Je ne sais combien et comment Marcela Iacub en a pris dans la vulve, l’anus, la bouche, voire les aisselles, creux poplités et autres : je n’ai pas (déjà) lu son livre. Lequel, même saisi, retiré des piles, a été et sera lu. Je constate sa réception : Belle et bête en prend pour sa dégradation, et Marcela Iacub tout plein dans les dents. Le livre serait « très mauvais » (voire haineux selon Szafran de Marianne, ou Philippe Tesson), et après Angeot et Autain, ainsi qu’un universitaire (Wieviorka, pour Rue89), voici que Peggy Sastre, pour Le Plus, avance que l’auteure, qu’elle apprécie, se « décrédibilise ». Allons bon… Certes, ce ne devrait pas tout à fait égaler Les Bijoux indiscrets de Diderot de sitôt. Mais par la suite ?
Didier Porte, de Mediapart, se sent floué : arnaque car les « scènes de pseudo-cul… ridicules » (Szafran dans Marianne) seraient à mille lieux de celles d’un Étienne Liebig de bonne facture, lequel, catégorie verrat en rut, ne renie pas ses pulsions… ni celles de ses grosses cochonnes de partenaires (voir aux éds de La Musardine). Ce qui n’empêche pas, comme chez Marcela Iacub, les sentiments.
J’évoque l’ami Liebig parce qu’il est anthropologue, travailleur social, &c., qu’il a aussi publié des études, essais, articles. Il ne s’agit peut-être pas d’une « Lumière » tel un Diderot, mais ses ouvrages lestes surpassent de fort loin, en humour et polissonneries, Les Bijoux indiscrets.
Didier Porte pourrait, j’imagine, en convenir.
Pourquoi donc Michel Wieviorka (voir Rue89) n’en conviendrait-il pas de même à propos de Iacub ? Laquelle ne se targue pas de s’être livrée à l’observation participante : Wieviorka lui impute cette prétention. S’il y avait eu intention de mélanger les genres, DSK aurait certainement pu fournir d’autres sujets d’études, des numéros de compagnons de bamboche libidineuse, des adresses, &c. Présumer que Iacub incitera ses étudiantes et étudiants à lui emboîter le pas, peut-être, mais certes pas avec un aussi faible échantillon.
Glissons sur Clémentine Autain qui suppute que Iacub défendrait le viol et les violeurs une fois de pire. Oublions Christine Angeot qui, des faits divers, ne retient que ce qu’elle veut : pas la moindre femme au monde n’apprécierait le modus operandi présumé d’un DSK à l’horizontale. Tiens, pourtant, la réciproque se rencontre… Soit la femme toute à son plaisir et se fichant totalement du ressenti du (ou de la) partenaire.
Peggy… lis !
Peggy Sastre est une connaissance (j’avais chroniqué l’un de ses livres après entretien) qui apprécie encore les thèses de Marcela Iacub mais considère « que les idées dépassent les personnes ».
Des idées qu’elle résume plutôt bien pour Le Plus : « la pensée libertaire et pluraliste de Iacub, sa volonté de banaliser (dans le meilleur sens du terme) la sexualité, ses rêves de libérer les femmes du fardeau de la reproduction (et donc de leurs automatismes sexualoconjugaux remplis d’hommes plus vieux, plus diplômés, plus glorieux, bref, de leur destin d’ombre), son abstraction, son artificialisme, etc. Des modes de penser loin d’être répandus, consensuels et même “faciles” à appréhender et à transmettre, mais ô combien salutaires et dans lesquels j’avais tant de bonheur à me reconnaître… Tout cela me semble aujourd’hui pathétiquement décrédibilisé. Balayé par une énième midinette, qui a voulu jouer les énièmes infirmières d’un énième sale type, et qui a décidé d’en pondre un énième bouquin. ».
