C’est une coïncidence assez fortuite. Alors que Nicolas Sarkozy mande un sommet social, Le Figaro sort le rapport parlementaire voulu par le député Nicolas Perruchot sur le financement des syndicats, tandis que David Cameron fustige, au nom de la morale, les sources de fonds des trade unions (syndicats) britanniques.

J’ai connu un fort dilemme. Journaliste et délégué syndical (CFDT), j’avais été alerté par la juriste d’un organisme de formation (lié à la CFDT). Conflit d’intérêt évident, mais, justement, j’étais le mieux à même d’en traiter, et collégialement, la rédaction m’a confié le sujet. Les gars du syndicat du Livre (l’électron de la CGT, collège « ouvriers ») n’ont rien trouvé à y redire, et c’est un autre juriste (universitaire), justement celui le plus proche de la CFDT, qui, faisant fi de ses propres intérêts, m’a le mieux rencardé sur un problème pas trop (litote) à l’avantage de la centrale syndicale.

Dans Le Canard enchaîné de cette semaine, exposé, sous le titre « L’art de mettre de l’argent au vert », des pratiques du Cédis (EELV), de l’Association pour la démocratique locale (UMP), et du Centre Condorcet (PS). Ce sont des centres de formations d’élus dont les pratiques sont marquées par de « curieuses jongleries » qui auraient passionné « une juge nommé Eva Joly ». Personne ne sait « ce que le Cédis fait de ses profits » (le fruit des sessions de formations financées en fait par les contribuables territoriaux, principalement), et il en est peut-être de même de ceux de l’APDL ou du Centre Condorcet. Pour la plupart des syndicats, il en est parfois de même et si le CNPF (Patronat français, devenu Medef) n’ignorait pas totalement les pratiques de l’UIMM (la fédération patronale de la métallurgie, principal bailleur de fonds du Medef), un certain flou subsistait.

Mais les centres de formation ne sont que l’un des aspects du problème, les syndicats et les partis étant surtout financés par de l’argent (du) public (de l’État, des acheteurs de biens au privé). Éventuellement, pour partie, réparti de manière opaque.

Flou britannique

La Trade Union Reform Campaign est loin d’avoir achevé ses travaux. La cible, ce sont les délégations syndicales, notamment dans la fonction publique britannique. Il s’agit bien sûr d’une initiative conservatrice et le Premier ministre, David Cameron, a fait publier une lettre ouverte. Les permanents des syndicats doivent être rétribués par les seuls syndiqués, expose-t-il avec un certain bon sens. Par ailleurs, les conservateurs veulent que les syndicats paient des loyers pour l’usage de salles de réunions. Rien que les rémunérations des délégués syndicaux coûtent 80 millions de livres au budget britannique. Les centrales reçoivent en sus 33 millions de livres. Total, environ 113 millions. Choquant ? Oui et non. Ne serait-ce que pour régler les mutations dans la fonction publique, les syndicats ne sont pas de trop pour tenter de trouver des solutions qui ne dégraderaient pas trop la qualité du service public. On pourrait trouver d’autres exemples, mais les conservateurs choisissent soigneusement les leurs. Haro sur les syndicats ouvriers. Rien, en revanche, sur les syndicats patronaux.

L’argent caché des syndicats

En France, pays faiblement syndicalisé (8 % de cotisants), les sommes allouées aux syndicats sont beaucoup plus fortes. 4 milliards, selon Le Figaro Magazine. Conclusion globale, « la machine syndicale (…) vit aux crochets des autres. ». En fait, 90 % de ressources provenant des employeurs, dont 1,34 milliard pour l’État, et 1,6 pour le privé, les subventions publiques représentant un peu moins de 5 % du budget global syndical (toutes organisations, ouvrières, agricoles, patronales, &c., confondues).

Cela découle du rapport Perruchot (du député centriste Nicolas Perruchot), de fuites provenant sans doute d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration, et des ouvrages du syndicaliste Jean-Luc Touly sur les financements occultes.
Le Figaro ne peut cependant pas occulter que la dissimulation des ressources syndicales est aussi le fait de fédérations du Medef, de la FNSEA, de l’Union nationale des professions libérales.

