Deux ans après, le monde a oublié le scandale Politkovskaia. La mort de cette journaliste qui dénonçait les méthodes Poutine devait pourtant symboliser la situation de la presse en Russie. Les coupables vont enfin être jugés. Mais quels coupables vont payer pour la mort d’Anna Politkovskaia ?

L'affaire Politkovskaia touche à sa fin. Après vingts mois d'investigation, les quatre suspects détenus par les autorités russes vont être jugés. Djibrail et Ibrahim Makhmoudov, Sergueï Hadjikourbanov et Pavel Riagouzov restent donc seuls pour payer la mort de la journaliste russe. Pour Dmitri Mouratov, rédacteur en chef de Novaïa Gazeta, le journal pour lequel travaillait Anna Politkovskaia, la conclusion de l'enquête est loin d'être satisfaisante. S'il reproche à la police les « nombreuses fuites d'informations qui ont permis à de nombreuses personnes impliquées […] de prendre le large à temps », il s'interroge surtout sur la crédibilité des conclusions des enquêteurs. Finalement, Roustam Makhmoudov, soupçonné d'avoir tiré sur la journaliste, n'a pas été retrouvé. Il n'y a pas non plus eu de conclusions sur les commanditaires de cet assassinat.
« Il ne doit pas rester impuni ». C'est ce qu'avait décrété Vladimir Poutine trois jours après la mort de l'une des journalistes les plus sévères envers sa politique, en parlant de son meurtre. Le 18 juin, les mises en examen prononcées semblent pourtant laisser croire que seuls les exécutants paieront l'addition. Les éléments sont pourtant bien réunis pour laisser présager d'un commanditaire puissant : trois frères tchétchénes chargés de tuer Anna Politkovskaia et un membre du FSB, le service russe de sécurité qui leur aurait donné l'adresse de la victime. Pour beaucoup de Russes, le gouvernement est responsable de la mort de la journaliste. Pourtant, deux ans après, les esprits ont peu à peu effacé Anna Politkovskaia de leur mémoire.
Anna Politkovskaia a pourtant été une voix terriblement génante pour le gouvernement Poutine. Dés la fin des années 90, elle couvre la guerre de Tchétchénie et reproche au Kremlin la violence et l'aveuglement des attaques qui font de nombreuses victimes parmis les civils. Journaliste de terrain, elle redonne la parole à ceux que l'on a oubliés dans ce conflit et leur offre l'occasion de crier leur colère. Anna Politkovskaia dénoncera également les actions de Ramzan Kadyrov, actuel premier ministre de la république tchétchéne. Elle explique dans ses articles et ses ouvrages la dure réalité de sa politique. « Le syndrome Kadyrov », c'est comme cela qu'elle appelle ses méthodes dont elle décrit « l'insolence rustre et la cruauté ». Ce sont les même reproches qu'elle fait au président russe, Vladimir Poutine.
Au cours de sa carrière, elle est plusieurs fois menacée. En 2001, elle est emprisonnée par des militaires russes en Tchétchénie qui la menacent de viol, de mort et de représailles sur ses deux enfants. En 2002, elle assiste au gazage des otages du théàtre de la rue Melnikov tandis qu'elle participe aux négociations. En 2004 elle est empoisonnée alors qu'elle se rend aux négociations de la prise d'otage de Beslan. Les preuves disparaissent et le SPD est soupçonné d'y avoir joué un rôle important. Malgré les nombreuses menaces qui pèsent sur elle, elle refuse l'asile que lui offre l'Europe et préfère rester en Russie pour défendre les intérêts de son peuple.
Lorsqu'elle est assassinée à son domicile le 7 octobre 2006, la communauté internationale se retourne contre Vladimir Poutine. Il fera accuser Boris Berezovski. L'oligarque est mélé à de nombreuses affaires criminelles : mafia, guerre des gangs, traffics d'hommes dans le Caucase nord. Il est l'ennemi de Kadyrov pour avoir soutenu ses opposants et notamment pour avoir donner des fonds à Chamil Bassaïev, indépendantiste islamniste. Il est l'ennemi de Poutine, qu'il a lancé en début de carrière pour remplacer Boris Eltsine et qui l'a trahit. Réfugié en Grandre Bretagne, il cherche à dénoncer les activités du président russe. Le duo Poutine-Kadyrov est en tout les cas débarassé de deux gêneurs majeurs.
Après la mort d'Anna Politkovskaia, deux de ses collègues continuent son travail. Le premier travaille dans le Caucase, le second enquête sur sa mort. Tous deux recoivent très vite des menaces par téléphone, sous la même forme que celles que recevaient la journaliste russe. Dmitri Mouratov rend l'affaire publique et dit se reposer sur les autorités, sans grande conviction, pour protéger la vie de ses journalistes.
Les droits de la presse sont toujours controversés en Russie. Derrière ce fait divers, ce sont des luttes de pouvoirs qui apparaissent entre les différentes forces politiques et financières du pays. Le prix payé pour la perte d'Anna Politkovskai semble peu élevé et ses collègues continuent de travailler dans un climat médiatique maîtrisé par le Kremlin. Pourtant ils continuent de dénoncer la situation du Caucase et la violence du gouvernement russe, comme en hommage aux mots de leur ancienne consoeur.

« Les mots peuvent sauver des vies ».