée – de la jouissance physique (même s’il est recommandé, pour éviter que le client souhaite reprendre son argent au prétexte qu’il a fourni du plaisir, de ne pas le manifester, sauf s’il vous est demandé de feindre). Horreur, malheur, désolation ? Je ne parle pas de leurs amants réguliers ou occasionnels, mais aussi, parfois, de clients. C’est en tout cas ce que je me suis laissé dire de sources autorisées.

En quoi serait-il plus sinistre qu’un·e prostitué·e tire du plaisir de son activité qu’un comédien, une actrice, saluant réellement ravi ou faussement épanouie, se réjouisse de son succès ? Qu’un plumitif, une amuseuse, un animateur, préfère encore les contraintes de son métier à celles d’autres, et puisse se déclarer satisfait, contente, de certaines de ses prestations ?

Il est très franchement désagréable de lire Nicolas Bedos reprendre l’argument de Morgane Merteuil, du Strass (Syndicat du travail sexuel), s’indignant du possessif de « Touche pas à ma pute ». Morgane Merteuil a sans doute réagi au quart de tour, est susceptible d’avoir oublié le slogan « Touche pas à mon pote », mais Bedos Fils manie la plume aussi bien que le vicomte de Valmont et sa marquise. Surtout, Morgane Merteuil développe l’un des fondamentaux de son organisme corporatiste : les prostitué·e·s s’appartiennent, le corps humain n’appartient qu’à soi-même. Elles et ils ne « prêtent » pas leur corps mais livrent une prestation.

Il n’empêche qu’en raison du contexte et du moment, prêter à Bedos ce moyen facile de se distancier d’un sous-titre dont la pertinence est fondée n’est pas très judicieux.

Fallacieux arguments

De très loin, à l’argumentation de « la marquise », je préfère celle du « baron » du Strass, Thierry Schaffauser, dans Libération. Il est bien évident qu’on ne peut prétendre aimer ce qu’il décrit. Cela évoque ce que Juifs, homosexuels, gens du voyage européens ont dû subir avant que rafles et déportations massives n’aient raison de la plupart. C’est aussi outrancier, quoique totalement réel.

Il est bien évident que tant et tant d’avanies, du fait d’une législation répressive, notamment, n’arrivent pas simultanément et systématiquement à chacune et chacun des travailleurs ou praticiennes du sexe. Il s’agit d’une compilation de cas réels. Et comment réfuter ce « imaginez que vos efforts syndicaux soient ignorés, moqués, diffamés, amalgamés à la défense du viol, de l’esclavage et de la torture de femmes et d’enfants » ?

J’en fus, j’en reste, et malheureusement, déplorablement, resterais témoin : les prohibitionnistes se proclamant abolitionnistes, dans les cercles et cénacles féministes, ont pratiquement monopolisé le débat ; si elles n’osent trop s’en prendre frontalement à d’autres féministes historiques, toutes celles, tous ceux n’ayant pas approché la trentaine ou davantage dans les années 1970 sont victimes de ce que dénonce le Strass. C’est devenu particulièrement vipérin. Les arguments des prohibitionnistes sont aussi faussés que ceux des ligues nord-américaines de vertu.

Les indépendant·e·s seraient une minorité, soit. Admettons qu’elles représentent encore moins que 49,99 % de l’activité prostitutionnelle. Et alors ?

Faut-il, dans la plus pure veine stalino-brejnevienne ligne (le tovarich Brejnev était « Premier journaliste d’Union soviétique, Mina Kaci n’a pas démérité) illustrée par le quotidien L’Humanité avec un « 343 machos contre l’abolition », vouer les minorités à leur perte, déperdition, disparition ? L’éradication de la prostitution à 17 heures (heure d’hiver) va-t-elle réellement être suivie du lever du « Soleil rouge lancé à toute vapeur sur les rails du socialisme » et de la félicité pour toutes et tous…

Port du macaron « DSK » obligatoire

Il est pour le moins cocasse de lire chez Mina Kaci, dans L’Humanité, une défense et illustration des 343 salopes de 1971. Aurait-on oublié les diatribes du couple Vermeersch-Thorez contre le Planning familial ? Ah, tout comme dans la Roumanie du conducator et de l’académicienne-docteure-ministre,L’Humanité préfère omettre de signaler que le Planning familial s’est radicalement prononcé pour une libéralisation du statut prostitutionnel et totalement contre la pénalisation des clients. Le Parti communiste veut que les héritiers de la coalition PS-MRG aient à disposition une loi liberticide, en germe totalitaire, à teneur dictatoriale ? Sont-ils sûrs à ce point qu’il s’agira du Front de gauche ?

Nous exposerons comment la chasse aux clients, la politique du chiffre, le chantage aux renseignements, voire aux votes, finira par faire de tout individu une, un client·e, prostitueur ou prostitueuse, en puissance : s’il n’y en a pas assez, on en fabriquera ; si l’opportunité ou la fin justifiant les moyens l’exigera, n’importe qui se verra contraint d’arborer le macaron « DSK » (ou quelque chose d’approchant, peut-être une sorte de klapperstein alsacien).

Car, hélas, la France n’est pas la Suède, et la Suède n’est pas plus immuable que le shakespearien royaume du Danemark.

Polémique moraliste

Au point où en sont les choses, la morale ne peut plus être évacuée. Pour Maud Olivier, rapporteuse du projet, il s’agit de morale publique : va-t-elle risquer de passer pour la postérité dans la posture de prostitueuse des libertés publiques, de fossoyeuse nationale de la liberté de conscience du fait des méthodes qui seront employées pour que force reste à « sa » loi ?