Barbara, avec Si la photo est bonne, chantait « qu’on m’amène ce jeune homme ». Si Peggy Sastre ne s’est jamais laissée allée à se faire midinette (ou s’en repentirait, jurant qu’on ne l’y reprendrai plus), l’adage « Fontaine, jamais je ne boirai… » est bon à remémorer. Qu’il s’agisse d’un·e abruti·e, d’un impécunieux, d’une obscure, d’une « crapule au doux sourire », change quoi, au fond ?
« le seul (minime) intérêt que j’entrevois à l’initiative de Marcela Iacub, c’est qu’elle aura réussi, encore une fois, à se faire détester des féministes les plus prévisibles (…) Entre féministes, on adore se débusquer une traîtresse et la détester en commun, » relève P. Sastre. C’est bien parti.
Mais est-ce bien le seul « avantage » que présente cet ouvrage ? Comment l’affirmer sans l’avoir lu ?
En quoi Belle et bête ferait-il uniquement le portrait « d’un jouisseur bas du front obnubilé par son propre et immédiat et bon plaisir, au détriment de tout le reste et de tous les autres ? », dans la mesure où la vie, les rencontres, la littérature, &c., permettent justement d’appréhender la diversité. Lire, c’est se reconstruire et se projeter, en tout cas lorsqu’il s’agit de fiction, d’empathie. Par adhésion ou opposition, ou selon divers sentiments mêlés. Préjuger qu’il ne saurait en être de même, ne serait-ce que pour d’autres que soi-même, avec Belle et bête, n’en faire qu’un coup éditorial, une quête de notoriété ou autre chose n’ayant strictement rien à voir avec la création littéraire, me semble prématuré.
Peggy Lee chantait : « Why don’t you do right, like some other men do… ». Et Darien faisait dire à son Voleur « je fais un sale métier, mais j’ai une excuse, je le fais salement. ». Iacub aurait pété un plomb, ramené du pognon dans son escarcelle (comme d’autres femmes le font), écrit plat, « sans style » ? Et alors ?
Outrances
Je n’ai pas d’action en Stock (l’éditeur), et que DSK lui réclame (de même et du même montant au Nouvel Observateur) des publications rectificatives, le retrait de la vente, et 100 000 euros, ne me fait ni chaud, ni froid. L’immixtion dans la vie privée de personnages si publics, qui d’ailleurs auraient pu s’immiscer tout autrement dans la vie de tant de gens (retraités, ayant-droits, salariés, &c.), relève peut-être des tribunaux, je n’en sais rien. Dominique Strauss-Kahn n’a pas apprécié une mise en scène qu’il ne dominait plus, dont acte. Les personnages des Caractères ou les mœurs de ce siècle, de La Bruyère, qui savaient si bien donner l’image d’eux-mêmes leur convenant, non plus. DSK n’a-t-il pas rendu à son public, ici, Iacub, ce qu’il attendait qu’elle lui semblait devoir lui prêter ?
Iacub s’esquive, « incapable de souffrir plus longtemps Théodecte, et ceux qui le souffrent ». Or, n’avons-nous point supporté Théodecte ? Alors, pourquoi donc moins Iacub ?
Il est à présent supputé que Iacub cherchait à piéger DSK dès le premier abordage, mais nullement l’inverse : qui peut croire que cette relation – sauf à penser que DSK n’aurait même pas ressenti le besoin ou l’envie de consulter les ouvrages et articles de Iacub – ne se soit pas construite de part et d’autre, et serait restée statique, immuable, totalement prédéterminée ?
Pierre Cormary, dans Atlantico, décrit « une succube » qui « vendrait la mèche », la sienne, celle de sa caste opérant la synthèse « du libertarisme le plus flamboyant et du fascisme le plus prophétique » (les épithètes se mutent fort bien). Révéler « l’horreur idéologique d’une certaine gauche » serait-il inutile ? Mais Iacub l’incarnerait-elle seule ? En aucun cas DSK ou Anne Sinclair ? Mais non, le voici « pauvre diable » et sa compagne (re)devient « une madone sacrifiée ».