Mais, bien évidemment, l’article s’ouvre par une accroche édifiante : « Des vacances à Dakar aux frais de France Télécom ! ». Il s’agit des frais d’une délégation de douze syndicalistes au Forum social mondial. 12 000 euros. À comparer avec les frais des visiteurs et visiteuses de Dominique Strauss-Kahn à Washington : cela reste, par tête, raisonnable. Mais Le Fig’ ne compare pas avec les divers frais de bouche que le groupe Eiffage dit n’avoir pas vraiment consenti à ses cadres nordistes.

Ajoutez aux ressources celles du paritarisme, des caisses de retraite, du 1 % pour le logement social, la formation : « tout le monde se tient, car tout le monde en croque. ». C’est fort vrai. Et ce ne sont pas vraiment les syndicalistes de la base qui siègent dans ces organismes fort gourmands en fonctionnement.

Ce que le Figaro ne dit pas, c’est que, pour beaucoup de syndicalistes intermédiaires (véritablement élus par la base), tant dans la fonction publique que dans le privé, être syndiqué coûte plus cher que cela rapporte et que tous les délégués, loin de là, ne se tournent pas les pouces dans les permanences. Lesquelles ne s’adressent pas qu’aux seuls cotisants, très, très loin de là.
De même, chacun sait plus ou moins (trop) bien que les syndicalistes teigneux peuvent payer fort cher leur insistance à défendre les salariés ou fonctionnaires, tandis que d’autres, plus complaisants, cherchent surtout à se faire remarquer et faire carrière. Ce sont généralement ces derniers qui finissent par coûter le plus cher aux entreprises et administrations.

 

Que faire ?

Mais au fait, pourquoi ne pas imposer que tout salarié, tout fonctionnaire, se voit prélever sur sa paye une cotisation au syndicat de son choix ? Après tout, tout électeur ou non électeur se voit ponctionner, par la TVA ou l’impôt (surtout local) de quoi financer tant les campagnes électorales des grandes formations que l’organisation des scrutins.
En Grêce, l’impôt étant désormais perçu aussi via les quittances d’électricité, nombre de Grecs défalquent la part revenant au fisc. Imaginez qu’en France on fasse payer de manière transparente les coûts des élections ?

 

Car ces politiques, ils sont élus au juste par qui ? Or, de la même manière, leurs permanences accueillent des abstentionnistes, venus demander un appui face à l’administration, solliciter un logement, voire un emploi… Mais si on veut évoquer des voyages d’études, des participations à des forums, congrès et autres, là, les exemples abondent un peu plus que dans l’univers syndical.

 

La seule réforme de taille, qui puisse contrecarrer le petit jeu des négociations occultes entre les organisations syndicales et les gouvernements, lesquels, en France, attribuent aussi des postes au Conseil économique et social et dans divers machins et comités bidules, serait d’obliger salariés et fonctionnaires, libéraux et patrons, à financer les syndicats. Tout comme les politiques sont financés par les inscrits et non-inscrits sur les listes électorales.

Il n’est pas sûr que cela soit la panacée. Après tout, hormis les plus riches contribuables, les électeurs en ont-ils vraiment pour leur argent ? Au Royaume-Uni, comme en France, d’ailleurs.

Négociations

Si les gouvernements appellent les syndicats à faire le ménage dans les rémunérations et avantages des représentants dans les organismes paritaires, les syndicats devraient aussi demander aux gouvernements de réduire leurs frais somptuaires, et les rémunérations des hauts fonctionnaires, et les avantages consentis aux parlementaires et principaux élus (présidents, vice-présidents, &c.) de la Nation.

 

« Les abus prospèrent dans un univers où règne le flou, » remarque à fort titre, Le Figaro. Au fait, combien de cadres supérieurs, voire très supérieurs, aux obligations et statuts flous au Figaro ? Ou à la Socpresse ? Un peu de transparence ne ferait pas de mal, aussi, en ce domaine.

Le temps n’est plus à seulement désigner la poutre dans l’œil du voisin, mais aussi à réduire la taille de la paille dans le sien. Ce qui vaut pour tous, syndicats inclus.