Enfin, c’est bien de morale, de vertu, et non de virtu, qu’il s’agit. Il s’agit de renforcer un ordre moral, de donner des gages à la droite du Printemps pour tous, de la frange dure de l’épiscopat catholique romain, aux intégristes mahométans et israélites. Bref, après les remous du mariage pour tous, la gauche se refait un hymen moraliste de droite, voire d’ultra-droite.

Mylène, autre figure du Strass, indépendante traditionnelle ne voulant pas apparaître en photo (et on comprend encore mieux pourquoi en consultant la proposition de loi), sait parfaitement que Maud Olivier ne sera pas regardante sur les méthodes. Police et gendarmerie seront forcées de procéder comme dans les comtés les plus prohibitionnistes des États-Unis.

Mais bizarrement, comme aux États-Unis, ce ne sont pas les souteneurs et les proxénètes qui se font pincer : juste quelques « madames » proches de leurs consœurs prostituées, juste des clients (et quelques rares clientes pour faire bonne mesure). Mylène, faisant référence à l’affaire Leonarda, a interpellé Maud Olivier : « comment expliquez-vous qu’on loge si vite et déloge si promptement une lycéenne, sur un claquement de doigts, et que les boulevards des Maréchaux grouillent toujours ? ».

De fait, portes de Paris, boulevards extérieurs, grouillent de prostitué·e·s, de nuit comme de jour, dont de nombreuses étrangères (ou en aillant l’apparence). Mais les « marcheuses asiatiques » ne sont pas cantonnées à Belleville, les « Ghanéennes » ne tapinent pas, passées les une ou deux heures du matin, qu’en périphérie.

Quels objectifs réels ? Intimider, influencer, juguler

Mais il ne faut surtout pas que la Chambre et le Sénat soient au fait des réalités. Il convient de parler de morale (présumée chrétienne, musulmane, judaïque). Pas du fait que, même sur les Maréchaux, on trouve de vraies, totales indépendantes, même jeunes. Surtout ne pas dire que parmi les marcheuses, des Chinoises ou d’autres Asiatiques, le recours au «réseau » n’est pas du tout du même type que celui à d’autres réseaux, eux, parfaitement, clairement mafieux.

Car toute réelle action d’ampleur contre le proxénétisme ruinerait la fiction d’une prostitution imposée et contrôlée en très large majorité.  Il ne s’agit que de recueillir les témoignages qui alimenteront l’argumentation des « abolitionnistes » (en fait, prohibitionnistes). La minorité des indépendantes, françaises, européennes, mais aussi étrangères, deviendrait beaucoup moins minoritaire. Gênant !

Heureusement, Françaises et Français commencent à réfléchir, et la « pieuse » chasse aux votes et fonds, subventions et postes, donne vraiment à réfléchir. Veut-on forcer les indépendantes à la misère, à la clandestinité totale ? Combien sont-elles ? Combien élèvent-elles d’enfants ou veillent à leurs études ? Veut-on faire leur « bonheur » malgré elles, car elles seraient irresponsables ? Ou cherche-t-on tout autre chose que les objectifs irréalistes proclamés ?

Croit-on encore vraiment qu’il ne s’agit que de la faculté de marchander une prestation à caractère intime (car toute prestation prostitutionnelle rétribuée n’est pas forcément sexuelle, ou fort peu, parfois) ? Non, il s’agit bien des libertés !

Car ce qui ne figure pas sur le papier hante bien les esprits : contrôler clientes et clients, d’abord, puis, au besoin, susciter des justiciables intimidables, influençables, rendus dociles de peur d’être sanctionnés pour un délit qu’il sera très facile de leur imputer, qu’ils aient eu ou non l’intention de le commettre.

Si vous n’avez pas senti le danger,  Nicolas Bedos, replongez-vous dans la consultation des méthodes policières du passé, vous serez très rapidement édifié.

Il reste à espérer que Charles de Courson, vice-président de la commission spéciale, saisisse la portée de l’étendue des dangers. Au prétexte d’obtenir une illusoire « interdiction de l’achat d’actes sexuels » (c’est ce qui figure sur son site : il s’agit bien d’interdire totalement, de prohiber), que cherche Maud Olivier, et est-elle bien consciente des très pervers effets de ce qu’elle soutient ?

La commission spéciale compte 70 membres, on ne veut croire que toutes et tous aient été sélectionnés, triés, en vue d’un consensus calculé d’avance.  Ou alors, oui, il faudra songer à émigrer. Non pas pour suivre les prostituées, tout simplement parce que ce pays sera devenu invivable, et que devoir porter, pour un délit réel ou imputé, un macaron, un triangle, une étoile « DSK » ou autre, non, une fois a suffi.  À propos, que tatouer sur le corps des prostitueuses ou prostitueurs ? On y a songé ???

P.-S. – Puisque, pour préserver une majorité, il devient acceptable de pressurer une minorité, pourquoi ne pas infliger une amende aux déposants dans les banques : qu’importe après tout la minorité des financiers vertueux. Il est plus facile de faire rendre gorge aux prostitué·e·s, sans vraiment s’attaquer au proxénétisme, sinon, cela se serait déjà vérifié, qu’à la finance…

N.-B. – Cocasse de voir Bedos (libre ou contraint ?) se désister dans Elle. Le groupe de presse dont c’est le titre phare est l’un des plus grands négociateurs et acquéreurs de corps féminins qui soit au monde et l’un des fournisseurs majeurs du secteur de la chirurgie esthétique. Aucunement prostitueur, ce support, n’est-ce pas ?