Sur le même site, Marie-Hélène Bourcier, sociologue féministe, avance que Iacub piétine la liberté des femmes « qui ont le malheur de la croiser » (qui cela, Iacub, ou « la liberté de choix des individus » ?). Il s’agirait d’une « viriliste ». Admirant en DSK le « cochon de libéral » qui s’assume totalement. Fascinée. Les personnages de Néron (enfin, comme il fut décrit), de Caligula, sans parler de ceux de Pasolini, ne l’étaient-il pas à leur manière, fascinants ?
Il faudrait savoir : soit la femme Iacub est le serpent, soit l’alouette du miroir. Les deux hypothèses sont soutenues avec le même aplomb, voire la même véhémence du propos. Le débat est rabaissé au niveau de l’horoscope chinois selon lequel « le Cheval est fasciné par le Serpent » (ou la pouliche par la vipère). Tout s’explique !
Félicie, Ovidie… aussi
Dans son blogue-notes sur Metro, Ovidie, hardeuse intello (et réalisatrice, auteure, &c.), estime que « ce genre de relation est bien plus fréquent qu’on ne pourrait le penser ». Elle évoque Sailor et Lula, les admiratrices du tueur en série Richard Ramirez, époux en prison de la journaliste Doreen Lioy, Éros et Thanatos (et bien sûr Georges Bataille). Ou l’homme « que toutes les copines nous encouragerons à plaquer ».
La même Ovidie, dans Philosophie Magazine, soutient que la transgression n’est pas forcément « une sorte d’ingrédient indispensable à la jouissance ». Ce serait « rétrograde ». Effectivement, les féministes hédonistes, en tout cas nombre d’entre-elles, et par ailleurs sans doute Iacub elle-même, peuvent fort bien le soutenir, et non pas que théoriquement, mais dans leurs choix, orientations. Ce qui n’empêche pas toujours le pas de côté.
N’empêche, si d’autres formes du réel ne se rappellent pas à toutes, pour certaines, le rétropédalage – au moins temporaire – ne fait pas toujours freinage du moyeu. Non, dans le mal ne réside pas toute volupté, mais parfois, moins poétiquement que le couchait Baudelaire, une large ou copieuse part, et c’est selon les circonstances, les évolutions des individus, ou même l’impromptu.
Serge Kaganski, des Inrocks, considère qu’un roman à clefs «aurait eu moins d’impact médiatique et commercial qu’un récit croustillant où l’on identifie parfaitement les protagonistes ». J’ai soutenu exactement l’inverse dans mon précédent article (« DSK & Marcela : à bonne chatte, bon cochon ») sur le sujet : l’impact immédiat n’aurait pas été mince, la médiatisation de l’auteure largement plus durable (je mentionnais Pauline Réage, Catherine Robbe-Grillet, j’aurais pu ajouter quelques grands noms de la littérature dont les œuvres de l’enfer de la BNF ne font pas peu pour leur postérité, et les ventes de leurs éditeurs à la longue).
Je ne suis pas de ceux qui estiment qu’on ne peut réfléchir sans avoir, comme Ovidie, vraiment expérimenté tout ce dont on traite : la véracité de la fiction est d’ailleurs souvent plus forte dans les biographies en partie inventées et… lectrices et lecteurs se reconnaissent parfois davantage dans des récits imaginaires. Voire « vous » reconnaissent davantage et le « vrai » Hemingway (ou même Malraux) passait pour plus vrai que vrai.
Bifrons, bifides
Iacub, par dérision ou provoc’ peut-être, s’énonçait « sainte » bien avant son entretien au Nouvel Obs’, comme les Sœurs de la Divine Providence (des travestis) se veulent spectaculairement (ou se ressentent ?) nonnes. Cela doit-il la ranger totalement du côté de Clovis Trouille ? Ou partiellement ? Durablement ou non ? Like a tainted girl, pendant que nous y sommes ? Qui le serait à jamais ?
Est-ce Iacub ou nous-mêmes dont les comportements, les réactions sont pathologiques, enfin, parfois, notamment confronté·e·s à Marcela Iacub ? Je ne saurais dire la part de l’écart de conduite et la part du dessein. Chez Iacub comme chez des commentatrices (au moins la réaction de Peggy Sastre est-elle plus spontanée que présentée tel un verdict définitif) ou des éditorialistes (les masculins seraient-ils tous forcément virilistes, voire masculinistes ?).
Voici que Iacub et DSK sont transformés en Janus dans un face-à-face paradoxal. Elle serait aussi manipulatrice, « chienne lubrique » autant qu’il serait « porc fornicateur », avides du même stupre de la renommée et animés par la luxure du gain rapide, mais donnant tout autant le change, avec des résultats divers, appréciés fort diversement.
L’une et l’autre auraient deux langages, une main droite, une main gauche s’ignorant. Voire la langue fendue : monstrueux tous deux. Eh bien, en admettant, pour la démonstration, que ce soit le cas… Qu’en est-il de nous, partagés entre des revendications morales, ou plutôt moralisantes, et le refus d’admettre nos parts d’ombre, voire de tenter de les approcher ? Si Belle et bête est susceptible de nous interroger à sa lecture, donnons-lui sa chance. On le trouvera sans doute, s’il n’est pas interdit, en version poche ou en bibliothèque (et en version électronique sous le manteau s’il venait à être saisi ; sinon, pour 120 pages, on trouvera à 13 euros).
Jérôme Béglé, du Point, qui a lu le livre, admet que sa réponse « peut souffrir la contradiction », tout comme son appréciation (« ce texte est plutôt bien écrit »). La présomption d’humanité de DSK et de Iacub doit leur être accordée. Mais ne parlons point d’innocence au sens de naïveté. Chargeons moins vite leurs mains et ne lavons pas si rapidement les nôtres. Pour les exorcismes, il y a des endroits pour cela. Tentons de préserver des espaces de tempérance, de coexistence des belles et des bêtes…
Un peu tout et son contraire a été écrit sur les attitudes de DSK à l’endroit (voire à l’encontre plus qu’à l’égard) des femmes, sans trop se demander pourquoi, ou plutôt, en feignant de se poser les questions dont on avait les réponses.
Mais qui fait les hommes ? Souvent, les femmes, non ?
Peut-être que Dominique Strauss-Kahn a fini par se convaincre qu’il répondait à ce que les femmes attendaient de lui. Peut-être a-t-il joué « le bon copain » avant de prendre des râteaux, le discret et attentionné séducteur en vain, &c. Puis, s’enhardissant… Ou étant invité à s’enhardir…
Il ne s’agit pas de dresser un portrait des femmes en généralités stupides, ni des hommes d’ailleurs. Mais en la matière, le dilemme de l’œuf et de la poule s’applique. C’est une interaction. Ce fut peut-être un timide qui se faisait violence. Par la suite, c’est autre chose ; mais ce qui vaut un refus (parfois répétitif) à l’un, trop audacieux, on se voulant sur de lui, peut valoir une acception à l’autre, moins entreprenant, c’est selon, ou absolument le contraire.
Séductrices et séducteurs « professionnels » s’adaptent ou auront les mêmes types d’approches envers les femmes ou les hommes qu’elles ou ils sentent réceptifs, ou propices. Devenu homme de pouvoirs, cela a sans doute évolué, mais hormis des êtres très frustres, ou totalement endoctrinés, la plupart des hommes est faite par les femmes autant que l’inverse. Qui induit quoi, consciemment ou non, ne se résume pas à des schémas simplistes, ni immuables. Ce livre n’est peut-être qu’un jeu de rôles et un ballet de masques, convenus, peut-être.